Sauvé de la routine popisante par la production intrigante de Nigel Godrich, Travis devient un adulte, éloquent et sensible. Si on était moins cossard, on s’imposerait des astreintes d’écriture à chaque chronique. Georges Perec faisait ça très bien avec ses bouquins. Chaque matin, il griffonnait sur un bout de papier quelques mots ou expressions, les […]
Sauvé de la routine popisante par la production intrigante de Nigel Godrich, Travis devient un adulte, éloquent et sensible.
Si on était moins cossard, on s’imposerait des astreintes d’écriture à chaque chronique. Georges Perec faisait ça très bien avec ses bouquins. Chaque matin, il griffonnait sur un bout de papier quelques mots ou expressions, les premiers qui lui venaient à l’esprit avant le café, et s’obligeait à les caser dans sa production journalière. Comme on n’est ni maso ni génie, on se la jouerait plutôt ludique, façon Taboo, en inversant le processus. On s’interdirait certains mots clés mille fois
écrits, un trillion de fois prononcés Beatles, sixties, acoustique, pop. Et bien sûr, on serait bien emmerdés (c’est le but du jeu). Car à moins d’employer des périphrases à subordonnées multiples, difficile pour le critique, dans son étroite marge de manoeuvres, d’échapper à ces quelques sésames porteurs d’affriolantes promesses. La dernière fois qu’on a croisé un disque dont le titre commençait par The Man who…, c’était par un jeune ange blond aux yeux vairons, au début des années 70, et son The Man who sold the world est entré directement dans notre top ten d’île déserte. Fran Healy a beau jurer avoir en l’occurrence été inspiré par une nouvelle d’Oliver Sack (The Man who mistook his wife for a hat !), quelques troublantes similitudes d’inspiration rattachent beaucoup plus justement un tel intitulé aux terres giboyeuses de Bowie.
Avant d’entrer dans le détail de cet impeccable florilège, il faut une fois de plus attirer l’attention sur l’homme aux bras d’or, l’énigmatique Nigel Godrich. Producteur top-tendance depuis le coup de maître OK computer, Godrich confirme à chaque nouvelle livraison (Beck, Jason Falkner, Pavement sous peu) qu’il est un authentique Midas du curseur. Donnez à ce garçon un bout de glaise informe, il en fera une oeuvre d’art atypique, une espèce de Vénus de Milo affublée du sourire de la Joconde. Donnez-lui un matériau noble et il fera tout simplement un miracle. Cet homme qui annonce déjà sa prochaine retraite, n’envisageant désormais consacrer son temps qu’aux uniques copains de Radiohead devrait avoir son nom au recto de la pochette, au-dessus de celui de l’artiste, comme Selznick sur les affiches de la MGM. En l’espèce, Godrich a effectué pour Travis un boulot très proche de celui accompli pour Radiohead. Par trois fois, on jurerait même en blind-test avoir affaire au gang d’Oxford au faîte de sa forme (Luv, As you are, The last laugh of the laughter cette dernière étant parcourue d’amusants passages en français).
Révélé par le déjà très fréquentable mais trop sagement pop Good feeling en 97, Travis apparaissait comme un petit frère du Teenage Fanclub. On ne pensait pas qu’ils en viendraient aussi vite à disputer leur Grand prix, tellement sûrs de leur conduite qu’ils n’éprouvent à aucun moment le besoin d’écraser les pédales. Andy Dunlop (un nom qui prédispose effectivement à disputer des courses) a l’âge de ses arpèges, environ 30 ans. Pas étonnant dès lors de voir défiler des fantômes toujours bienvenus Bowie, Big Star, Neil Young qu’on accueille portes, fenêtres et oreilles grandes ouvertes, à l’affût du premier tintinnabulement suspect. Au moins sait-on pourquoi ces fantômes-là nous empêcheront durablement de trouver le sommeil.
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