Le songwriter énigmatique du groupe, Stephin Merritt, s’est fixé un défi de taille pour son 50e anniversaire : composer une chanson pour chaque année de sa vie. Quand la voix la plus ténébreuse de la pop américaine se raconte.
En plus de vingt ans de carrière, Stephin Merritt a souvent choisi de s’imposer des dogmes pour guider son processus créatif. Dans les années 2000, il a sorti une trilogie où il s’interdisait de faire appel à des synthés. L’un de ces trois albums, i, ne comportait que des chansons dont les titres commençaient par la lettre “i”. En 1999, le triple album 69 Love Songs regroupait soixante-neuf variations sur le thème de la chanson d’amour. C’est grâce à ce chef-d’œuvre étourdissant que l’Américain a prouvé sa fertilité et l’ampleur de son songwriting à la fois intimiste et baroque, romantique et sarcastique.
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Le concept qu’il tente sur le nouvel album des Magnetic Fields se résume par son titre : 50 Song Memoir, soit une autobiographie en cinquante chansons, de sa naissance en 1966 jusqu’à l’enregistrement de l’album en 2015. Ne surtout pas être découragé par ces cinq disques dont la durée d’écoute totale avoisine les deux heures et demie. Connaissant l’éclectisme et la virtuosité de cet artisan de la pop, on plonge dans ses mémoires musicaux avec la certitude d’y entendre des trésors.
Une réputation d’âme torturée
Précédé par une réputation d’âme torturée et excentrique, Stephin Merritt oscille entre lassitude désenchantée et piques d’humour noir pendant la conversation. Il se sert de l’eau chaude, sans y mettre de sachet de thé, et nous fait constater l’inquiétante couleur marronnasse de l’eau dans sa tasse. “J’espère que cette eau ne va pas me tuer, mais si c’est le cas ce serait une interview merveilleuse : ‘Stephin Merritt, l’entretien final’.”
“J’ai une vie vraiment très ennuyeuse”, dit Merritt en s’écroulant soudain par terre. Une fois passé l’éclat de rire contagieux, il retrouve son sérieux et fait la liste de tout ce qu’il a sacrifié pour la musique :
“Mon ouïe (il souffre d’une hypersensibilité auditive – ndlr), la sécurité, mon doctorat imaginaire, ma carrière de cinéaste… Je n’ai pas spécialement de passion pour la musique, mais je me souviens de milliers de sons qui m’ont intrigué quand j’étais petit. Par exemple, l’album Prince Charming d’Adam And The Ants m’a fait comprendre que l’on pouvait mélanger le western-spaghetti avec un beat et une voix énergique, en y ajoutant des paroles qui parlent de n’importe quoi, de la vie de Pablo Picasso ou du sexe dans un avion. Le tout crée une chanson. Ça m’a aussi appris que la présentation visuelle était très importante, mais cette leçon-là, je l’ai complètement ignorée.”
Plutôt que de soigner l’aspect physique de son groupe, Stephin Merritt préfère perfectionner son savoir-faire. Dans le livret de 50 Song Memoir, un énorme paragraphe détaille tous les instruments (une centaine) dont il joue, classés par ordre d’apparition sur l’album. Cette capacité à maîtriser des instruments aussi variés est mise au service de sa créativité et de la richesse de ses goûts musicaux.
« Je parle si peu de moi d’habitude »
Cette autobiographie en musique ne revient pas uniquement sur sa vie à travers les paroles. Elle reflète aussi les différents courants qui ont construit son identité : pop, folk, rock, mais aussi à partir des années 1980 des sonorités plus synthétiques, de la new-wave à l’euro disco. Stephin Merritt commence par se replonger dans ses souvenirs d’enfance, aux côtés d’une mère hippie – son père, le songwriter Scott Fagan, n’a jamais fait partie de sa vie.
Si ce projet plantureux peut parfois s’essouffler, il comporte suffisamment de fulgurances pour garder son pouvoir de fascination jusqu’à la fin. On en retient notamment It Could Have Been Paradise, sur la période où il vivait à Hawaï, The Blizzard of 78, où il se souvient avec une autodérision désopilante de son premier groupe dans le Vermont, Me and Fred and Dave and Ted sur une colocation à l’étroit, Weird Diseases où il énumère toutes les maladies de sa vie sur une mélodie entraînante, ou encore Have You Seen It in the Snow?, lettre d’amour à New York écrite après le 11 septembre 2001.
“Je parle si peu de moi d’habitude que mes proches ont découvert plein de choses qu’ils ignoraient en écoutant ce disque”, explique-t-il de son timbre d’outre-tombe, aussi profond que Johnny Cash et Lee Hazlewood réunis. Mise en musique, cette voix abyssale exprime sans aucun effort la mélancolie, mais c’est l’ironie qui finit par triompher sur ces chants magnétiques.
concerts les 2 et 3 juin à Barcelona (Primavera Sound).
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