Dans la Knitting Factory new-yorkaise, formidable usine à tricoter des pelotes de musiques bigarrées, on a vu passer tant de tendances qu’on se tamponne royalement des étiquettes. Des rockers à crâne d’oeuf y fricotent avec des jazzmen à banane, le reggae y réchauffe l’igloo de la cold-wave. De quoi donner des envies d’espace. En marge […]
Dans la Knitting Factory new-yorkaise, formidable usine à tricoter des pelotes de musiques bigarrées, on a vu passer tant de tendances qu’on se tamponne royalement des étiquettes. Des rockers à crâne d’oeuf y fricotent avec des jazzmen à banane, le reggae y réchauffe l’igloo de la cold-wave. De quoi donner des envies d’espace. En marge du raffinement romantique et des hardiesses sensuelles d’Elysian Fields, le guitariste Oren Bloedow enfourne dans ses albums solo un trop-plein d’idées joyeusement désordonnées, fait entrer la planète dans ses pénates. Vingt ans après le punk aux horizons zonards et aux rythmes tronçonneurs, les instruments émancipés s’y souviennent de temps innocents où les guitares partaient à la découverte des sources du Nil, où l’orgue se mettait en quête de l’Atlantide, où le pôle Sud semblait à portée de solo de batterie. En guise de bras d’honneur au qu’en-dira-t-on, The Luckiest boy in the world recueille le rock progressif, pestiféré préféré des cénacles alternatifs, et entreprend de le rééduquer par l’effort. Ici, on trime sans frime : virtuosité cesse de rimer avec vanité. Les improvisations fluettes et fouineuses rapportent de leurs voyages des saveurs interdites par les gabelous indés. Chez Oren Bloedow, pas de cerbère suffisant chargé de filtrer les clients : les Del Fuegos rustauds de Boston, Mass squattent Foot of the wall ; un piano découvert sur les chefs-d’oeuvre d’Aretha Franklin fait résonner Like an arch sous la voûte de la merveilleuse église de Memphis. Evincée par Jennifer chez Elysian Fields, l’intrépide voix de traviole d’Oren oscille entre Chet Baker et Stevie Winwood jeune, habille de jazz vacillant des complaintes d’une effrayante nudité In the clinch chope une grosse suée sous la couette conjugale, Do I have to take you outside rivalise d’impudeur transie avec le Mother de John Lennon. Des tréfonds cafardeux, on gagne prestement l’éther harmonieux. Quand, sur le somptueux Endless tears, Jennifer et Ed Pastorini (le pianiste taciturne d’Elysian Fields) joignent leur chant à celui d’Oren, le rock new-yorkais décrassé étincelle comme le faîte du Chrysler Building, cette insolente fusée intersidérale qui depuis soixante ans jette un pont entre Manhattan et le firmament.
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