Les débuts de Salif Keita ont été marqués par trois expériences : le rejet, la fuite, la réhabilitation. Le rejet puisque son père ne daignera jamais reconnaître ce fils albinos. La fuite car, dans pareille situation, comment pouvait-il en être autrement ? Enfin la réhabilitation après que cet exclu de naissance eut trouvé sa place […]
Les débuts de Salif Keita ont été marqués par trois expériences : le rejet, la fuite, la réhabilitation. Le rejet puisque son père ne daignera jamais reconnaître ce fils albinos. La fuite car, dans pareille situation, comment pouvait-il en être autrement ? Enfin la réhabilitation après que cet exclu de naissance eut trouvé sa place au sein des deux meilleurs formations du Bamako des années 70, le Rail Band et les Ambassadeurs Du Motel ; avec à chaque fois la présence à ses côtés du guitariste guinéen Kanté Manfila, rouage essentiel de la musique africaine moderne.
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Ce Lost Album convoque à sa façon ces trois expériences. Réalisés à Abidjan en 1980, ces enregistrements sont en partie tirés d’un vinyle, Authenticité, jamais édité en Europe. Le reste regroupe des inédits produits par Kémo Kouyaté, l’arrangeur de Miriam Makeba en Guinée. Ils se distinguent par leur parti pris acoustique et une définition sonore plutôt modeste. A une époque où la musique ouest-africaine vit sous l’influence des synthétiseurs, Salif et Kanté Manfila choisissent une instrumentation dominée par la guitare, le balafon, la kora et parfois, preuve d’une incorrigible attraction cubaine, par la trompette. A l’arrière-plan, un chœur féminin tisse cette tenture aux variations infinies qui souvent habille les « intérieurs » de la musique mandingue.
Dans ce sobre décor sonore, la voix de Salif fait merveille. Il y a là quelque chose qui, au-delà de la prouesse vocale, relève d’une condition particulière, d’une violence endurée, comme d’une puissante volonté à s’en délivrer. Avec Toura Makan, on approche les limites de l’exorcisme. Cette pièce de douze minutes est l’une des nombreuses variantes de l’épopée consacrée à Touramakan, l’un des fondateurs de l’empire du Mandé ? avec Soundiata Keita, lointain ancêtre de Salif ? telle que l’interprètent les griots depuis plusieurs siècles. L’identification à Touramakan ou à Soundiata ? un « bâtard » qui devra ramper dans la poussière avant de conquérir son trône ? est essentielle dans la psyché malienne. Elle le sera plus encore pour ce chanteur de noble caste qui, bien qu’intouchable aux yeux des siens, va réussir à s’imposer comme l’un des plus grands chanteurs de son temps.
Ce disque raconte ces deux histoires qui n’en font qu’une. Celle d’un destin forcé. Dans la voix de ce déshérité il y a quelque chose de la larve en recherche de lumière et de l’aigle royal déployant ses ailes. Un désespoir qui nourrit la rage. Une rage qui assure le salut. Par instants, Salif chante comme Little Richard et Camaron de La Isla réunis. Ce disque de la nudité annonce celui où il endossera, sept ans plus tard, son vêtement de prince de l’afro-pop : Soro. Et ces premiers pas d’une marche triomphale sont guidés par ce visionnaire que fut Kanté Manfila, dont la technique à la guitare, élégante autant qu’éloquente, est l’autre attrait de ce disque rare.
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