Surtout, dis à tes lecteurs de ne pas acheter notre album, cette pourriture technologique.? Bienvenue au monde des Amish du rock. Ici, le temps a cessé de courir le jour où le premier synthé a débarqué à Liverpool. On a donc fermé la porte au futur pour se consacrer à un présent éternel, où les […]
Surtout, dis à tes lecteurs de ne pas acheter notre album, cette pourriture technologique.? Bienvenue au monde des Amish du rock. Ici, le temps a cessé de courir le jour où le premier synthé a débarqué à Liverpool. On a donc fermé la porte au futur pour se consacrer à un présent éternel, où les morveux viennent crânement rivaliser avec des Stones sans gras, des Kinks sans rides. En refusant notre présent, les La s ont établi leurs propres règles et leur propre unité de temps. Cinq ans de vie, trois singles et cet album. N’importe quel autre groupe serait déjà vieux, aigre et empâté. Mais qu’est-ce que cinq ans lorsqu’on a créé son histoire du monde, Diddley et Elvis pour la première pierre, les Pistols pour l’Apocalypse ?
Puisqu’on vit à un autre rythme, autant passer sa jeunesse immortelle avec ses meilleurs amis ? un ballon de foot pour rigoler, une guitare sèche pour fredonner. Sans don, les La s auraient vécu heureux sur leur planète. Mais on n’écrit pas des trésors comme There she goes sans devoir partager. Ce sera le malheur des La s. Depuis deux ans, le groupe se débattait avec le vilain monde du disque, jetant systématiquement aux orties ce fameux premier album, pollué ? selon eux ? par la technologie, les producteurs, les studios modernes, tout ce monde extérieur et menaçant. Aujourd’hui sort, de guerre lasse, ce trente immédiatement répudié. Pourriture technologique On croit rêver. Lee Mavers, la forte tête de ces La s, me faisait récemment écouter les chansons qu’il aurait voulu entendre sur l’album. Enregistrées du premier jet, dans un studio rafistolé, ces versions rugueuses vibraient, dérapaient. Mais lui dansait, les yeux fermés, certain de jouer au Paradis. Perdu dans son intégrisme, cet anti-McAloon a refusé que l’on corrige ses chansons. A prendre ou à laisser. C’est finalement lui qui a laissé, rejetant en bloc la production numérique ( Ma musique ne peut pas se transformer en chiffres’, sic) d’un Lillywhite pourtant bien effacé. Un massacre technologique imperceptible pour quiconque n’appartient pas à la secte La s : son à peine éclairci, chansons tout juste dégrossies, le minimum syndical. Sans engendrer la moindre révolution, l’album aurait pu sortir en 66 : absence de gimmicks, instrumentation sur l’os, sens mélodique totalement disparu de nos jours. Pas de passéisme, de revival. Le monde s’est vraiment arrêté, on est de plain-pied dans les sixties prolos anglaises, gueules de petites frappes à faire fantasmer Morrissey, à batailler à l’Opinel dans les fêtes foraines, à parler avec fierté le scally-slang des gouapes locales ( La s’ pour Lads’, littéralement les gars, les mecs). En jouant avec de telles œillères, on évite avec bonheur tous les clichés dans l’air (pas un dance-beat à l’horizon). Bien sûr, on se confit aussi parfois dans la certitude d’avoir raison et on ne vise pas toujours juste : lyrisme approximatif, rengaines quelquefois farcies comme une dinde Mais on peut tout se permettre avec un cœur et un talent comme ça : l’arrogance, la paresse, l’isolationnisme forcené. Je ne vois guère que ce sale business pour tuer à feu doux Lee Mavers, son don et ses La s.
Et ce jour-là, je prendrai le maquis. Give me one last kiss before I walk out of this’? Demain, tout le monde voudra venir de Liverpool.
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Archives du n°26 ( nov/déc 90)
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