Deux Londoniens explorent les abysses et la banquise dans un rock malade et fascinant. Critique et écoute.
La scène se passe dans un magasin de disques londonien, on ne demande rien à personne, on fait ses courses, les doigts pianotant sur le bac de 45t, quand, soudain, une chape noire s’abat sur la boutique : un son maléfique, malsain, accablant, où les échos remontent des abysses, où le chant vient d’outre- tombe. On est tétanisé, fasciné. Des inédits brutaux de Joy Division ? La suite tant attendue du Upside down de The Jesus & Mary Chain ? L’avant-première de l’Apocalyse ? L’échographie d’un monstre ?
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On entend tout ça dans ces chansons diffractées, malfaisantes, qui font vibrer le magasin, réduisant les badauds au silence, à l’effroi. Soudain, à Londres, la température a chuté. La vendeuse, alors qu’on bredouille des phrases effarées, nous tend la pochette : on attendait l’exhumation d’un de ces classiques de la cold-wave que l’on aurait enterrés comme des fûts toxiques, pour éviter tout contact avec la population, tout risque sur son moral. Mais c’est le nouvel album de The KVB, duo mixte qui a réussi à remettre danger et méchanceté dans un son que des centaines de groupes, antiquaires eighties, se sont contentés de singer, de simuler, d’aseptiser. C’est la différence exacte entre un zoo et la jungle : The KVB a arraché les grilles.
Et les larsens retrouvent l’état sauvage, le bruit blanc ne fait plus le beau pour trois cacahuètes : rock primitif, malade, patraque, rockabilly de la misère des banquises, trois notes très basses qui racontent le malheur et l’isolation, le mal-être, le mal-vivre, le mal-sexe. Et pourtant, même dans cet état comateux, même dans ce chaos sonique, dans ces trébuchements hagards et électriques, les deux Londoniens trouvent encore le moyen de mettre les formes, d’ébaucher des mélodies, de relever la tête pour des refrains sonnés mais fiers.
On appelait “shoegazing” une façon de jouer le rock strident et écorché, la frange dans les godasses. Kat et Nicholas, sans doute même pas nés à cette époque de turbulences, poussent la logique plus loin, la mèche dans les godasses, certes – moins on voit le monde, mieux on se porte –, et le moral dans les chaussettes. Mais là où tant de groupes post-Spacemen 3 auraient joué cette symphonie désabusée au ralenti, affaissés, enkylosés, The KVB la joue ici avec urgence et rage. Joyeux Noël.
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