De retour après trois ans d’absence, les Anglais livrent un troisième album surprenant et ambitieux. Rencontre avec Luke Pritchard, leader bouclé des Kooks et écoute intégrale de Junk Of The Heart.
Que vous est-il arrivé depuis la sortie de votre dernier album en 2008 ?
Luke Pritchard : Oula… grande question… (Luke jette un œil vers la porte) Je cherche un moyen de m’échapper là (rires). Bon, alors… par où commencer… Nous avons énormément tourné d’abord, puis on a pris du temps pour nous, pour rester à la maison. Je crois qu’on en avait besoin. Après cela, on a commencé à réfléchir au troisième album, sous différentes formes, de différentes façons. Nous avons enregistré un peu, joué entre temps. Mais c’est vrai qu’on a surtout pris du temps pour traîner à Londres.
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Quand la musique est à la fois ta passion et ton job, ça doit paraître bizarre de vouloir faire un break pendant quelques temps, non ?
On n’a pas vraiment arrêté de faire de la musique, seulement pris du temps sans tourner, sans agenda. Être dans le tourbus avec les mêmes types pendant des mois, ça devient pesant (rires). On avait seulement besoin de se concentrer sur nos vies personnelles un peu, chose que l’on ne peut pas vraiment faire en tournée. J’ai une petite amie depuis un moment, j’avais envie de passer du temps avec elle aussi. Pete (Denton, basse, ndlr) a eu un enfant et il avait besoin d’être auprès de lui. Ça n’empêche pas la musique d’être toujours là, même si, évidemment, on est passé par une phase bizarre où on s’est demandé pourquoi on continuait à faire de la musique.
Vraiment ?
Quand on a commencé les répétitions avant l’enregistrement du troisième album, j’avais ce sentiment étrange de ne pas vouloir être là. Je n’étais ni excité, ni inspiré. Je crois que nous étions lassés de faire la même chose d’une certaine manière. Mais au lieu de nous séparer, on a trouvé une autre voie, une autre façon d’enregistrer. On a beaucoup plus travaillé sur ordinateur. On a construit les morceaux progressivement plutôt que de les enregistrer tous ensemble en live. On s’est beaucoup posé de questions, parce que tout a commencé quand on était très jeunes. Après le deuxième album notamment, on a remis en question les thèmes de nos chansons, ce genre de choses. Je me suis sincèrement demandé pourquoi je continuais à faire ça, si j’avais réellement envie de continuer à être dans ce groupe ou non.
Qu’est-ce qui vous a sauvé selon toi ?
En fait, on a jeté la moitié de l’album qu’on avait commencé à enregistrer avec Jim Abbiss (producteur de Kasabian, ndlr) et ça a été très cathartique. Ces premières sessions ressemblaient trop à ce que l’on avait déjà fait auparavant. On a eu envie d’expérimenter de nouvelles choses, de se débarrasser de la pression qu’on avait sur les épaules et de faire un album pour nous et non pas pour les autres.
C’est assez compliqué de faire de la musique sans se soucier totalement de ce que les gens vont en penser non ?
Oui, c’est vrai. Je mentirais si je disais que je me fiche de ce que les gens pensent. C’est faux. J’ai envie qu’ils aiment cet album, ou plutôt de provoquer chez eux une réaction, peu importe qu’elle soit positive ou négative. Cet album a seulement été un tournant, un moment clé où nous avons tous décidé de laisser derrière nous ce que nous avions déjà fait pour nous faire plaisir. Ce n’est pas évident quand tu fais cela depuis aussi longtemps.
Quel âge avais-tu lorsque tu as commencé à jouer avec les Kooks ?
Dix-huit ans. J’en ai vingt-six aujourd’hui. Ça fait huit ans, et on n’a sorti que trois albums, tu imagines ? (rires)
Quel regard portes-tu sur tes débuts, ceux du groupe ? Tu te rappelles de la façon dont tu as géré le succès de votre premier album ?
C’était à la fois une période très bizarre et très cool. J’ai développé des complexes assez étranges à ce moment-là. Je suis devenu très complaisant avec moi-même, très autocentré. Ce n’était pas bon. C’est la plaie des musiciens. Je sais que ça touche tous les gens qui se retrouvent sous les projecteurs, mais je crois que c’est pire pour les musiciens parce que quand tu montes sur scène, le public est là, sous tes yeux. C’est très dur de se détacher de cela, de ne pas penser que tout le monde guette tes moindres faits et gestes. Après, j’avais dix-huit ans et forcément, à cette époque, j’avais envie de… enfin (Luke hésite)… de faire n’importe quoi ! (rires) Je ne réfléchissais pas trop à tout ça. Ça a été très différent pour le second album. Je me rappelle de tout ce qui s’est passé cette année là mais je me suis senti beaucoup plus déconnecté de tout cela que lorsqu’on a sorti notre premier disque. Pour le troisième, ça a encore été très différent parce qu’il a fallu faire un sacré réajustement. Faire de la musique n’est pas évident, surtout en tant que songwriter. C’est très facile de se perdre. Je me suis perdu à un moment.
Tu doutes beaucoup de toi en tant que songwriter ?
Evidemment. Parfois je me dis que je suis le meilleur songwriter qui n’ait jamais existé et le lendemain, que je suis le pire type de la Terre (rires). C’est extrême, mais c’est le cas pour tout le monde. C’est simplement très exacerbé quand tu es dans un groupe et ça peut poser beaucoup de problèmes lorsqu’il s’agit de se remettre à l’écriture d’un album. Le souci que j’ai eu, c’est que ce que je voulais être, ce que je voulais faire en tant que musicien, était très éloigné de ce que j’étais réellement au moment de l’enregistrement de notre troisième album. C’est pour cela qu’on s’est tous dit : « cette fois-ci, il faut se jeter à l’eau les gars« . Et c’est aussi pour cette raison que je pense que cet album est le meilleur qu’on ait fait.
Quels souvenirs gardes-tu de l’enregistrement de Junk Of The Heart ?
Une fois qu’on s’est décidé à travailler différemment, c’est devenu génial. C’était une expérience tellement cool. On pouvait faire ce qu’on voulait. C’était un processus très expérimental qu’il fallait faire coller avec ma façon d’écrire, qui reste très pop.
Tu as commencé par écrire seul dans ton coin ou tu as écrit les textes des chansons au fur et à mesure en studio ?
C’était bizarre. Comme je te le disais tout à l’heure, on a d’abord enregistré une moitié d’album qu’on a fini par balancer à la poubelle. Puis j’ai rappelé Tony Hoffer (producteur des deux premiers albums des Kooks). Il m’a rejoint à Londres avec son ordinateur, des boîtes à rythmes, des synthés… Je lui ai joué mes chansons et c’est lui qui m’a permis de faire ce que j’avais en tête : quelque chose de très moderne, de frais. Quelque chose qu’on avait jamais fait avant. Il m’a donné pas mal de conseil, de directions à prendre : mêler les beats et la guitare acoustique, utiliser des pédales de loop… Ça m’a beaucoup aidé. On a passé pratiquement deux semaines à bosser ensemble et c’est à ce moment-là que j’ai écrit la plupart des chansons de l’album. Ensuite, on a retrouvé les autres qui ont commencé à jouer ce qu’on avait enregistré. Paul, (Garred, ex-batteur des Kooks qui a quitté le groupe début 2010, avant de revenir pour l’enregistrement de Juke Of The Heart, ndlr), est revenu. On a répété cinq jours et on est partis à Los Angeles pour enregistrer. Ça a été très rapide. Le processus était très différent de tout ce que nous avions fait auparavant puisqu’on a construit les morceaux au fur et à mesure à partir de démos très basiques. Parfois, je ne venais pas en studio et Hugh (Harris, guitare) y passait la journée pour rajouter des guitares. D’autres jours, c’est moi qui restais enfermé des heures pour faire les voix.
Vous n’avez pas du tout enregistré tous ensemble dans la même pièce ?
Si, on l’a fait pour quelques titres : Mr. Nice Guy, Eskimo Kiss… Mais pour le reste, non. C’était plutôt chouette en fait. On avait besoin de changement.
Le son des Kooks a toujours été très anglais. Ta façon d’écrire l’est aussi. Pourquoi avoir fait de nouveau appel à un producteur américain comme Tony Hoffer ? Penses-tu que cela ait changé votre son d’une certaine manière ?
Plus que Tony, je pense que c’est le fait d’avoir enregistré en Californie qui a donné un son moins anglais à cet album par rapport aux précédents. Après, évidemment, Tony a joué un rôle très important : il n’a pas seulement produit Junk Of The Heart, il a aussi joué dessus. Au-delà de ces changements là, je pense que ma voix reste très anglaise quoi qu’il se passe. On a simplement essayé de faire un album plus ensoleillé, et par la force des choses, un peu plus détaché de l’Angleterre. On voit tellement de groupes qui ne chantent que des choses négatives. On voulait faire quelque chose à l’opposé de ça, quelque chose de joyeux, d’exalté. L’ambiance californienne nous a beaucoup aidés là-dessus.
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