Ils auraient dû mettre en boîte un nouvel album cette année. Au lieu de cela, Alison Mosshart et Jamie Hince ont profité du temps de confinement pour fomenter Little Bastards, une compilation riche en démos et raretés enregistrées entre 2002 et 2009. Dans cette interview fleuve, ces sales gosses reviennent sur une carrière à écumer les salles, le regard dans le rétro d’une vieille bagnole américaine. Rencontre.
Ça va, Jamie ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Jamie – Je suis très fatigué…
T’es où ?
Jamie – Los Angeles. J’ai passé la nuit au studio, jusqu’à quatre ou cinq heures du matin. Il est onze heures, donc je n’ai presque pas dormi.
Et toi, Alison ? Toujours à Nashville ?
Alison – Oui. Nashville, Tennessee !
Vous venez de sortir Little Bastards, une compilation de titres des Kills enregistrés entre 2002 et 2009. Après un certain nombre d’années dans le circuit, il était plus évident pour vous de dévoiler une collection de b-sides et raretés, plutôt que de compiler vos meilleurs morceaux dans un greatest hits ?
Jamie – Disons qu’il y a des morceaux ici qui me semblent atemporels, des titres sortis en single et face b à l’époque, que tu ne trouvais plus nulle part aujourd’hui, les plateformes de streaming ayant tendance à ne mettre en avant que les hits. Et Laurence Bell, le boss de Domino Records, voulait faire en sorte de donner plus de visibilité à ces chansons. Il n’a donc jamais été vraiment question de sortir un best of.
C’est mieux ainsi. Je ne sais plus qui disait cela : “Les greatest hits sont faits pour les morts et les groupes qui n’existent plus”…
Alison – Non, non. Il n’a jamais été question de cela. Tu sais, on a passé notre vie entière à foncer et à regarder devant et puis, tout d’un coup, le monde entier s’arrête. Il arrive donc un moment où t’as envie de faire le point, de faire, comment dire, une sorte de rétrospective. Je pense que c’est le genre de choses qui ont pu aider certains à traverser cette période – c’était donc très plaisant et agréable de remettre le nez dans ces morceaux. Et puis, si on ne l’avait pas fait là, quand l’aurait-on fait ? On essaye toujours plutôt de bosser sur des trucs nouveaux.
>> A lire aussi : The Kills déconfine raretés et inédits, et ça vaut le coup
Jamie – Ouais, je veux dire, c’est vraiment cette période de pandémie et de confinement qui a permis l’existence de ce disque. Rien ne nous aurait forcés à le faire, sinon. On était plutôt dans le cycle d’écriture d’un nouveau disque, les conditions étaient réunies, et puis il s’est avéré que la vie n’allait d’un coup plus être la même cette année. Sortir un album et des nouvelles chansons sans pouvoir tourner pour les défendre sur scène n’a aucun sens. L’idée de sortir un disque sans rien de nouveau dessus a donc émergé.
Ça marche plutôt bien, j’avais oublié la reprise de Gainsbourg, La chanson de Slogan, traduite I Call it Art, en anglais, par exemple. Le morceau était sur une compilation fomentée par les Inrocks, d’ailleurs : Monsieur Gainsbourg Revisited (2006). Vous pensez que des jeunes gens vont découvrir les Kills avec ce disque ?
Jamie – Je sais pas… Je dois dire que je ne vois pas Little Bastards comme une introduction à l’œuvre des Kills. Il y a quand même sur ce disque des trucs assez obscurs. L’intérêt, selon moi, est musical. C’est comme une sorte de journal, le témoignage d’un temps où un groupe enregistrait des chansons sur un dictaphone, ou un 4-pistes. Aujourd’hui, tout me semble trop produit, en contraste avec ces chansons, qui ont souvent été enregistrées dans une chambre avec le genre d’enregistreur dont je viens de te parler. C’est un truc que tu peux entendre sur cet album, ce n’est plus tellement des choses qui se font aujourd’hui. L’idée n’est pas de faire découvrir quoique ce soit à qui que ce soit, mais plutôt de montrer d’où l’on vient à travers ces enregistrements.
D’ailleurs, si je suis bien informé, Little Bastard est le surnom que vous donniez à la boîte à rythmes de vos débuts, n’est-ce pas ? Une Roland 880, je crois.
Alison – Oui, c’est ça. C’est une machine que l’on a très longtemps utilisée. On n’avait pas un rond pour acheter autre chose, on n’avait pas de batteur et Jamie avait cet enregistreur digital 8-pistes avec lequel on faisait tout. On enregistrait avec, on s’en servait comme boîte à rythmes, ce truc nous a suivis en tournée pendant presque dix ans, c’est un peu le troisième membre du groupe. N’importe quoi pouvait arriver, cette petite machine n’a jamais lâché. C’est ce qu’on appelle un chef-d’œuvre d’ingénierie !
Le disque couvre donc la période 2002 – 2009, soit de l’album Keep on Your Mean Side (2003) à l’album Midnight Boom (2008). Une autre époque. Que ressentez-vous quand vous regardez dans le rétro, quand vous étiez jeunes et imprudents ?
Jamie – Déjà, un premier truc à noter : tout s’est passé si vite. Je sais, quand je repense à 2002, aux premiers shows des Kills, c’était il y a 18 ans. Une éternité, mais c’est comme si c’était hier. J’ai pas vraiment vu le changement arriver, même si je constate à quel point tout peut être différent aujourd’hui. On en parlait l’autre jour justement. En 2002, tu n’avais pas besoin de passer ta journée derrière ton ordinateur ou de regarder ton téléphone, maintenant ces conneries te prennent un temps fou. Rien de tout cela n’existait, là tu l’utilises pour tout : prendre des photos, dessiner, bricoler. J’ai l’impression qu’on était dans quelque chose d’immersif avant, tandis qu’aujourd’hui, il y a une distance, on observe et commente davantage le monde.
Vous avez l’impression d’être absorbé par ces technologies, ou c’est quelque chose que vous avez apprivoisé ?
Alison – Je ne suis pas trop dans ces trucs, mais c’est devenu une nécessité, même si ça t’emmerde. Je préférerais balancer certains trucs par la fenêtre plutôt que de les utiliser toute la journée, mais c’est comme ça.
Jamie – Je ne suis pas un puriste en matière d’enregistrement ou de création. Il y a un côté vraiment libérateur d’être capable d’enregistrer des trucs sur un grand nombre de pistes pour quelques centaines de dollars et d’éditer ta vidéo sur Final Cut Pro. Tu peux shooter avec ton téléphone, monter ton clip sur ordinateur portable et boum, t’obtiens une formidable œuvre de cinéma. C’est pas le genre de truc que t’avais en 2002.
Alison – (Elle se marre) Ouais, à l’époque t’avais ton caméscope et c’était super !
C’est d’ailleurs assez étrange de se parler à travers un écran, comme si on était des cadres de chez IBM en réunion internationale. Quand j’étais ado, en 2005 je pense, je me rappelle avoir lu une interview des Kills dans laquelle Alison disait que certains groupes voulaient connaître très vite le succès, alors qu’avant cela, il fallait apprendre à passer par tous ces moments un peu crades, où tu dors dans ta bagnole avec ton pote, joues dans des rades sans personne pour assister au concert ; être constamment sur la route, en fait, avec ton ou tes partenaires du groupe. Qu’il fallait vivre cela. C’était inspirant. Les morceaux sur Little Bastards puent la banquette arrière et le cendrier qui déborde.
Alison – Mais c’était ça, oui. C’était le truc. C’est comme ça qu’on vivait, c’est comme ça qu’on faisait tout. Je ne sais pas si c’est un truc qui s’apprend, je dirais qu’il faut juste que tu te fasses à l’idée que c’est comme ça que les choses sont. Je ne vois pas d’autre alternative si tu veux vraiment faire de la musique et que tu n’as pas une thune et que tu veux en ressortir quelque chose. J’imagine que c’est quelque chose auquel t’es naturellement confronté à un moment donné. Mais, les chansons sur ce disque ont vraiment été faites dans ces conditions : écrites dans la journée, enregistrées entre minuit et cinq heures du matin, et boom, c’est déjà l’heure de filer dans une autre ville de l’Ohio ou je ne sais où.
Tu vois le truc ? On n’avait pas quelqu’un pour nous dire : “Hey, en avant, soyons incroyablement créatifs et géniaux !” On faisait juste ce qu’on pouvait et, d’une certaine façon, ces morceaux montrent vraiment l’esprit du truc dans son ensemble. Et quand tu jettes un œil à ce que tu as fait, même si rien n’est parfait, même si t’as pas laissé derrière toi la meilleure chanson que tu n’écriras jamais, c’est important de se lancer, surtout au début de ta carrière. Ça te donne la force ensuite de gérer n’importe quelle merde qui peut te tomber dessus. Et maintenant, je dois dire que je suis contente d’avoir été confrontée à tous ces foutus moments.
Jamie – Notre première tournée, je veux dire, c’était vraiment ça. On n’avait pas de tour manager ou quoique ce soit, on s’en foutait de savoir si la salle où nous allions jouer le soir était cool, on s’en foutait même de savoir si des gens allaient se pointer pour nous voir jouer. Ça n’avait aucune importance. Ce genre de connerie n’avait strictement aucune importance, mec. La mentalité, c’était d’y aller, ça finira bien par grandir et prendre de l’importance. Un truc va bien finir par se passer. Et j’imagine que si tu ressens ce genre de sentiment en écoutant ces chansons, c’est parce qu’on se disait : “Mettons ça en boîte, on verra ce qu’il se passe !”
Vous vous rappelez quoi de cette première tournée ?
Jamie – C’était aux Etats-Unis, on a passé trois mois sur la route.
Alison – Trois mois à sillonner encore et encore l’Amérique (elle se marre).
Jamie – On a pris un avion pour la Floride, on s’est acheté une bagnole pour quelques dollars, on a foutu les amplis, la guitare et Little Bastard sur la banquette arrière et je pense qu’on s’est fadé toutes les villes des Etats-Unis. C’était fou, on était juste ces deux pauvres individus dans une caisse, débarquant dans une salle avec toute l’envie du monde de jouer, et on repartait comme des super-héros vers notre prochaine étape. On se disait : “Que vient-il de se passer, là !?” C’était magique.
Comment vous vous démerdiez à l’époque pour booker vos dates ?
Alison – A l’époque, on n’avait ni adresse mail ni téléphone portable, ni rien. Donc, tu vas rire, mais j’écrivais des lettres à la main et j’allais les poster à toutes les salles. C’est le truc le plus drôle à propos de cette tournée, je crois. On avait quelques CD gravés avec une poignée de morceaux dessus que je glissais dans l’enveloppe, on ne s’appelait même pas The Kills, on n’avait pas de nom de groupe, et je suppliais le taulier du lieu : “SVP, laissez-nous jouer, ça va être mortel, je vous le promets !” Façon de tenter le tout pour le tout (elle se marre). Et quand ils répondaient, qu’ils nous disaient “Ok”, alors c’était un deal. Ce qui est complètement barjot quand t’y penses aujourd’hui. J’envoyais juste ces foutues lettres, on se faisait booker, et on prenait la route. Et on ne savait pas vraiment si les mecs allaient se souvenir qu’ils avaient répondu positivement et s’ils avaient bien noté la date ! C’est même arrivé quelques fois ! Mais avant de tourner avec Jamie, j’avais déjà beaucoup ratissé le territoire, j’avais toujours fonctionné comme ça, en envoyant des lettres, et ça avait toujours fonctionné. C’était si cool, ça impliquait une telle confiance de la part de tout le monde.
Jamie – C’est ça : la confiance. Il y a une tonne d’informations disponibles pour un mec qui te rencontre pour la première fois, aujourd’hui. Il peut checker sur Google et voir de quoi il retourne à ton sujet. Il n’y avait rien de tout ça quand on a commencé, on jouait sans même avoir de nom. La seule chose que les mecs qui nous bookaient avaient, c’était ces lettres. On y allait au bluff. Quand on a rencontré Steve Aoki (Boss du label Dim Mak, ndlr), il voulait sortir notre disque, mais nous n’avions aucun disque à sortir ! On n’avait rien enregistré ! Je sais pas, mais j’ai l’impression que ça ne pourrait plus être pareil aujourd’hui. Parce que, de nos jours, que l’on parle d’un projet d’art, d’un artiste ou d’un groupe, tu peux instantanément connaître toute l’histoire du truc sur Internet. Je dois avouer que j’aimais bien ce temps où tu ne savais pas à coup sûr de quoi il retournait. Tu devais vraiment découvrir les choses par toi-même.
Alison – C’était un temps où il fallait prendre des risques. Et je pense que dans ce business, les gens ne prennent plus assez de risques aujourd’hui. A l’époque, certains prenaient le risque de nous booker et nous, on prenait le risque de parier sur le fait qu’ils prendraient ce risque (elle se marre). Et je pense que c’est formateur. Pas seulement pour ta carrière, mais aussi pour ton état d’esprit en général, tu vois ? Tout était possible, le seul truc dont on avait besoin, c’était l’essence pour continuer à rouler. C’était fabuleux. C’est comme ça que tu forges tes opinions, c’est avec ces expériences que tu apprends vraiment à connaître quelqu’un avec qui tu vas rester lié le reste de ta vie. Cette façon d’assurer ses arrières dans la musique est une perte et je suis heureuse que notre groupe soit apparu quand il est apparu. Je serais triste aujourd’hui si je n’avais pas tous ces souvenirs en tête. Et cette folie aussi.
Vous réalisez que si vous racontiez votre histoire comme vous me la racontez maintenant à un teenager aujourd’hui, il pourrait penser que vous êtes un groupe des sixties ?
Alison – Je pense que les choses n’étaient pas si différentes au début des années 2000 qu’elles ne l’étaient dans les sixties. On a fait un bon technologique incroyable, qui a, graduellement, fini par englober toute ta vie.
Jamie – Il faut quand même dire que les téléphones et les ordinateurs existaient au début des années 2000, c’est juste que ce n’était pas aussi répandu, c’était des trucs luxueux, il me semble (il rigole).
Vous vous connaissiez depuis longtemps quand vous avez commencé à tourner tous les deux ?
Alison – Ça faisait déjà quelques années. J’ai rencontré Jamie quand j’avais 18 ans, à Londres. J’ai déménagé là-bas à l’âge de 20 ans, je crois, et c’est là qu’on a vraiment commencé. On est parti en tournée pour la première fois un an et demi plus tard, ou un truc comme ça.
Vous vous souvenez de votre première rencontre ? Qu’avez-vous pensé l’un de l’autre ?
Jamie – Alison était si timide, elle me parlait à peine. Je ne savais pas si c’était sa nature, ou juste avec moi. J’imagine que je prenais trop de place. Elle ne me parlait juste pas. Et puis je l’ai vue jouer avec son groupe, c’était dans un petit pub au coin de la rue, et c’était exceptionnel. Elle était complètement différente. Elle était muette quand elle n’était pas sur scène et sur scène c’était tout l’inverse. Et j’ai dit à mon pote que si je devais lancer un nouveau projet, ça serait avec elle. C’était magique de la voir. Je me suis dit : “Wouah, ça, c’est quelque chose.” Et tu sais, il y a une vibe à Londres, les gens parlent beaucoup de lancer des trucs, mais ne font pas grand-chose au final. Donc, je n’étais pas certain qu’un jour on puisse vraiment être un groupe, jusqu’à ce qu’elle fasse le premier pas.
>> A lire aussi : The Kills en 2003 : “Nous avons enregistré jour et nuit en avalant des tonnes de café”
Alison – La première fois que j’ai vu Jamie, je me suis dit que c’était la personne la plus cool que j’ai pu croiser dans toute ma vie. C’est terrifiant, je sais (elle éclate de rire). Et je l’ai invité à jouer de la guitare, par terre, parce que je vivais juste en bas des escaliers d’un vieux bâtiment, et en le voyant jouer je me suis dit encore une fois : “Oh non, c’est vraiment le mec le plus cool du monde.” Le seul truc que je savais, c’est que j’avais ce sentiment très fort qu’on se connaîtrait lui et moi pour toujours et qu’on ferait des choses ensemble. Mais j’étais si timide, c’était insensé. C’était difficile pour moi, à l’époque, de le dire, comme ça. Et puis j’ai petit à petit commencé à parler. Mais je ressentais ça vraiment, comme un sixième sens. Comme savoir que quelqu’un fera partie de ta vie, même si tu n’as pas encore ouvert la bouche. C’est un sentiment très fort, le genre qui ne t’arrive pas souvent dans la vie. Et quand ça arrive, tu réalises que ta vie va complètement changer.
Vous êtes arrivé au moment où le rock était partout, dans les clubs au début, puis partout, sur MTV, dans les pubs, dans la mode. A l’époque, la musique que vous faisiez était à la mode.
Alison – Je sais pas, les choses vont et viennent. Je jouerai probablement de la musique punk à guitare toute ma vie, parce que c’est ce que j’ai toujours aimé jouer. C’est ce que l’on faisait à l’époque et c’est ce que l’on continue à faire aujourd’hui. Donc, oui, c’était bien d’être présents à une époque où le rock était particulièrement apprécié, c’était presque choquant même, mais c’est la musique qu’on aurait jouée de toute façon. Je ne sais pas. Jamie, tu dirais quoi, toi ?
Jamie – Monter un groupe de rock à l’époque, ça ne coûtait rien. Tu sais, à la fin des années 90, la scène musicale était partagée entre quelques songwriters qui faisaient des trucs calibrés pour les stades, de l’EDM et des trucs de DJ, et c’est tout. A cette époque, tout le monde a voulu être un DJ à un moment donné. Ça ne coûtait pas grand-chose, finalement, de te payer une vieille guitare et un ampli. Avec ça, tu pouvais monter un groupe. C’était fantastique. Ce n’est plus pareil, une guitare aujourd’hui, ça coûte une fortune. Maintenant, la tendance va vers les logiciels et les softwares, c’est la façon que les gens ont de faire de la musique aujourd’hui, parce que c’est pas cher et accessible. Et c’est quelque chose que je comprends très bien.
J’imagine que l’on peut encore, en 2020, faire ce genre de musique avec peu de moyens, et la faire connaître, sur Internet ou ailleurs. Finalement, les Kills ont un statut aujourd’hui qui permet au groupe de ne pas être dépendant des tendances, non ? C’est peut-être plus difficile pour des groupes plus jeunes.
Jamie – C’est quelque chose que tu vois quand tu fais des festivals. Tu débarques le matin avec le matos, tu restes sur le site toute la journée en attendant de jouer le soir, et le seul truc que tu entends résonner partout, c’est de l’EDM. Toute la foutue journée. A partir de quand ça a merdé ? J’avais l’impression d’entendre des guitares partout avant, et les gens sautaient partout malgré tout.
Little Bastards témoigne d’un temps où vous mettiez en boîte des disques pour pas cher. Vous avez eu plus de moyens par la suite. Vous n’avez jamais eu peur à un moment de perdre cette énergie et cette spontanéité des débuts ?
Jamie – Je n’ai jamais pensé que la musique lo-fi devait être une esthétique. C’était une nécessité. Ça n’a jamais été autre chose. Il aurait vraiment été artificiel de produire de la musique toute notre carrière de cette façon. Ce son décousu, usé jusqu’à la corde et cheap, a fait son temps et, bien entendu, nous avions de grandes ambitions pour notre musique. Quelque chose qui nous surprenne, mettre à profit tout ce matériel qui nous entoure, la technologie à notre disposition, c’était important pour nous. On n’a jamais fait du DIY une posture.
Alison – Si tu as la possibilité d’aller dans un studio, si tu as la possibilité de travailler avec quelqu’un qui manie bien certains outils, et qu’en plus tu prends ton pied à le faire, alors il faut foncer. Parce que c’est un truc que tu ne pouvais pas faire avant et que c’est l’opportunité pour toi de faire autre chose. Il n’a jamais été question dans notre parcours de nous répéter, jamais. Que ce soit dans la façon de sonner ou dans la manière d’enregistrer, les gens, ou n’importe quoi d’autre. Sinon, on se serait emmerdé, tu comprends ? Et, par conséquent, le public aussi s’emmerderait. Et quand on nous dit “hey, on adore votre premier album comme au premier jour”, c’est cool, mais qui voudrait jouer ça toute sa vie ? Tu dois continuer à te forcer à aller vers des territoires moins confortables et plus flippants. Parce que ça fait aussi partie du fun.
Jamie – Je crois que les choses arrivent sans même que tu y réfléchisses trop. Le groupe se développe, tu deviens plus populaire et, au bout du compte, tu fais aussi de la musique pour les gens. Quand tu bosses en studio, tu le fais aussi pour un public. Pour toi, évidemment, mais aussi pour les autres.
Je me rappelle de la transition entre Keep on Your Mean Side (2003) et No Wow (2005), que j’ai trouvé moins immédiat, moins facile d’accès, plus radical. Alors que vous auriez pu prendre un virage pop instantané après le succès du premier album.
Jamie – Je vois ce que tu veux dire. Après la sortie du disque, on a emmené Keep on Your Mean Side en tournée et maintenant que tu me parles de ça, je me souviens de ces shows à Milan, à Berlin, à Paris… On a joué ce disque dans des lieux underground, il y a cette passion, cette vibe, cette attitude, on avait vraiment l’impression que quelque chose était en train de se passer. Après ça, comment aurait-on pu faire un album pop ? La ferveur des gens à ces concerts, la transpiration, tout cela.
Vous avez senti, à un moment de votre parcours avec les Kills, qu’il vous fallait prendre l’air ? Et que les projets à part sur lesquels vous bossiez pouvaient alimenter plus tard la créativité des Kills ?
Alison – Je ne sais pas, j’ai tendance à tout mélanger tout le temps. Parmi les trucs sur lesquels j’ai bossé seule cette année, il y avait un morceau pour un show télé (le maxi regroupant les titres I Ain’t Water et Rise, ndlr). Et Laurence Bell (le boss de Domino Records, ndlr) m’a dit : “Hey, on devrait sortir ça !” Je me suis dit pourquoi pas, je n’avais pas pensé avant à faire un tel truc. Mais ça m’a fait du bien de sortir quelque chose de nouveau, particulièrement cette année, en pleine pandémie. Et, par ailleurs, je trouve que c’est un moment idéal pour parler de musique. Chaque projet sur lequel tu travailles enrichit d’autres projets, parce que tu finis toujours par remarquer des influences et des références auxquelles tu n’avais jamais fait attention avant. Et tu apprends toujours plus en travaillant avec d’autres gens, dans différents lieux. En voyageant, tu accumules toujours plus d’expérience aussi.
On en revient à la banquette arrière des bagnoles. Il y a toujours une voiture quelque part, y compris sur tes derniers projets solos. Je pense à ton album de spoken-word, Sound Wheel, sorti cette année.
Alison – Je sais pas, j’ai toujours aimé les voitures depuis toujours, je suis obsédée par les bagnoles. Les voitures infusent d’une certaine manière tout ce que je fais. Toutes mes chansons ne parlent pas de bagnole, mais j’ai mis des voitures sur les pochettes (elle rigole).
>> A lire aussi : Échappée des Kills et de Dead Weather, Alison Mosshart fétichise la voiture sur un album et un livre
Les Kills vont bientôt revenir ?
Jamie – On est très productifs, on a beaucoup de choses sous le coude. On avait prévu de rentrer en studio cette année, mais avec ce qu’il s’est passé, on a un peu changé de direction. Mais, mec, t’imagines pas à quel point sortir un disque constitué de Faces B et autres raretés déjà enregistrées peut bouffer tout ton temps et ton énergie (ils se marrent).
Quelque chose à rajouter ?
Alison – Passe le bonjour à la France pour nous, on est pressé de revenir.
Propos recueillis par François Moreau
{"type":"Banniere-Basse"}