Il y a entre ces deux hommes une histoire de banane. Précédés d’une tête par Warhol qui en tire la pochette du premier Velvet en 67, Donovan et Kevin Ayers comptent en effet parmi les tout premiers admirateurs de ce fruit oblong et moucheté aux évidentes qualités emblématiques. Incongrue, drôle et sucrée, la banane présente […]
Il y a entre ces deux hommes une histoire de banane. Précédés d’une tête par Warhol qui en tire la pochette du premier Velvet en 67, Donovan et Kevin Ayers comptent en effet parmi les tout premiers admirateurs de ce fruit oblong et moucheté aux évidentes qualités emblématiques. Incongrue, drôle et sucrée, la banane présente à leurs yeux une heureuse échappatoire aux pâquerettes tristounettes et anémiques du flower-power. Pour Donovan, de plus en plus mal à l’aise dans sa défroque de Dylan anglais, c’est l’occasion de respirer un grand coup et de sortir du cadre strict de la protest song et des ballades mélancoliques. Au-delà de l’anecdote, la banane électrique dont il prophétise le proche avènement dans Mellow Yellow en 68 doit être interprétée comme un magistral pied-de-nez aux trois années de bons sentiments et d’humanisme mièvre qui précèdent. Aussi, à l’exception notable de l’excellent Hey Gip où se bousculent pêle-mêle dans un jungle-beat digne de Bo Diddley toutes les grandes figures du Swinging London, de Mary Quant à Williams Burroughs en passant même par notre Bébel national (!), la majeure partie de cette compilation des premiers ep de Donovan est-elle quelque peu fastidieuse. Mieux vaut se rabattre sur les titres plus récents, le très suave et très british Jennifer Juniper, l’électrique et psychédélique Hurdy gurdy man, ou Sunny Goodge Street, un véritable quintet jazzy aussi beau, délicat et feutré que le At the chime of the city clock de Nick Drake. C’est dire.
Contrairement à Donovan, Kevin Ayers ne s’est jamais fourvoyé dans la moindre bonne cause ou le plus petit combat que ce soit. Non par indifférence au Vietnam ou au massacre des bébés phoques, mais parce qu’un véritable dilettante n’entretient guère d’illusion sur ce dont il est capable. Revendiquant lui aussi et à plusieurs reprises son allégeance à la philosophie bananière, de Vive la banane ! dans la version française de May I à son album Bananamour en 73, l’ancien co-fondateur de Soft Machine en a toujours scrupuleusement observé les règles. Au grand dam de toutes les maisons de disques qui ont essayé d’en faire une rock-star. Aussi hermétique à toute notion de carrière que prodigieusement doué, ce grand amateur de soleil et de vin (rouge l’hiver, blanc et sec l’été) a commis au gré de ses humeurs une bonne dizaine d’albums dont on retrouve la judicieuse quintessence sur cette compilation. De la ballade fredonnée et câline (May I/Puis-je) à la variétoche adipeuse (Blaming it all on love), des proximités Syd Barrettiennes (The lady Rachel) aux percussions saveur des îles (Caribbean moon), du rock gouailleur (Stranger in blue suede shoes) au slow morose (Blue), la diversité des tentatives du grand blond toujours vêtu de blanc a été respectée. Un patchwork inégal mais souvent inspiré qui cache mal une immense dérision.
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Archives du n°26 (nov/ déc 90)
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