On aurait franchement aimé être une petite souris le jour où ce joli chat sauvage de Chan Marshall s’est retrouvé pour la première fois en studio à Memphis, entre les griffes des vieux Raminagrobis de Hi! Records, le label soul suprême dont les plus fameux pensionnaires se nommaient Al Green et Ann Peebles. Il fallait […]
On aurait franchement aimé être une petite souris le jour où ce joli chat sauvage de Chan Marshall s’est retrouvé pour la première fois en studio à Memphis, entre les griffes des vieux Raminagrobis de Hi! Records, le label soul suprême dont les plus fameux pensionnaires se nommaient Al Green et Ann Peebles. Il fallait un certain cran, en effet, pour oser élever la voix dans un tel lieu saint et se mettre à nu face à tant d’apôtres de ce qui reste comme l’une des plus belles musiques de la création. Le titre du précédent et inusable album de Chan, You Are Free, résonne ainsi plus que jamais comme une ligne de conduite : Cat Power se sent désormais libre d’aller où bon lui semble, y compris à l’aventure en compagnie de sexagénaires qui n’avaient probablement jamais entendu parler d’elle un mois plus tôt. A ses côtés figurent donc Mabon Teenie Hodges, fidèle guitariste et compositeur occasionnel pour le révérend Green (Take Me to the River, c’est lui), son frère Leroy à la basse, d’autres légendes sur pattes comme le dernier batteur de Booker T. & The MG s, Steve Potts, ou une section de cuivres qui a relui sur quantité de chefs-d’œuvre de la southern soul des années 70. Malgré l’écrin sur mesure qui l’attendait, la réussite d’une telle greffe n’était pourtant pas garantie sur facture. Car pour une Dusty Springfield qui domina totalement son affaire, combien de chanteurs touristes ? dont bon nombre de Français ridicules ? se sont grillé les ailes en approchant imprudemment des studios Sun ?
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Cat Power, qui connaissait Memphis pour y avoir façonné il y a dix ans son deuxième album, a choisi d’investir un autre studio légendaire, Ardent, connu comme le transformateur des petits Blancs ? Big Star, Dylan ? qui voudraient être noirs. Remarquablement varié et accueillant, The Greatest démarre par le meilleur, la chanson-titre dont la nuée de cordes rappelle le Moon River d’Henry Mancini et qui possède l’étoffe d’un classique instantané. Ensuite, les violons se tairont avant de reprendre sur le non moins déchirant Where Is My Love et, avec un accompagnement toujours près du corps, parfois minimal, Cat Power aura le mérite de ne jamais chercher à être une autre, ni la Janis Joplin de The Pearl ni Laura Nyro, ajustant simplement son tempérament à la sagesse un peu compassée des lieux et de ses habitants. Des ballades bleutées ? délicatement pommadées par les orgues, pianos et guitares mates ?, du passage obligé par la country (Empty Shell), de cet entre-deux qui relie les deux ferments originels du rock, elle tire grâce à sa voix d’amante religieuse et la vigueur jamais assoupie de son écriture de vrais trésors sans âge, des chansons qui s’enrichissent un peu plus à chaque passage. Certains de ses fans qui la préfèrent en sauvageonne s’étonneront de la retrouver un brin soumise, cajolée par ces aïeuls auxquels elle s’efforce d’exposer son profil le plus tendre, et il faudra attendre la suite pour savoir si The Greatest était pour elle une sorte d’étape initiatique vers une nécessaire maturité, ou si elle retournera bien vite jouer avec les gens de son âge. Ou si, tel Neil Young, elle s’amusera dès lors à alterner deux visages, ce qu’on espère.
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