Retour au bercail et poussée d’inspiration pour cet Anglais au romantisme buriné.
Londonien, Benjamin Woods a récemment dû rejoindre, pour un temps, la maison familiale dans ses Cornouailles natales après avoir perdu son job, au bar de la Tate Modern. Voilà probablement d’où viennent les atmosphères de ce On Grace & Dignity plus brumeux que ses deux prédécesseurs, Lafayette (2018) et Hope Is for the Hopeless (2019), ancrés dans une mythologie americana.
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De Hope…, il conserve tout de même la charbonneuse splendeur, et en creuse les plus rugueux sillons. Ce troisième album, son plus ambitieux en termes d’écriture et de production (aux côtés d’Ali Chant, collaborateur de Perfume Genius et Aldous Harding), semble donner à ses Golden Dregs la forme qu’il cherchait – ou rêvait – depuis les débuts. Passé une Intro en forme de brève rumination mélancolique, l’obsédant American Airlines tient les promesses de transport charriées par son titre parfait. Phrasé gothique sur des chœurs quasi-gospel, et une discrète broderie digitale : on reconnaît là la méthode The National des meilleurs jours, des meilleures nuits surtout.
Une inspiration versatile
Éminemment nocturne (Eulogy), le disque se pare de cuivres fantomatiques et d’un piano fragile (la fin crépusculaire de How it Starts) au toucher proche de celui de Tony Crow chez Lambchop. Pour fendre en douceur ce voile d’obscurité ouatée, Woods invoque la voix du Iggy Pop le plus crooner (celui, mettons, d’Avenue B de 1999) et laisse librement vagabonder son inspiration versatile comme chez les Tindersticks de Distractions (2021). Ainsi le fabuleux Sundown Lake, qui marie soudainement sa magnificence fatiguée à un carnaval cheap, cite discrètement Elvis Presley au détour d’une ligne – “When it rains it really pours”.
La pluie, encore, au programme de Not Even the Rain, et son crève-cœur de mélodie sous ses superbes arrangements mortuaires. Infusé d’émotions erratiques mais en pleine possession de son art, Woods construit des boîtes à musique auxquelles il ne craint pas de faire subir torsions et déflations, et magnifie par l’écriture son penchant pour la guigne, pour le bas-côté. “Dregs” signifie peut-être “la lie”, mais cet album est un nectar.
On Grace & Dignity (4AD/Wagram). Sortie le 10 février.
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