Deuxième album réussi de Rhesus, anciens gagnants CQFD. Où le chaud des guitares se frotte au froid de la mélancolie.
Il n’y a pas si longtemps que ça, dix ou quinze ans tout au plus, le ton était défaitiste, limite catastrophé : la musique en France allait mal. Très mal. En dehors des vastes autoroutes de la variété, l’underground – ainsi était-il nommé à l’époque – s’ébrouait dans son coin, avec beaucoup d’idées mais sans véritable avenir. Tout au plus avait-on crié “cocorico” au moment de la French Touch, grand raout électronique lancé par Air et Daft Punk, avant de constater que le feu de brindilles ne s’était pas répandu au reste de la forêt.
Vue de 2007, cette période désespérante paraît inconcevable. Déjà, depuis 2002, des signes avant-coureurs laissaient pantois : notre concours CQFD (Ceux qu’il faut découvrir) amenait chaque année sept mille disques, sortis directement des fourneaux maison de musiciens en herbe venus de toute la France, parmi lesquels nous sélectionnions une vingtaine de finalistes pour une compilation de fin d’année. Puis vint le monstre MySpace et aujourd’hui le pendant web de notre concours (www.cqfd.com). Dans ces espaces de diffusion libérés des contraintes des maisons de disques, la musique s’est épanouie à une vitesse ahurissante, à tel point qu’une boussole et une carte ne sont plus suffisantes pour tracer son chemin dans ces réseaux informels.
“A l’époque où l’on a commencé, ces sites communautaires n’avaient pas l’ampleur qu’ils ont maintenant”, explique Simon, batteur élastique de Rhesus. Originaire de Grenoble, ce groupe peut en effet être considéré comme de la génération d’avant. Initiée à la fin des années 90 sur les bancs de la fac de Grenoble, l’aventure Rhesus a débuté de manière on ne peut plus traditionnelle pour un groupe français chantant en anglais : la salle de répète, les compos, les concerts en ville puis en région, la montée à Paris, etc. L’artisanat et la débrouillardise pop dans toute leur splendeur. C’est pourtant en partie grâce à la première mouture de notre concours CQFD – leur morceau Your Smile Is a Commercial Food envoyé par la poste y avait remporté tous les suffrages – que le groupe a peu à peu tissé sa toile.
Sur sa lancée, Rhesus a ensuite publié Sad Disco, un premier album aux ritournelles pop incontournables, qu’il est allé défendre au forceps, comme à ses débuts, aux quatre coins de France et dans quelques pays européens. Aurélien, chanteur à la mèche persistante, raconte : “2006 a été très dure pour nous, il a fallu aller au charbon, on a enchaîné cent vingt dates en à peine une année et, lorsqu’on est allés en Allemagne par exemple, il a fallu reprendre tout à zéro, personne ne nous connaissait là-bas.”
Désormais éparpillés en France (seule Laura, la discrète bassiste, vit encore à Grenoble), les trois musiciens sont devenus des utilisateurs patentés des plates-formes de réseaux communautaires : “Simon et moi formons une redoutable équipe, explique Aurélien en riant. On collabore très étroitement à distance, lui se charge de la communication et moi du graphisme !” Simon tempère néanmoins les propos de son ami : “Ce sont de chouettes outils évidemment, mais des outils qui ne se suffisent pas à eux-mêmes. Ça représente à peine 10 % des choses qu’un groupe peut utiliser pour se faire connaître. Mais il faut définitivement y être.”
Après la fin de la tournée, ces trois-là se sont rapidement retrouvés en chair et en os, cette fois pour donner une suite à Sad Disco : “On est entrés en studio dix jours après la fin de la tournée, pour garder avec nous l’énergie des concerts.” L’idée du groupe est claire : aller à l’essentiel, ne plus se laisser emporter dans les arrangements complexes qui alourdissaient par moments Sad Disco. Aurélien : “Pendant un an et demi, on a vécu le décalage des gens qui nous disaient “C’est super bien sur scène mais je ne retrouve pas la même énergie sur votre album.”
La solution viendra du premier titre composé par Aurélien pour ce nouvel album : “Lorsque j’ai trouvé le riff de Hey Darling chez moi, je me suis dit “Merci mon Dieu ! Enfin un truc facile à jouer.” Effectivement, la simplicité du riff est inversement proportionnelle à l’efficacité qu’il dégage une fois porté par la section rythmique rebondissante de Laura et Simon.
Libéré de cette pression malsaine de devoir enchaîner les tubes, Rhesus ose prendre la tangente et même montrer une certaine fragilité : “On s’est fait plaisir en agrémentant le disque d’interludes un peu bizarres. Ça me fait un peu penser aux disques de Pavement ou de Sharko, où tu passes d’un morceau à l’autre sans réellement perdre le fil.” Ces à-côtés bienvenus permettent ainsi au disque de respirer et aux autres titres de réellement prendre leur ampleur : le doux-amer Someday déploie ses trésors mélodiques jusqu’à un finale splendide, légèrement soutenu par un filet de cuivre ; le sombre Will You Follow Me out étend son souffle glacial bien après les dernières notes de basse de Laura ; A Shelter, propulsé par une boîte à rythme mutine, termine sa course dans un mur de guitares crades qui laisse augurer le meilleur pour les concerts à venir.
Joué dans la pénombre, à genoux, l’étonnant Together ne réchauffe pas non plus vraiment les cœurs. “C’est très cliché, mais ce disque parle du complexe du mec qui est enfermé dans une petite ville alors qu’il n’a plus rien à y faire”, raconte Aurélien pour expliquer le ton désabusé qui ressort d’une bonne partie du disque. “A l’époque de l’écriture du disque, j’étais vraiment attiré par les lumières de toutes ces villes, comme Berlin où je vis désormais.”
Si on questionne le groupe sur la raison du titre de l’album The Fortune Teller Said (“La voyante a dit”), Aurélien conclut en riant : “En fait, mon entourage familial est très porté sur tout ce qui est astrologie, voyance, etc. Ma vie est toute tracée, je sais déjà tout, tout ce qui va arriver.” Avec son sourire malicieux, on ne doute pas un seul instant que ce jeune musicien a confiance en l’avenir. Il a bien raison. The Fortune Teller Said est plus qu’une saine confirmation, c’est l’affirmation d’une nouvelle identité mature et complexe : vivement la suite.