Sonic Youth, légende noisy, renoue avec son esprit frondeur et sa force de frappe dans un album à haute tension : le formidable uppercut sonore d’un groupe toujours pas mûr pour la retraite.
Pour un musicien ou un groupe, il existe une façon assez classique d’entrer dans l’éternité : graver dans le marbre une oeuvre minutieusement pensée et mûrie, conçue pour résister à l’action corrosive du temps. Les New-Yorkais de Sonic Youth, eux, ont choisi une voie moins évidente. Ils se sont inscrits dans la durée en célébrant la fragile magie de l’instant, la folle grandeur d’un geste non contrôlé qui emprunterait autant au rock’n’roll des âges farouches qu’à l’improvisation à tout crin.
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A l’origine de chacune de ses créations, Sonic Youth puise dans cette forme de pulsion primitive, dans ce goût pour le chaos et l’imprévisible. Créé en 1981 sur les cendres rougeoyantes de la no wave, le groupe de Thurston Moore, Kim Gordon, Lee Ranaldo et Steve Shelley a certes dégrossi son langage et raffiné son jeu au fil du temps. Les premiers jets ardents de Confusion Is Sex (1983) ou Bad Moon Rising (1985) ont laissé place à une esthétique du désordre plus tenue, mais pas moins abrasive – voir les albums Sister (1987) et Daydream Nation (1988), considérés aujourd’hui encore comme des monuments de rock déviant.
Pris au début des années 90 dans les filets de l’industrie du disque (la major Geffen), Sonic Youth a continué à se débattre avec une belle fougue, alternant projets plus pop (Goo, Dirty, Rather Ripped) et entreprises à forte teneur expérimentale (les disques sortis sur son propre label, SYR). Ces dernières années, certains fans de la première heure, échaudés par quelques albums en demi-teinte, se demandaient néanmoins si le groupe n’avait pas abdiqué son légendaire pouvoir de nuisance.
Aujourd’hui, The Eternal, disque cru et viscéral, leur prouve le contraire : les Américains n’ont pas perdu le feu sacré qui leur brûlait les entrailles. Sonic Youth ne renoue pas par hasard avec la verve électrique : la sortie de The Eternal officialise son partenariat avec l’écurie newyorkaise Matador. Un retour gagnant dans le giron du rock indépendant : “L’association avec Geffen a été longue et globalement satisfaisante, explique Lee Ranaldo, guitariste et un des compositeurs du groupe. En signant chez eux, nous voulions clairement jouir d’une meilleure distribution. Ce contrat a été rempli pendant un bon moment, jusqu’à ce que tout le système des majors commence à s’effondrer. Les relations avec le label ont alors commencé à se distendre : notre musique ne faisait plus partie de leurs plans. C’était le moment de changer. Matador est composé de vrais passionnés de musique, excités à l’idée de compter Sonic Youth dans leur catalogue. Ça a été un immense bol d’air frais pour nous tous.”
C’est aussi en replongeant dans son glorieux passé que Sonic Youth a retrouvé sa force de frappe. En 2007, les New-Yorkais réinterprètent sur scène l’intégralité de l’album Daydream Nation, alors réédité en version deluxe. L’événement aurait pu n’être qu’un coup d’oeil ému dans le rétroviseur : il va en fait remettre Sonic Youth sur des rails chauffés à blanc. “Lorsqu’il est sorti en 1988, ce disque offrait un instantané incandescent de notre musique, rappelle Lee Ranaldo. Avec le recul, nous avons été surpris par l’urgence qui courait dans ces chansons : nous avons tous eu envie de retrouver cette flamme. Au moment de préparer The Eternal, nous avons décidé de changer de méthode. Au lieu de répéter pendant une période donnée, nous avons choisi d’écrire deux ou trois chansons en un week-end, puis de les enregistrer le week-end suivant. C’est ce qui donne au disque son côté rock’n’roll : ce qu’on entend là, c’est le son de Sonic Youth jouant dans une pièce.”
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