Alors que sort la plantureuse musique de The End of violence Spain, Eels ou U2 en grande forme , retour sur vingt-cinq années où Wenders bouleversa l’idée de BO. 1973, scène d’ouverture d’Alice dans les villes, premier road-movie de Wim Wenders. Affalé sous une promenade de bois lépreuse, un trentenaire esseulé toise un océan […]
Alors que sort la plantureuse musique de The End of violence Spain, Eels ou U2 en grande forme , retour sur vingt-cinq années où Wenders bouleversa l’idée de BO.
1973, scène d’ouverture d’Alice dans les villes, premier road-movie de Wim Wenders. Affalé sous une promenade de bois lépreuse, un trentenaire esseulé toise un océan maussade et marmonne un vieux hit : « Under the boardwalk, down by the sea, on a blanket with my baby, that’s there I will be. » Chez les Drifters, des castagnettes crissantes et des violons vaporeux illuminaient un éden dominical : dans la bouche désabusée de Rüdiger Vogler, le squelette de la chanson dénonce le décalage entre les somptueux Rock dreams peints par Guy Peellaert et la grisaille d’une Amérique décatie. A cette époque, les héros de Wenders ses doubles sont avares de mots ; c’est au travers des chansons qu’ils fredonnent qu’affleurent leurs états d’âme. Wim Wenders : « Il ne me serait pas venu à l’esprit d’utiliser une voix off. La musique, c’était la voix off. Si on fait attention aux paroles, on se rend compte que c’était vraiment un commentaire assez direct, comme un choeur grec. Les textes sont toujours importants dans les chansons que j’utilise. »
Venu aux arts par le biais de la musique rock (« Il y avait dedans quelque chose qui m’a amené à me faire confiance »), Wim Wenders construit ses plus beaux films autour de disques fétiches les singles des Kinks, omniprésents tout au long de Summer in the city, le Memphis Tennessee de Chuck Berry, qui fournit sa trame à Alice dans les villes, le Love in vain de Robert Johnson pour Au fil du temps, les Kinks encore dans L’Ami américain. Crachotées par un mange-disque enroué ou échangées en guise de confidences, les chansons tiennent lieu de frêles balises à des hommes sans femme, en panne de miroirs et d’identité. Quand, sur les traces d’Hitchcock, Wim lui-même apparaît à l’écran, c’est pour choisir dans un juke-box le Psychotic reaction des Count Five : « On aurait pu regarder ce que disaient les paroles pour comprendre l’inconscient au travail. Quand on examinait les chansons qu’on fredonnait, on se rendait compte qu’elles avaient un rapport direct avec ce qu’on avait dans la tête. » Au début des années 80, changement de cap. Le rock, essoré par les marchands, a une mine cireuse, Wenders s’éprend d’autres langages, le fado berce L’Etat des choses, tourné au Portugal ; la guitare anachorète de Ry Cooder hante les déserts minéraux de Paris, Texas. Puis, à partir de Jusqu’au bout du monde, des bandes-son exemplaires appellent à nouveau à la rescousse Nick Cave, REM, Patti Smith ou Lou Reed ; leurs chansons lettrées rendent aux images une fraîcheur expressive perdue au contact de la publicité. « Dans la combinaison de l’image, de la musique et des paroles, on peut encore retrouver une intégrité, si les trois éléments, images, musique et paroles s’aident l’un l’autre, s’ils se protègent. »
Le nouveau film, The End of violence, est accompagné d’une sensationnelle paire de disques, l’un doté de précieuses chansons inédites, l’autre instrumental, tous deux baignés dans les mystères croisés d’une ville méandreuse, Los Angeles, et d’une femme, obscur objet de troubles désirs. Chez Tom Waits, la cité et la Circé exercent une même séduction létale et ondulent au gré d’un tango toxique (Little drop of poison) ; la country écorchée de Vic Chesnutt et Michael Stipe balance entre fascination masochiste et misogynie échaudée (Injured bird, superbe) ; le sombre chatoiement de Spain succombe aux sortilèges d’une sirène inconstante (Every time I try). Aussi lancinant qu’oppressant, le Bad news d’Eels apprivoise la scoumoune ; I’m not your baby introduit l’affriolant ménage à trois de U2, de Sinead O’Connor et du trip-hop. Une complainte haut perchée de Roy Orbison (You may feel me crying) voisine avec les libations latinos de Los Lobos (Me estas matando). L’album signé Ry Cooder divague de blues en jazz, emprunte un saxophone à Morphine, mêle les volutes bleutées de Bristol au smog de la Cité des Anges. Au-delà de choix de musiques ambiantes furieusement contemporaines (DJ Shadow, Howie B), Wenders reste irréductiblement fidèle à des obsessions anciennes. Le Theme for a trucker de Whiskeytown brode sur un thème mélancolique autrefois illustré par les méconnus Improved Sound Limited pour le générique de fin d’Au fil du temps ; de la très belle pochette, inspirée du Nighthawks d’Hopper, se dégage un sentiment de détresse muette en tous points identique à celui qui imprégnait, il y a vingt-cinq ans, les inoubliables premières images d’Alice dans les villes.
Bruno Juffin
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