Dans la musique improvisée européenne, en ayant entamé sa carrière à la fin des années 60, le saxophoniste Evan Parker fait figure de pionnier. Au soprano, dont il est l’un des grands, il a développé un langage à part, fait de triturations multiphoniques montées en boucles grâce à la respiration continue, une technique qu’il maîtrise […]
Dans la musique improvisée européenne, en ayant entamé sa carrière à la fin des années 60, le saxophoniste Evan Parker fait figure de pionnier. Au soprano, dont il est l’un des grands, il a développé un langage à part, fait de triturations multiphoniques montées en boucles grâce à la respiration continue, une technique qu’il maîtrise à la perfection. En résulte un phrasé tournoyant, sinueux et hypnotique, renvoyant aux polyphonies des pygmées Aka comme à la complexité enivrante des partitions pour piano mécanique de Conlon Nancarrow.
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Sans équivalent, son jeu, qui donne l’illusion qu’il n’est pas seul, a été peaufiné en solo et pose la question du double, voire du multiple, tout au long d’une œuvre particulièrement abondante. Pendant longtemps, la question ne s’est d’ailleurs posée qu’en termes de jeu, au travers d’effets quasi polyphoniques. Aujourd’hui, grâce aux recherches de l’Electro-Acoustic Ensemble, dont paraît le quatrième opus, elle se pose aussi en termes de forme, ou plus précisément de cadre formel à offrir à l’improvisation.
Dans cette formation (à géométrie sans cesse croissante), l’idée est, en substance, que chaque musicien acoustique possède son double électronique avec lequel jouer, comme une ombre portée attachée à lui. Pour ce faire, toutes les ressources actuelles de l’informatique musicale sont sollicitées, afin d’utiliser ? en temps réel ? le résultat des improvisations instrumentales comme impulsion à des métamorphoses électro-acoustiques saisissantes, dont les possibilités semblent infinies.
Par exemple, Evan Parker joue avec sa propre voix, déformée par les manipulations en direct de Lawrence Casserley, la prouesse dans cette histoire résidant dans le fait que personne n’erre sans raison, qu’aucun ne se cogne aux glaces d’un palais imaginaire rendu possible par la technologie.
Désormais sérieusement rodée au cours de nombreux concerts, cette méthode ? à rapprocher des derniers travaux de Luc Ferrari avec ceux qu’il appellait fort joliment les nouveaux concrets du réel’ ? illustre à merveille combien l’improvisation peut être une méthode de composition instantanée sous forme de dialogue, la dichotomie opposant les deux étant, selon Evan Parker, artificielle.
Ce qui frappe surtout le plus à l’écoute de The Eleventh Hour, c’est bien l’absence de relâchement dans ce qui se trame. Au point que la tension générée par toutes les correspondances nées de ce qui s’échafaude dans l’instant ? et dont le jaillissement, continuel, est porteur d’une étonnante dramaturgie ? fait de cette longue suite d’une heure, plutôt qu’une pièce de musique sérieuse de plus, un moment privilégié dans l’histoire de la musique improvisée.
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