A paraître dans les prochains jours, le deuxième album de The Do est l’oeuvre fascinante d’un duo radicalement libre : Olivia et Dan définissent leur philosophie du risque dans une longue et passionnante interview.
Comment et quand avez-vous commencé à écrire, à la suite d’A Mouthful?
Dan : Il y a eu deux chansons écrites en tournée.
Olivia : Un peu plus. Il y a beaucoup de chansons écrites en tournée qu’on n’a pas gardé pour l’album.
Dan : Le processus a commencé fin 2009, on revenait de tournée. On a loué un camion et on est parti dans le sud de la France, et puis on a commencé à enregistrer. On avait aussi besoin de cette coupure, de cette nouveauté. On est partis tous les deux, on a bourré le camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait, s’il y avait de l’électricité, si les pièces allaient sonner. C’était dans le Lubéron, c’était une maison gigantesque, l’électricité, c’était n’importe quoi, il n’y avait qu’une prise qui marchait….
Olivia : On a même failli ne pas y arriver, avec le chemin escarpé, le camion rempli. Il y avait une crevasse immense…
Dan : On s’est dit qu’on ne pourrait jamais arriver en bas… Mais tout ça fait partie de The Do. On n’aime pas le luxe, on aime se mettre en danger. Le fait de se dire qu’on prend tout de notre studio, qu’on prend un camion et qu’on va enregistrer un album alors que personne ne nous a renseignés sur l’endroit, c’est un risque. Ce n’était que des grandes pièces qui sonnaient mal : comment arriver à faire sonner un endroit, comment arriver à donner une couleur ou se servir de cet endroit pour créer quelque chose ? C’était une maison mythique. C’était une maison qui appartenait à Maurice Ronet, l’acteur qui était marié avec la fille de Chaplin, il y avait donc des meubles de Chaplin, c’était une grande maison qui a marqué le cinéma français, il y avait plein de monde qui y avait mis les pieds, un piano à queue sur lequel tout le monde avait joué. Pour nous, déjà, il y avait une énergie forte. Et autour de la maison il y avait des grandes amphores de deux mètres de haut : on a décidé de s’en servir, et on a fait une chanson pour laquelle Olivia chante dedans, avec des micros.
Olivia : Il y avait des câbles partout, moi j’avais mon studio d’un côté, Dan de l’autre. Et on faisait des réunions le soir.
Dan : Le matin, on travaillait chacun de notre côté, puis on enregistrait l’après-midi. Mais c’était hallucinant, parce qu’on enregistrait, puis je travaillais une partie et Olivia l’autre, et on se revoyait : c’était dur. Après il fallait qu’on bouffe donc on se faisait à manger… C’était compliqué, quoi… Mais c’est marrant : il y a plein de musiciens autour de nous qui croyaient qu’on arrivait à un moment dans notre vie où, quand on arrive dans un studio, tout est branché et tout fonctionne. Un mec qu’on connaît voulait venir enregistrer des choses dans notre studio : il est venu, m’a vu à quatre pattes en train de brancher des trucs, et il m’a dit « Mais en fait, tu te fais chier là ! ». Mais comment tu veux qu’on fasse autrement ? On se fait chier, et ni le câble ni la ligne ne marchent, et moi quand j’enregistre les batteries je cours voir si le niveau est bon, puis je retourne à l’instrument, et c’est une galère sans nom ! Mais c’est précisément en ça qu’on prend des risques. Et quand on voit des groupes qui arrivent dans un endroit où tout est prêt, câblé, on se dit qu’ils doivent s’ennuyer…
Est-ce que vous pensez que tout cet aspect de The Do était compris à l’époque du premier album ? Le grand public exige généralement des choses carrées, léchées…
Dan : Mais là on parle de variété, et nous ne sommes pas du tout un groupe de variété.
Olivia : Mais ça il faut le répéter mille fois pour que les gens le comprennent : qu’on produit tout nous-mêmes, qu’on fait tout de A à Z. Peut-être plus en France qu’ailleurs.
Dan : Ce qui est génial, c’est qu’avec un morceau qui a bien marché, avec des nominations aux Victoires de la Musique, on s’est retrouvés précisément, en France, entre « beaufland » et « indéland ». Quand on va aux Etats-Unis, on est un groupe indé, quand on revient à Paris, on est plutôt attendus comme un groupe mainstream : c’est très étrange d’être entre les deux. On a fait une émission pour M6 l’autre jour : on arrive avec nos sons bizarres, on veut mettre de la distorsion sur la voix, les gens ne comprenaient rien…
Olivia : Mais on s’amuse de tout ça, c’est marrant de voir la réaction de tout le monde. On pourrait refuser et se dire qu’on ne parle qu’à un seul type de public, mais je ne pense pas que ce soit la bonne manière de faire. La musique doit pouvoir être transversale.
Dan : On aimerait qu’il y ait plus de groupes comme ça qui puisse tenter des choses, rester indépendants, mais ne pas vendre que 3000 disques. Aux Etats-Unis, en Angleterre, il y a une vraie scène indé, un public indé. On ne l’a pas en France. Je trouve triste qu’un groupe comme Syd Matters, que je trouve incroyable, ne soit pas plus connu qu’il ne l’est. Pareil pour un jeune groupe qu’on a entendus aux Trans, Concrete Knives : on se dit que c’est excellent, mais il y a des chances qu’ils fonctionnent mieux en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis qu’en France. Ils ne sont même pas encore signés… Voilà un groupe avec qui on pourrait faire quelque chose. Un groupe génial, je sais qu’ils vont marcher.
Vous imaginez monter une structure, pour aider les groupes que vous aimez ?
Dan : C’est notre rêve ! J’ai toujours essayé de porter les groupes que j’aime, depuis le début. Mais c’est tellement compliqué… Notre seule force de frappe est de leur proposer des premières parties, ce qu’on a fait par exemple avec Minuscule Hey, un groupe de Bordeaux qui tourne plus en Angleterre qu’en France. Mais il faudrait qu’on s’arrête, qu’on se pose, et qu’on essaie de passer du temps en studio avec ces gens-là ; j’ai d’ailleurs proposé aux Concrete Knives de leur mixer un morceau. J’ai vraiment envie de faire quelque chose pour eux. Après, il faut trouver le temps. Mais qu’est ce que je peux faire d’autre ? Mais ces groupes là, dès qu’ils sont signés… Ils partent dans la nature, ils se font un peu bouffer par le système. Olivia est témoin : ça fait depuis 2007 que j’essaie de monter une sorte de coalition de groupes indés en France. Je me dis qu’on serait bien plus forts ensemble, si on partageait les mêmes structures, les mêmes avocats, les mêmes tourneurs… On pourra se défendre. C’est ce que j’ai dit aux Concrete Knives : qu’ils n’ont pas d’amis dans le milieu. Qu’ils sont entourés de gens aux dents longues, qu’ils vont se faire bouffer s’ils ne font pas attention. On a vu tout ça : on peut se bagarrer, on peut se faire voler. Il faut se battre pour conserver son intégrité musicale, il faut se battre pour ses idées : personne ne les aura à notre place. C’est important de pouvoir affirmer que notre musique, c’est ça, que nos visuel c’est ça, et qu’on emmerde ceux qui ne sont pas d’accord. Quand j’entends que les photos qu’on a choisies pour le deuxième album ne sont pas vendeuses, que ça ne marchera pas pour les magazines, je me demande de quoi on parle. C’est quoi ces magazines ? Ils veulent quoi, qu’on montre nos cuisses ? On vend nos gueules ou on vend notre musique ? Il y a quand même des groupes qui vendent et qu’on n’a jamais vus…
Comment se passe la réception, en dehors de France ? Vous avez ressenti de grandes différences ?
Dan : C’est un peu con, mais je trouve qu’on est plus à notre place dans le rapport musique/scène ailleurs qu’en France. Ici, on a fait des concerts devant des dizaines de milliers de personnes, c’est quelque chose d’assez étrange : on est incapable de déterminer ce qu’est notre public, même nous en sommes incapables. Encore là, on a fait quatre concerts sans promo, sans que le nouvel album ne soit sorti : il y a de tout dans la salle, des minettes de 15 ans comme des geeks qui aiment notre musique pour sa complexité, les bidouillages, ou des gens de 50 ans qui aiment le côté léché de l’album. C’est assez génial, d’ailleurs. Et on a un public très à l’écoute. Quand on joue dans un club bondé en Scandinavie, ou à Mexico c’était aussi blindé alors que l’album n’était même pas encore sorti, ou à New York où c’était aussi complet… Ce sont des plus petites salles, mais les publics n’ont pas d’attente particulière. Je pense que le deuxième album pourra peut-être, ici, définir un peu plus précisément ce que nous sommes.
Vous avez aussi un studio, en région parisienne, que vous définissez parfois comme un refuge…
Dan : Oui. On y a tous nos instruments, ceux qu’on nous prête. On y passe des heures. Et c’est un endroit très intime, une intimité qu’on n’aurait pas dans un studio qui se loue. Je n’aime pas cette idée de louer un studio, « Wow, c’est le studio de Zdar », comme si les gens, en y enregistrant, allaient se saisir du succès de Phoenix en allant dans le même studio. C’est complètement con. Chacun doit se créer une intimité sonique.
Vous vous y coupez du monde, de l’agitation ?
Olivia : A l’inverse de la scène, où tout doit marcher instantanément, c’est l’endroit où on peut prendre des risques, rater, se planter mille fois.
Dan : On peut se remettre constamment en question, en studio. Je le répète : on n’a pas peur du ridicule. On n’a personne pour nous limiter, nous dire qu’il est impossible de faire les choses de telle ou telle manière. Il y a tellement de techniciens professionnels, qui sortent d’écoles, qui ont les idées très arrêtées sur les manières de faire… Moi je me dis que je peux enregistrer comme je veux, et on construit les chansons comme on veut. Et on emmerde ceux qui ne sont pas d’accord. Si je veux passer deux jours à chercher un son très particulier, je peux, personne ne me dira que ça coûte cher pour pas grand-chose.
Ce studio est donc important dans le côté aventureux de The Do ?
Dan : Oui, mais en même temps nous avions besoin de trouver une fraîcheur, de ne pas tomber dans une forme d’automatisme, d’où le fait de partir d’abord dans le Lubéron. Maintenant, je connais mon studio, je le connais par cœur. Heureusement, on avait cette fois des instruments et machines nouvelles. Mais pour la suite, on devra trouver un autre endroit pour repartir complètement dans le neuf. La finition de l’album, pour moi, dans ce studio, a été un peu compliquée. C’était un peu étouffant. J’adore mon studio, mais j’ai l’impression d’avoir besoin d’autre chose, il est trop chargé en émotions, en histoire. On y a fait deux albums, plus tout le reste, des musiques de film… C’est pour ça que j’ai aussi envie d’y faire venir d’autres gens, les Concrete Knives, Minuscule Hey. J’ai envie de leur dire de tout casser, d’y foutre le bordel, de trouver leur propre son.
Aviez-vous une idée particulière en tête, une ambition quand vous avez commencé à penser à Both Ways Open Jaws ?
Dan : Surtout pas !
Olivia : On avait quand même des envies : j’avais envie de laisser la guitare électrique de côté, j’avais envie de plus de claviers, on avait un clavecin et ça m’a beaucoup inspiré sur les premières semaines d’enregistrement, une harpe… Des sons un peu baroques. On n’avait jamais utilisé ça avant, et on était curieux de ces sons-là.
Dan : Je voulais plus de « bas ». Plus de grosse caisse, plus de basses, des choses qu’on n’avait pas sur le premier parce qu’il avait été enregistré à l’arrache. Mais on peut toujours essayer de faire des plans d’une chanson, le résultat final est toujours à l’opposé. Donc on a compris que ça ne servait à rien. Après, il y a de belles surprises : la manière dont on a composé, tous les deux, le premier morceau de l’album, Dust it Off, a été totalement magique, ultra naturel, on ne savait absolument pas où on allait. Gonna Be Sick a été composée par Olivia mais elle ne voulait absolument pas me la faire écouter, l’enregistrer ; mais ça fait partie de notre boulot, elle a fini par me la passer, me passer les parties de guitares, et en une nuit j’ai enregistré la batterie, le vibraphone, la basse, et c’est un morceau qu’on adore. Voilà comment on travaille : pas de plan, des échanges, des tests, des accidents. J’enregistre une batterie, et Olivia arrive le lendemain avait un morceau complet. Je me souviens des deux premiers morceaux qu’on a enregistrés : tout le monde nous disait que ça allait être les deux singles de l’album. Et c’est au final deux morceaux qu’on a jetés… Ce qui a énervé tout le monde, d’ailleurs.