A paraître dans les prochains jours, le deuxième album de The Do est l’oeuvre fascinante d’un duo radicalement libre : Olivia et Dan définissent leur philosophie du risque dans une longue et passionnante interview.
Justement, un des risques ne serait pas de devenir « professionnel »?
Dan : Oui. Et c’est pour ça qu’on fait ce qu’on fait. On a pris quatre musiciens derrière nous qui ne se connaissaient pas. On a demandé à la saxophoniste de jouer du vibraphone même si elle n’en avait jamais joué, le guitariste avec qui on joue aujourd’hui est un bassiste de formation ; il n’a jamais fait de concert à la guitare. Le batteur est un batteur de métal qui n’a rien à voir avec notre musique, et on lui a demandé de jouer notre musique sur des casseroles. Et c’est ce qui est intéressant : se retrouver à la recherche de cette fragilité-là, de ce charme.
Olivia : Mais on ne sera jamais virtuoses, donc devenir professionnels n’est pas forcément un mal, à mon avis. Après la question est de réussir à rester émerveillé.
Dan : On aurait pu retourner à trois, avec la même équipe, et se dire qu’on avait tout compris, que c’était parfait comme ça. Mais on a envie de prendre des risques. Comme on n’a rien à perdre, on se remet toujours en jeu. On n’est pas Jimi Hendrix. Personne ne m’attend moi à la basse, personne n’attend Olivia à la guitare… Le risque qu’on a pris sur le premier album, on peut le reprendre sur le deuxième. On n’est pas Queen Of The Stone Age, pour qui tout le monde s’attend au son de Queen Of The Stone Age. Il y a un quelque chose qui nous plaît dans cette prise de risque.
Et psychologiquement, cette période de succès, de succès, d’interviews, vous l’avez vécu comment? Est-ce qu’il y a des moments où c’est difficile de rester dans sa propre vie, de ne pas se paumer?
Olivia : C’est un tunnel… Pas forcément sombre. Et je pense que c’est seulement quand la tournée se termine qu’on se retrouve. C’est un voyage.
Dan : On ne se rend parfois pas compte qu’on est à l’autre bout du monde…
Olivia : En fait ce qui est terrible c’est de revenir à paris, ou chez soi, quelques jours. On est un peu errant, on ne sait pas quoi faire de notre journée : on doit s’habituer à être de nouveau autonomes.
Dan : Il y a un truc qui est intéressant, c’est qu’il y a tout le stress de la journée, la promo, on joue le soir, mais on est tellement dans un esprit de groupe, on est tellement heureux d’être ensemble qu’on va ensuite sortir, boire… Il y a un truc qui fait qu’on n’est jamais seuls, qu’on est toujours bien entourés. Ca fait du bien d’être avec des gens qu’on aime. Et on les adore les musiciens, l’équipe… Après est-ce que ça va durer? Peut-être qu’on commencera à se taper sur la gueule au bout du dixième concert.
La tournée est un processus assez contraignant? Vous ne vous sentez pas vraiment libres, pourtant vous avez écrit…
Olivia : On faisait ce qu’on voulait sur scène. Mais oui il y a les contraintes.
Dan : C’est les contraintes techniques. Toujours. Les gens ne se rendent pas vraiment compte, mais à chaque fois qu’on arrive dans une salle il faut la techniquement comprendre. Il y a des salles qui sonnent horriblement, on ne s’entend pas sur scène, il y a des salles qui sonnent super bien, il y a l’ingé son qui n’arrive pas à faire sonner des salles, il y a d’autres salles qui sont faciles à faire sonner, il y a le public aussi qui est très différent selon les villes… Mais tout ça on a appris. Au début, c’était horrible pour nous.
Vous êtes toujours restés en contrôle?
Dan : Personne ne nous impose rien, vraiment. On est producteurs de notre album, producteurs du premier, on est auteurs, compositeurs, arrangeurs, mixeurs, ingénieurs du son, pour le premier comme le deuxième, mais c’est comme ça qu’on aime faire notre musique. On sait où on veut aller, on est bien, on n’a pas besoin de s’entourer de producteurs, d’invités, d’arrangeurs…
Elle est là la liberté en fait. C’est d’avoir créé une structure globale autour du groupe pour pouvoir faire ce que vous voulez.
Dan : Justement parce que on aime être libre. Attention, c’est compliqué : ce n’est pas simple de tout faire tout seul. Mais je trouve ça un peu lourd, quand même, tous ces groupes qui s’entourent du producteur de machin…
Olivia : C’est étrange de rassembler une équipe alors que c’est un projet personnel, des chansons écrites par un artiste et d’un coup des gens surgissent, des gens qui ne se connaissent pas forcément, qui ne nous connaissent pas et qui vont avoir leur mot à dire sur… C’est un peu formaté et je pense qu’il faut vraiment bien connaître les gens.
Donc pour revenir au côté punk, le do it yourself…
Dan : C’est fondamental. Et pour revenir au studio, j’adore ça, j’adore le son, et je pense que la continuité de la composition, la continuité d’un groupe est aussi d’avoir un son propre. On essaye plein de trucs en studio, on tente des trucs, et ce qui est incroyable entre nous deux est qu’on n’a pas peur du ridicule. Quand il y a une troisième personne avec nous, c’est un peu plus compliqué. Les gens ne comprennent pas forcément notre façon de faire. Et chaque chanson est enregistrée complètement différemment. Ca aussi est hyper important. Et là aussi, encore une fois pour critiquer les autres groupes, les gens qui arrivent en studio, tout est prêt, formaté, les micros sont branchés sur la batterie, sur l’ampli, ils mettent trois semaines, ils enregistrent leur album, et c’est terminé. Heureusement qu’il y a des groupes qui pensent différemment. Heureusement qu’il y a des groupes comme Animal Collective ou Radiohead, qui pensent que chaque morceau est différent, donc que chaque morceau doit être enregistré différemment. C’est ce qui nous plaît, c’est ce qui nous excite! Je sais par avance qu’en mettant tel ou tel micro, en le compressant de telle manière, on va avoir un son unique. On a envie de maîtriser ça. Par contre, à la fin de l’album, tout le monde nous a dit qu’on devait passer à un niveau supérieur, maintenant qu’on est, entre guillemets, un « groupe international ». On m’a dit que je ne devais pas mixer moi-même le disque, qu’il faut envoyer les morceaux à quelqu’un de connu. J’ai donc fait une liste de grands mixeurs que j’adore, on a envoyé, on a reçu les mixes et, avec tous le respect que je leur doit, je me suis dit que c’était impossible. C’est finalement encore une fois moi qui ai mixé. Et je trouve que les mixes ont de la gueule. Le seul truc qu’on a fait faire c’est le mastering, et on a travaillé avec un super mec, un français qui est à New-York, il s’appelle Fab Dupont et travaille au Flux Studio, qui commence à être assez mythique. Il s’est énormément investi, il nous disait qu’on avait notre son, alors qu’à un moment on n’y croyait plus, et ce mec nous a vraiment portés, il nous a donné confiance. Je pense que, sur Both Ways Open Jaws, la pression venait surtout des gens autour de nous, parce qu’ils étaient toujours un peu flippés. Avoir une oreille neuve sur ce deuxième album nous a libéré de quelque chose.
Est-ce qu’on peut parler de système autarcique avec The Do?
Dan : Oui. En bien comme en mal, car il y a des mauvais côtés comme il y en a des très bons. Le mauvais côté c’est que ça demande un boulot de dingue. C’est dur d’être producteur, c’est dur d’avoir une société, il faut se battre pour tout. Pour les photos, par exemple : Olivia avait organisé la session, elle voulait une photographe précise, elle voulait qu’on parte en Finlande, dans la maison de son grand-père. Il fallait prendre trois jours, tout organiser.
Olivia : On n’avait pas d’équipe de photographe, coiffeur, de maquilleur. C’était complètement sauvage, on est parti en barque…
Dan : On est parti en barque, en pleine nuit, il faisait froid, on se faisait bouffer par les moustiques, et c’est vrai que des fois on se demande pourquoi on se complique la vie… Un journaliste nous a dit « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Et ça, c’est vrai musicalement comme pour le reste.
Olivia : Ca peut nous définir un petit peu, mais je ne sais pas si c’est très positif. C’est juste de s’approprier les choses, on est obligé de se les approprier.
Dan : Mais je pense que pour le label et pour les gens qui travaillent avec nous, c’est parfois un peu difficile quand même.
Peut-être qu’eux, ça les arrange?
Dan : Je ne crois pas : on ne laisse rien faire.
Olivia : Mais ça il faut qu’on apprenne quand même. Chacun a son métier.
Dan : On a tourné un clip et on exigeait certaines lumières, des mouvements de caméra, et on refusait de commencer le tournage s’ils ne voulaient pas nous suivre. On passe pour des casse-couilles, et on l’est d’ailleurs, mais en même temps je sais qu’il fallait qu’on ait ça. On est habitué. Dans le processus musical du moment où vous composez, vous arrangez, vous mixez, vous placez les micros, de toute manière…
N’avez-vous pas peur que cette autarcie vienne vous couper de la vie extérieure
Olivia : Non parce qu’on a des gens très proches. On a un ami qui s’appelle Frederico, qui est complètement en dehors du milieu, et dont l’avis compte toujours. Il est plus dans le classique et les arts plastiques, et il a un œil vraiment fondamental.
Dan : Il est arrivé en studio, était totalement objectif, et il nous disait ce qui allait et ce qui n’allait pas. Après, soit on changeait, soit on ne changeait pas, mais c’est toujours positif, c’est toujours constructif, ça ne nous décourage jamais. Il y a des gens comme ça qui sont très importants. On ne s’enferme pas complètement.
Dan : Mais on est deux aussi, on n’est pas toujours d’accord. C’est aussi ça, la vie d’un groupe : on peut se battre pour des idées, et si au final on n’est pas d’accord, on élimine. On se dit que si on n’est pas d’accord tous les deux, ça ne va pas. Et pour les photos c’est pareil.