Avec Distance Inbetween, leur huitième album, les Anglais de The Coral plongent leur pop fantasque dans le rock psychédélique et le krautrock. Rencontre à domicile, près de Liverpool, avec James Skelly (chant, guitare) et Nick Power (claviers).
Vous venez d’une région très créative, le Wirral, où beaucoup de groupes se sont formés. Est-ce que cette grande tradition vous a marqués quand vous étiez petits ?
Nick Power – On ne s’en rendait pas trop compte. On était entourés de tout ça. Ce n’est que lorsqu’on a commencé à faire des tournées en dehors de Liverpool qu’on s’est aperçus que la plupart des autres régions sont comme mortes culturellement, que ce soit au Royaume-Uni ou même plus généralement dans le monde. C’est comme ça dans plein d’endroits aux Etats-Unis. Ici, c’est en feu !
James Skelly – Je crois qu’il existe un parti pris pour Londres. C’est là que sont installés tous les médias. S’ils étaient basés dans le Nord, il y aurait un parti pris pour le Nord. J’adorerais avoir les moyens d’installer un studio avec un café, une salle de concerts, un endroit pour fabriquer les vinyles comme Jack White. On pourrait faire quelque chose d’incroyable si on en avait les moyens. Il y a de grands artistes ici, comme Dom (Foster – ndlr), qui fait nos clips. On a aussi découvert James Slater. Tous les deux, ils ont commencé sur leur ordinateur. On les a trouvés parce qu’on a toujours essayé de travailler avec des gens des environs. C’est une région inexploitée. Dom est le meilleur que je connaisse. Il travaille avec les moyens du bord, mais il a une créativité rare. Il fait ça en parallèle de son métier, sur ses temps de pause. Il est comme ça. C’est dommage qu’on n’ait pas les moyens de se lancer à fond dans des projets de grande envergure. Il y a un sentiment d’appartenance avec tous ces groupes, Echo & The Bunnymen, les La’s, ou Shack. Quand tu es petit, de là où on vient, tu ne peux pas imaginer passer un jour à Top of The Pops, et pourtant tu vois les Bunnymen, qui viennent du même coin que toi. Ce sont des mecs comme nous et ils ont réussi à atteindre le niveau supérieur. Ian (Skelly, petit frère de James et batteur de The Coral – ndlr) allait à la fac avec un autre mec qui était dans un groupe. Je suis allé les voir. Je m’en souviens très bien. Ce n’était pas grand-chose mais il y avait plein de monde dans le public, des mecs qui fumaient de l’herbe. Ils avaient un vieux micro. Je suis resté ébahi. Ça m’a plus impressionné que quand on a eu un album numéro 1. Voir un mec que je connaissais jouer avec son groupe et être applaudi par un public à Liverpool, ça m’a estomaqué à un tout autre niveau que tout ce que j’ai pu vivre dans le monde de la musique depuis. C’était le tout premier pas vers un autre monde.
Nick – C’est le genre de chose qui arrive à Liverpool et probablement dans d’autres endroits, à Manchester par exemple. Ici, c’était juste dans un petit club pourri du centre-ville. Dans plein d’autres villes, ça n’existe pas.
James – A Liverpool, tu peux te promener d’un club à un autre et aller voir tous les groupes qui jouent le même soir. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de villes où tu puisses faire pareil. C’est comme un grand village.
Nick – De ce point de vue-là, ça ressemble à New York ou à La Nouvelle-Orléans pour moi.
James – Il faut voir tous ces groupes jouer, même très jeunes. Il doit y avoir quelque chose dans l’eau ! Ça nous a poussés à faire pareil. On est situés entre Liverpool d’un côté et le Pays de Galles de l’autre. On partage une certaine excentricité avec des groupes de là-bas, comme les Gorky’s (Zygoti Mynci – ndlr) et les Super Furry Animals. Sur notre premier album, on entend particulièrement bien ces deux aspects. Ces groupes gallois et de Liverpool, ils sont à part. Les Bunnymen n’ont jamais eu la reconnaissance qu’ils méritaient parce qu’ils ont un côté très à part. Comme tous les groupes que l’on vient de citer, ils sont dans leur propre monde sans soucier de l’extérieur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nous sommes dans un endroit qui vous sert de studio, de local de répétition, de quartier général…
James – On se retrouve ici toutes les semaines pour répéter.
Nick – Beaucoup d’autres groupes viennent répéter ici, des groupes de son label (Skeleton Key Records, le label créé par James – ndlr). Ce sont tous des groupes des environs. C’est le seul endroit où on peut réellement faire des répétitions dans le coin.
James – C’est un endroit assez créatif. Il y a des groupes qui viennent tourner leurs clips ici, faire leurs démos, leurs albums.
Nick – Quand on était plus jeunes, on devait aller jusqu’à Liverpool rien que pour répéter. On se retrouvait dans la chambre de James. On n’avait nulle part où aller.
Vous avez déjà vécu ailleurs ?
James – Oui. Je suis revenu ici après avoir vécu dans d’autres endroits pendant environ dix ans.
Nick – Pas moi. Enfin, j’ai un peu habité à Liverpool quand j’étais bébé, mais je vis ici depuis 29-30 ans environ. Peut-être que je devrais déménager…
Vous souvenez-vous de ce qui a déclenché votre passion pour la musique ?
James – Jason Donovan et Kylie Minogue. Comment s’appelait ce morceau qu’ils ont fait ensemble ?
Nick – Especially For You ?
James – Oui ! Je l’avais en cassette sur mon Fisher-Price. Je me souviens de m’être dit : « Si c’est ça l’amour, voilà ce que je veux ! »
Nick – Mon souvenir musical le plus ancien, c’est Bob Marley.
James – Ensuite, je me suis mis à écouter des trucs du début des raves, Prodigy et tout ça. J’ai commencé à collectionner des disques de techno. J’ai toujours aimé les Doors, avant même de me passionner pour les Beatles. Et puis j’ai découvert Oasis et ça a tout changé. Il y a eu la sortie d’une anthologie des Beatles dont on voyait tout le temps la pub à la télé. C’est ce qui m’a ouvert au songwriting. Avant ça, j’écoutais plutôt des musiques de raves.
Nick – J’adorais le foot et je me souviens d’une émission télé qui s’appelait The Rock & Goal Years. Ça mélangeait des images de football avec la musique de l’époque – Ghost Town des Specials notamment. Ça m’a beaucoup impressionné.
Quand avez-vous commencé à jouer d’un instrument et qu’est-ce qui vous a attirés vers cet instrument en particulier ?
Nick – J’ai commencé quand j’ai rencontré le reste du groupe. C’est là que j’ai commencé à jouer de la guitare. J’avais 15 ou 16 ans. Personne dans ma famille n’avait de lien très fort avec la musique. Je ne me suis mis à jouer des claviers que pour me trouver un rôle dans le groupe.
James – Ce n’était qu’un an environ avant qu’on enregistre notre premier album.
Nick – Oui. J’ai toujours su ce que j’aimais et ce que je voulais jouer.
James – J’ai commencé quand j’avais 16 ou 17 ans. Au début, je considérais la guitare surtout comme un moyen d’exprimer des sentiments et des paroles, comme pour faire partie d’un gang et éviter d’avoir à trouver un job normal. Ça ne fait qu’environ quatre ou cinq ans que j’apprécie réellement de jouer de la guitare. Avant ça, ce n’était pour moi qu’un vecteur pour autre chose.
Sais-tu ce qui a provoqué ce déclic ?
James – Le fait de me retrouver tout seul à jouer de la guitare pendant une période ! (rires) On n’était plus que quatre dans le groupe. C’est là que j’ai appris à être le guitariste principal provisoirement. Je me suis dit que je devrais commencer à m’y mettre sérieusement.
Nick – Je me souviens qu’à nos débuts je devais toujours m’entraîner beaucoup pour suivre le rythme des autres parce que j’étais vraiment à la traîne par rapport à eux. L’idéal pour jouer bien, c’est de jouer avec un groupe. Ça te pousse vers le haut.
Qu’en est-il du chant ?
James – Je n’avais aucune envie d’être le chanteur. Je me voyais plus dans un rôle comme Johnny Marr, Noel Gallagher, Keith Richards, ou Pete Townshend. Je voulais juste écrire des chansons. Et puis je suis devenu le chanteur du groupe. Je ne faisais pas des merveilles à la guitare de toute façon ! Je crois que j’ai toujours voulu être un meilleur guitariste. Je n’ai jamais réussi à m’entraîner suffisamment parce que j’ai mis tout ce que j’avais dans le songwriting. La création m’intéresse particulièrement.
Ça te plaît de chanter maintenant ?
James – Oui, quand je chante je me sens bien. Parfois, ça me plaît moins de ne pas pouvoir trop boire, pour ne pas risquer d’abîmer ma voix, alors que tous mes potes peuvent se lâcher ! (rires) Mais c’est comme ça. Sinon oui, ça me plaît. En studio, je n’ai pas besoin de faire beaucoup de prises. J’y vais et en deux prises c’est bon. Je ne m’entraîne pas spécialement à chanter chez moi. J’apprends en le faisant quand on doit enregistrer. Je me suis fait retirer les amygdales quand j’avais 15 ans. Avant ça, je ne pouvais pas trop chanter.
Comment avez-vous vécu le fait de vous retrouver à quatre, avant l’arrivée du nouveau guitariste ?
Nick – On a fait pas mal de démos.
James – On a même commencé l’album. On a seulement commencé à répéter avec Paul Molloy (le nouveau guitariste – ndlr) après avoir fait environ quatre morceaux, non ?
Nick – Oui.
James – On voulait juste faire ça entre nous, sans l’avis de personne. On savait ce qu’on faisait. On a gardé cette même énergie sur tout l’album. Si quelqu’un de l’extérieur venait, il fallait qu’il nous dise : « J’aime ce que j’entends et je peux y apporter quelque chose. » Pareil quand on est allés voir la maison de disques pour leur faire écouter l’album fini, sans leur demander leurs suggestions. C’est un album assez extrême, alors on a dû s’isoler un peu dans notre monde pour ne pas tenir compte de trop d’opinions extérieures.
Vous vous êtes revus pour sélectionner les morceaux qui figureraient sur The Curse of Love (sorti en 2014 mais composé de chansons enregistrées entre 2005 et 2007 – ndlr). Est-ce que c’est ça qui a déclenché votre envie de créer à nouveau ensemble ?
James – Cette envie était déjà là. On a recommencé à se donner des compilations pour se faire écouter ce qu’on aimait. Quand on a fait le point pour The Curse of Love, on s’est dit que ça valait vraiment le coup. Ça nous a redonné confiance parce qu’on s’est chargés de tout pour cet album.
Nick – Oui, c’est la première fois qu’on a enregistré et produit nous-mêmes un album. Pour Distance Inbetween, on a choisi de co-produire.
C’est un album plus frontal et psychédélique, avec un son live. Ça fait longtemps que vous aviez l’idée d’essayer cette approche ?
Nick – Nos deux ou trois derniers albums avaient des chansons très délicates, avec des harmonies et des petits passages compliqués, difficiles à reproduire dans des grandes salles.
James – Oui, ça fonctionnait mieux quand on les jouait devant un public assis. On a fait quelques tournées comme ça. C’était génial, mais je crois qu’à force on avait envie d’autre chose. Ça reflète aussi nos évolutions personnelles. On a organisé des soirées où on passait la musique qu’on aimait : de la musique plus forte, avec un côté mordant et tranchant. Je trouvais que ça nous manquait un peu. C’est ce qu’on voulait faire après Butterfly House, mais on ne savait pas comment s’y prendre. Donc ça fait environ six ans qu’on a envie de faire cet album. On a dû apprendre à faire l’album qu’on avait en tête. C’est un concept qu’on avait depuis longtemps. John Leckie (le producteur de Butterfly House – ndlr) nous poussait un peu vers cette direction. Il nous a fait écouter des disques des Red Devils. On a essayé quelques morceaux de ce genre avec lui, un an ou deux après Butterfly House, mais on était vraiment épuisés. C’est impossible de faire un album qui a une forte attitude et un sentiment de résistance en étant épuisé dès le départ. On ne savait pas trop comment éviter de tomber dans les clichés du rock. Ça nous a pris du temps pour trouver comment faire.
Nick – Entre temps, on a aussi chacun fait des trucs en solo, notamment des albums et des tournées. On a tous plus ou moins participé aux albums solo des autres.
James – C’était bien de pouvoir faire des choses nouvelles qui correspondaient à ce qu’on vivait à ce moment précis. Aujourd’hui, ça ne m’intéresserait pas d’aller voir en concert un groupe qui joue en acoustique. Je trouverais ça ennuyeux. En ce moment, j’ai envie d’entendre une certaine résistance, des sons forts et agressifs. C’est ce qu’on va jouer sur notre prochaine tournée, principalement nos chansons rapides.
Beaucoup de groupes qui s’intéressent au krautrock et au rock psychédélique jouent des chansons assez longues. Au contraire, vous condensez ces influences dans des formats courts…
Nick – Oui, c’est d’ailleurs ce qu’on a toujours fait. Dès le tout début du groupe, on a toujours voulu injecter des idées et des influences bizarres dans des chansons pop de trois minutes trente.
James – Quatre minutes grand maximum. A notre échelle, certaines chansons du nouvel album sont très longues. Il y en a même une qui fait cinq minutes. C’est notre grande période de rock progressif ! (rires) On pense souvent à la devise de Tom Petty & The Heartbreakers : « Don’t bore us, get to the chorus ! » (en VF : « Ne sois pas ennuyeux, passe au refrain ! » – ndlr). Ça me plaît bien. En même temps, j’aime aussi les morceaux plus longs. En concert, ça nous arrive d’allonger certaines chansons. Mais au fond, il faut avoir conscience de qui on est. Avec The Coral, on aime essayer de trouver des moyens de s’approprier ces influences et de créer la pop qui nous intéresse. Peut-être que quelqu’un qui écoute The Coral n’aime pas spécialement Can ou Hawkwind, mais il peut apprécier ces influences à l’intérieur d’une chanson de trois minutes, sans s’en rendre compte.
Ça peut même permettre de remonter aux groupes qui vous ont inspirés.
James – Oui. Ça m’arrive très souvent. Mes groupes préférés m’ont ouvert à plein d’autres choses. Tu commences à aimer Hawkwind et tu te retrouves à lire des romans de Michael Moorcock. Des Beatles, tu passes à Kraftwerk ou à Oasis. Tu remontes le fil jusqu’à te retrouver à Charlie Patton.
Vous êtes entourés de plein de posters de films d’horreur et de science-fiction. Ça vous inspire depuis longtemps ?
James – Oui. Mon père a toujours adoré des gens comme Ray Harryhausen, ou peindre des figurines. J’ai été élevé dans cet univers et j’ai toujours adoré tout ça. Je crois qu’on aime tous fuir la réalité. C’est notre point commun dans ce groupe et ça se reflète dans nos centres d’intérêt : les dessins animés fantasy des années 80, les effets spéciaux de films d’horreur et de science-fiction et les œuvres de Richard Ford ou de Sam Shepard qui peuvent sembler réalistes mais qui sont bien plus éloignées du réel que Philip K. Dick de nos jours. En tout cas, c’est comme ça que je vois le monde moderne.
Nick – Quand tu es plus jeune, tu peux être tellement impressionné par un film que tu as l’impression de vivre dans ce film pendant un certain temps. Ça se produit moins après mais le souvenir reste. Petit, ce sentiment peut être un peu trop fort, difficile à contenir.
James – Ça modèle ta personnalité quand tu grandis jusqu’au point où tu pars trop loin ! (rires)
Nick – Oui, tu peux être totalement absorbé dans un autre monde.
James – Maintenant, j’ai l’impression que ce qu’on crée est meilleur quand on n’est pas influencés par quelque chose d’autre, quand ça parle davantage de ce qui me trotte dans la tête.
Nick – C’est peut-être parce qu’on évoque souvent dans nos chansons des sentiments inconscients, plutôt qu’immédiats.
James – Parfois tu peux te laisser prendre à essayer de recréer un sentiment plutôt que d’en créer un.
Est-ce que votre processus d’écriture a changé sur ce nouvel album ?
Nick – C’était en partie une question d’assembler plein de petits morceaux. Mais ça arrive aussi qu’on écrive une chanson complète d’un seul coup.
James – On a moins écrit tous ensemble dans la même pièce. On a tous les deux eu des idées de notre côté, par exemple le soir avant de s’endormir. Comme Nick préparait son projet de livre, il m’envoyait parfois des textes. J’arrive à écrire des chansons à partir de ça et à les structurer. Faire un livre, ça donne la liberté d’aller explorer des pistes auxquelles on ne penserait pas forcément pour une chanson. Une des chansons a été écrite comme ça, presque comme un coupé-collé.
Nick – Holy Revelation, c’était juste un riff à la base.
James – Oui, on l’a finie en studio à la dernière minute, à onze heures du soir pour finir le lendemain, un peu comme dans les Sixties. J’ai toujours bien aimé ça. Pour nos singles, c’est toujours un processus très rapide. Holy Revelation et Miss Fortune, les deux singles probables, ce sont des chansons qu’on a écrites très rapidement en studio. On a travaillé de manière différente. Nick m’envoyait une démo où on entendait juste un synthé. Ça me donnait une idée et on écrivait une chanson ensemble. Ce qui a changé, c’est surtout le moyen de communication, plus que la façon de composer. On est plus âgés, donc ça devient compliqué de se retrouver comme avant dans les chambres des uns et des autres pour composer ensemble et jouer à la Playstation. A 35 ans, ça devient un peu bizarre ! (rires)
Pourquoi avoir enregistré ce nouvel album presque en live, en seulement une ou deux prises ?
Nick – Aux répétitions, on s’est dit assez rapidement que ce serait la meilleure façon de s’y prendre à cause du son qu’on avait et de notre énergie du moment.
James – On avait aussi en tête l’idée que ça ne pouvait pas être du rock. Ça devait être expérimental, avec une dimension artistique. Si on prend des passages du White Album (des Beatles – ndlr), on peut les produire pour obtenir presque du rock progressif. Mais comme c’est très frontal et qu’ils ne s’aimaient peut-être plus trop à ce moment-là, ce qui n’était pas notre cas, c’est juste de l’art pur et simple. De la musique artistique où les erreurs deviennent une force. Pour un groupe comme nous, qui joue ensemble depuis si longtemps, il y a une telle précision qu’il faut vraiment faire un effort concerté pour retrouver un côté brut.
Nick – Oui, c’est devenu naturel de jouer de façon propre.
James – Je me souviens d’une phrase de Keith Richards qui disait : « On doit travailler vraiment dur pour que nos albums aient un si mauvais son ! » Je vois ce qu’il veut dire. Cet album aurait pu avoir un son bien plus lisse. On a préféré se fixer des limites pour que le son soit rugueux. C’était beaucoup de boulot quand on s’y est mis. On avait cette énergie crue et nos idées, mais il a fallu qu’on décide comment The Coral pouvait avoir un gros son sans perdre l’identité de The Coral. C’est ça qui a pris le plus de temps. Ensuite, écrire les chansons et les enregistrer, ça s’est fait assez vite Ça ne nous intéresse pas de ressembler à Queens of the Stone Age ou aux Black Keys parce que ça a déjà été fait. On voulait avoir un son lourd sur ce nouvel album, tout en restant fidèles à nous-mêmes, en gardant les échos étranges qui ont toujours défini la musique de The Coral.
Composer des chansons, ça se fait toujours rapidement chez vous ?
Nick – Quand l’idée de départ est là, oui.
James – Oui, quand tu sens monter en toi le début d’une idée. Après, ça peut me prendre un an d’écrire des paroles, voire cinq ans ! Pour la chanson Distance Inbetween, les paroles m’ont pris environ huit ans.
Nick – C’était à l’époque où on a écrit The Curse of Love. C’est la chanson la plus ancienne de tout l’album.
James – Oui. Je n’arrivais pas à la finir. Ça m’a pris huit ans pour boucler les paroles d’un couplet, alors que j’ai composé la chanson en cinq minutes !
Nick – Au final, c’est probablement mon couplet préféré.
James – Enfin, si on m’avait dit que je devais absolument finir le couplet le lendemain, je l’aurais fait. On a dû refaire toute la chanson Holy Revelation, sauf le refrain qui n’a pas bougé. On l’a fait en une nuit sans problème. Pour Miss Fortune, on a refait tout le refrain.
Nick – Tu l’as réécrit dans un coin de la cuisine du studio.
James – Oui. Donc si tu as du temps devant toi, ça va te prendre un temps fou. Si tu es obligé de faire ça rapidement, tu le fais.
Cet écho étrange dont vous parliez, d’où vient-il ?
James – Je crois que ça nous vient de la mer, du bruit des bateaux qui s’entrechoquent, de la façon dont la voix résonne face au large, des fantômes qu’on croise sur la plage la nuit. A chaque fois que je vais dans une vieille ville, je m’intéresse toujours plus à ressentir ce qu’elle a été, aux fantasmes et aux spectres du passé, plutôt qu’à ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
Ça vous arrive de réécouter vos précédents albums ?
Nick – Pas trop.
James – Ça peut me rendre triste !
Nick – En fait, je trouve qu’en réécoutant ça peut avoir plus de sens qu’au moment d’enregistrer. Mais ça me donne un peu l’impression de perdre de mon temps.
James – Oui, et puis c’est différent parce que sur certains albums il y avait d’autres membres qui ne sont plus avec nous. Je n’ai aucun regret, mais je ne vois pas trop l’intérêt de réécouter tout ça.
Nick – L’album qu’on vient de faire est toujours celui qui nous intéresse le plus et c’est bien que ça soit le cas.
James – Oui. Parfois, j’aimerais bien remonter dans le temps pour pouvoir nous guider à l’époque. Enfin, peut-être qu’on était impossibles à guider !
Nick – Je crois, oui.
James – Aucun d’entre nous n’avait la moindre expérience. Je ne dis pas ça pour critiquer ou quoi que ce soit. C’est juste qu’aucun d’entre nous n’avait jamais fait ce genre de truc. Dans un sens, c’est justement ce manque d’expérience qui a rendu ce projet aussi génial. On n’avait aucune règle, juste une folie bienfaitrice. Mais c’est aussi ce qui est devenu intenable. Donc parfois j’ai du mal avec ça, mais sans aucun regret. Je suis heureux de là où on est aujourd’hui. Ça ne m’apporte rien de bon de réécouter tout ça. Je suis du genre à entendre les faiblesses, à me dire qu’on aurait dû faire ça. Ce qui est fait est fait.
Comment ça se passe avec le label que vous avez créé, Skeleton Key Records ?
James – Bien. Ça doit faire trois ans qu’on a démarré ce label. Le premier album qu’on ait sorti, c’était sûrement l’album d’Ian (Skelly – ndlr). J’avais un autre label qui s’appelait Thin Skin et un autre avec Neville (Skelly – ndlr) qui s’appelait Watertown. On a fait la fusion la plus merdique de l’histoire, avec d’un côté ce label qui n’avait sorti qu’un 45 tours, de l’autre un seul album. On a donc fusionné pour s’appeler Skeleton Key Records.
Nick – Ça a fait trembler toute l’industrie du disque ! (rires) Ça a provoqué une coupure d’électricité à Londres !
James – Donc on a sorti l’album des Sundowners et cette année on a plein de sorties prévues : She Drew The Gun, Marvin Powell, Cut Glass Kings, le deuxième album des Sundowners. On a aussi sorti notre album The Curse of Love. A la fin de l’année, on aura sorti environ huit albums. On a sorti les premiers singles de Blossoms, avant qu’ils signent chez Virgin. C’est nous qui les avons découverts et ils sont arrivés jusque là sans management. On a fait tout ça sans budget. J’espère qu’on pourra se développer dans le futur. J’ai toujours voulu faire ça. Je n’aime pas tellement le côté « indie ». Ça peut être bien fait, comme chez les Cribs, mais en général je trouve ça sans saveur, morne. Ecrire une chanson sur un arrêt de bus, ça ne m’intéresse pas. J’ai besoin de couleurs, d’ampleur. Dans ce groupe, on s’intéresse à plein d’autres aspects. On fait des clips, des bandes originales, des livres. Ça peut prendre plein de formes différentes. On est en 2016 quand même. Si tout ce que tu veux faire, c’est écrire des paroles comme Ian Curtis, tu as intérêt à être à la hauteur. Il existe tellement de moyens d’être créatif aujourd’hui. Tu peux faire un film sur ton iPhone. Enfin, c’est juste ma vision des choses. Peut-être que j’ai juste du mal à garder mon attention sur une seule chose. J’adore la créativité sous toutes ses formes.
Comment vous sentez-vous pendant un concert ?
James – Je me répète : « Souviens-toi des paroles, souviens-toi des paroles, souviens-toi des paroles. » (rires) Je me dis : « Ah tiens, pourquoi est-ce qu’il se met à danser bizarrement comme ça ? » Et puis ça reprend en boucle : « Souviens-toi des paroles, souviens-toi des paroles, souviens-toi des paroles. » C’est tout ce que j’ai en tête pendant un concert. Pendant des années, je me demandais : « Mais pourquoi je ne vois rien ? » Et un jour j’ai compris que j’avais besoin de lunettes. (rires) Je fais le concert, c’est tout. Si tu commences à te dire que c’est super, c’est sûr que tu vas faire une erreur juste après. C’est tout le temps comme ça ! Donc j’essaie juste de rester concentré, de me rappeler des prochains couplets. Si tu arrives à faire jusqu’à la moitié du concert, tu rentres vraiment dedans, la suite coulera toute seule, et tu auras l’impression d’être dans un rêve. Mais il faut garder une certaine concentration. Dès que tu es content de toi, tu te mets à faire des erreurs.
Nick – Je trouve que si on joue de façon négligée, ce n’est pas comme si les Stones jouaient de façon négligée. Avec eux, ça passe, mais ça ne marche pas du tout avec nous.
James – Jagger peut chanter n’importe quoi et ça passe ! (il se lance dans une imitation – ndlr) Ce n’est pas possible quand on fait des harmonies à trois.
Nick – On doit être bien calés, bien ensemble.
James – Il faut pas mal de concentration. On joue des chansons qu’on a parfois écrites il y a dix-huit ans. Peut-être qu’une fois qu’on aura fait quelques concerts, je pourrai me détendre un peu, mais en ce moment on veut s’assurer que tout se passe bien et que les gens en ont pour leur argent. On va jouer des chansons extraites de chacun de nos albums. Comme nos chansons sont courtes, il faut qu’on en joue pas mal pour remplir une heure et demie ! Je vais faire des solos de guitare pour la première fois. Mais en dehors de cette concentration, on adore jouer en concert une fois qu’on est sur scène. Il y a des risques, il y a des craintes, mais c’est grâce à ça que tu te sens vivant. Tu repousses tes propres limites. Ça doit faire environ cinq ans qu’on n’a pas fait de concert avec The Coral. J’ai joué des chansons de The Coral avec Bill (Ryder-Jones, leur ancien guitariste qui a désormais sa propre carrière solo – ndlr) il n’y a pas très longtemps. C’est comme si cette partie de moi était rangée dans un placard. J’ai bien aimé. J’attends avec impatience de remonter sur scène. C’est bien de faire des répétitions entre nous, mais c’est quand même autre chose d’être devant public. Tu as une adrénaline et des sensations qui n’ont pas d’équivalents dans la vie normale. On peut facilement devenir accro. Après, ça peut être difficile de revenir à la vie de tous les jours.
Nick – Ça fait du bien de perdre le contrôle de soi. C’est le seul moment de ma vie où ça me fait ça. On essaie de ne pas trop répéter pour que ça reste excitant et qu’on ait toujours du plaisir à jouer les chansons.
James – C’est vrai. Si tu répètes pendant quatre mois avant de partir en tournée, ça peut être pénible. Ça nous est arrivé quand Bill a quitté le groupe et qu’on a dû recommencer les répétitions pour le nouveau guitariste soit au point. En général, il suffit juste de répéter juste avant un concert et tu seras prêt. Pour cet album, Paul Molloy a appris tous les morceaux en même temps que nous. En ce moment, on a tous des occupations à côté, donc de toute façon on n’a pas le temps de répéter énormément. La porte n’est pas fermée pour Bill, ni pour Lee (Southall, leur ancien guitariste – ndlr). The Coral, c’est une mentalité, une ruche. Mais en ce moment, on a exactement le groupe qu’on souhaite et on ne regarde pas en arrière. On est très heureux de se concentrer sur le groupe qu’on forme tous les cinq. On en rediscutera après cet album parce qu’il faut parler de ce qu’on a envie de faire après chaque album, pour ne pas tomber dans une routine. En ce moment, on a le groupe qu’il faut et on en est très contents. On ne pense à rien d’autre pour l’instant, même pas à l’album suivant. On a hâte de refaire des concerts et le public nous attend depuis longtemps. L’instant présent, c’est tout ce qui compte pour nous.
album Distance Inbetween (Ignition/Pias), sortie le 4 mars
concert le 6 avril à Paris (Trianon)
{"type":"Banniere-Basse"}