Une nouvelles bonne raison de célébrer le génie de Miles Davis : la parution d’un coffret regroupant les sessions torride de « On the Corner ».
C’est avec lui que jaillissait le meilleur de moi.” Cette fonction éclairante, nullement exclusive à Trane, est réciproque. D’ailleurs, depuis qu’ils sont passés dans son groupe, Shorter et Zawinul ont formé Weather Report, Corea et Aïrto Moreira, Return To Forever, Mc Laughlin, le Mahavishnu. Hancock s’apprête à réunir les Headhunters. Miles est flatté ; un peu énervé aussi. D’autant qu’il sent l’environnement musical changer sans lui avec ce nouveau truc qui met les jeunes en transe : le funk.
En 1972, c’est bien simple, tout est funk, la musique, le look (afro, casquette brother, chaussures compensées), le cinéma (blaxploitation), la politique (Black Power) et même le sexe, plus libéré et direct. “C’est en pensant à James Brown et Sly Stone que j’ai enregistré On the Corner”. Cette séquence va s’étendre sur deux ans, générant la matière de trois albums, On the Corner, Big Fun et son hommage à Duke Ellington, Get up with It ; sans compter un paquet de séquelles et chutes de bandes aujourd’hui exhumées et réunies sur 6 CD. Pour l’accompagner, il s’entoure d’une phalange de jeunes gladiateurs qui n’ont pas froid aux yeux, capables d’en découdre avec Spartacus lui-même comme avec la réalité brute, âpre, exigeante de cette musique. Outre la trompette wha wha de Miles, la star des sessions sera Michael Henderson, ex-bassiste de Stevie Wonder et Aretha Franklin, métronome d’un freestyle funk obstiné, jouissif, précis, aléatoire, rigoureux, déjanté, chargé des phénoménales tensions créatrices de son temps et détenteur d’un puissant pouvoir poétique. Et, puisqu’il n’y a pas beaucoup de notes sur une trompette…
D’où le côté Afrique de science fiction de morceaux comme Ifé, Turnaround, Rated X où s’invitent aussi tablas et sitar indien. Au cours de ces deux années Miles cherchera comme jamais à maîtriser des forces antagonistes, qui sont finalement celles de sa propre personnalité (il était gémeaux). L’arrangeur anglais Paul Buckmaster, qui venait de lui faire découvrir Stockhausen – le pionnier de la musique électronique –, l’aidera à trouver certaines résolutions musicales et par là à libérer en lui un pouvoir quasi démiurgique.
Ainsi, pour simplifier, Miles dira qu’On the Corner était “la rencontre de James Brown et Stockhausen”. On pourrait certifier aussi qu’après Birth of the Cool venait “Birth of the Uncool”, qu’après Miles Smiles sortait Miles Grins (grimace), qu’il s’agissait en somme de la face cachée de Mars, des forges de Vulcain crachant des flammes bleues, d’un Armaggedon du jazz, d’une apocalypse du funk, d’un trip dont on ne se remet pas facilement. La preuve : après ce beau disque maléfique, Miles n’a pas pu toucher une trompette au cours des cinq ans qui suivirent.
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