N le maudit. Réédité par Blue Note, l’essentiel de l’oeuvre d’Herbie Nichols, mort dans l’anonymat, révèle un artiste culte. Herbie Nichols est un “artiste maudit” sans légende (les seuls véritables !), un fantôme ordinaire qui, après une carrière météorique menée dans le plus total anonymat (il meurt en 1963, à 44 ans, après n’avoir enregistré […]
N le maudit. Réédité par Blue Note, l’essentiel de l’oeuvre d’Herbie Nichols, mort dans l’anonymat, révèle un artiste culte.
Herbie Nichols est un « artiste maudit » sans légende (les seuls véritables !), un fantôme ordinaire qui, après une carrière météorique menée dans le plus total anonymat (il meurt en 1963, à 44 ans, après n’avoir enregistré que six séances en leader !), hante comme malgré lui, secrètement et sans grand tapage, l’imaginaire du jazz contemporain. Redécouvert et réhabilité dans le courant des années 70 par des musiciens aussi importants que Steve Lacy, Misja Mengelberg ou Roswell Rudd, considéré aujourd’hui par la pianiste Geri Allen ou le trompettiste Dave Douglas comme une influence majeure aussi bien dans l’histoire du piano jazz que dans le domaine de la composition, Nichols continue de souffrir d’un mal bien commun en ces temps de culture rapide et de seconde main : une parfaite méconnaissance de sa musique faute d’un accès direct à son oeuvre enregistrée.
Voilà pourquoi cette réédition sous forme de coffret de l’intégralité des trois séances enregistrées par Nichols pour Blue Note entre 1955 et 1956 prend aussitôt des allures d’événement. On est en fait là en présence de l’essentiel de sa production, de la quintessence de son art. Une musique atypique, irréductiblement originale dans sa façon prophétiquement postmoderne de brasser tous les genres (Nichols a une formation classique, son phrasé kaléidoscopique s’en ressent, qui conjugue en quelques mesures le lyrisme de Chopin à l’aridité de Bartók…) et d’unifier en un grand mouvement syncrétique tous les moments de l’histoire du piano jazz : du grand ancêtre Jelly-Roll Morton comme soubassement stride de son jeu, à l’hyperclassicisme d’un Teddy Wilson, en passant par la virtuosité savante d’Art Tatum, sans oublier les grands contemporains du mouvement bop, Bud Powell et Thelonious Monk, tous se voient convoqués dans le style inimitable de Nichols.
Si l’on ne devait pourtant retenir qu’un nom de toutes ces influences, c’est bien sûr Monk, dont il fut l’ami plus que l’élève, qui s’impose un lien de cousinage plus que de filiation, mais une réelle parenté entre les deux univers. Même sens de l’abrupt asymétrique dans l’équilibre des compositions, même qualité de mélodies énigmatiques et « hantétantes », même jeu sur la répétition. Nichols diffère cependant dans sa façon de penser sa musique à partir et en fonction du trio : une conception très particulière basée sur une sorte de continuum rythmique qu’il viendrait travailler par autant d’effets de montage d’étranges « chants/contre-chants », d’hallucinants plans de coupe subliminaux, une façon unique de prendre du retard sur le temps pour le rattraper en de stupéfiantes accélérations : tout un langage qui n’appartient qu’à lui, un art du trio où, à force de se fondre, Nichols affirme son ineffable présence. Il est temps aujourd’hui de la considérer.
Stéphane Ollivier
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