Clarence Greenwood s’est choisi un nom de scène ? Citizen Cope ? qui plaide d’entrée les circonstances atténuantes. Quelque chose que l’on pourrait traduire par “citoyen tentant de faire face”. Rien de bien glorieux certes, mais rien qui ne sache mieux souligner les priorités d’une époque où vivre, finalement, importe moins que rester en vie. […]
Clarence Greenwood s’est choisi un nom de scène ? Citizen Cope ? qui plaide d’entrée les circonstances atténuantes. Quelque chose que l’on pourrait traduire par « citoyen tentant de faire face ». Rien de bien glorieux certes, mais rien qui ne sache mieux souligner les priorités d’une époque où vivre, finalement, importe moins que rester en vie. Le second album de cette ancienne recrue du groupe hip-hop aphasique DC Basehead a en fait une mission : celle de ne prétendre à rien. On peut dire que plane sur ces onze morceaux un sentiment de pis-aller, parfois d’inutilité, comme rarement entendu de mémoire de critique. En fait, vous ne pourrez trouver musique qui, dans le contexte américain actuel, fasse ressortir aussi littéralement l’impuissance et la culpabilité propres à une certaine catégorie de gens mis devant le fait accompli d’une guerre dont les arrière-pensées deviennent lisibles un peu plus chaque jour.
La voix de Clarence pèse de la fatigue d’un jeune homme prématurément vieilli. Quant aux textes, ils sont semblables aux bribes de conscience qui surnagent après un choc ou une anesthésie générale. Il y a quelque chose du chanteur groggy chez Clarence Greenwood. A chaque instant, on le sent proche de l’abandon. D’ailleurs dès le premier round, Nite Becomes Day, il baisse sa garde. « Les choses deviennent vraiment dures, ces jours-ci« , nous assure-t-il, accompagné d’une sorte de syncope à la Dr. Dre feignant la légèreté.
Et tout du long, il avance ainsi, titubant, à la recherche de quelque prise solide pour garder l’équilibre. Dans Son’s Gonna Rise, on le croit pourtant ressuscité à l’espoir, à la vie (sa petite amie accouche sur la banquette arrière de sa voiture). C’est le morceau où Carlos Santana aligne un solo fulgurant comme à l’époque de Woodstock, quand toute une génération croyait avoir trouvé le chemin qui mène au nouveau jardin d’Eden. Or, si Clarence Greenwood incarne une génération, c’est celle qui se voit précisément orpheline de toute cette utopie. D’où la chute immédiate de Sideways, plongée dépressive qu’accompagne Me Shell NdegéOcello à la basse.
On y percevra aussi une double complicité le liant à la fois à Beck et à Eminem, pôles contraires d’une même époque sapée par le vide. Autant le premier est devenu un « protest singer » sans cause ? le loser de sa chanson ?, autant le second resplendit, vêtu de cette armure de dernier héros d’une classe ouvrière blanche sinistrée. Et parmi les nombreux plaisirs de ce disque aussi étonnant que poignant, il y a celui de voir Clarence Greenwood courir entre la balle et la cible, et tenter de vaincre le découragement propre à Beck tout en s’efforçant de trouver en lui-même la hargne qui stimule tant Eminem.