Plus qu’aucun autre groupe, Clash a servi de détonateur à tous les métissages à venir entre reggae, hip-hop, rock, blues, soul et funk. En jumelant tête baissée Brixton avec les rues de New York, il annonçait les mariages mixtes des années 90.
Dans son parcours digne d’un météore, Clash aura réalisé une fameuse performance : être autant partie prenante des années 70 que des années 80. Si on excepte une triste fin menée par des Joe Strummer et Paul Simonon au bout du rouleau (l’ultime album, le bien-nommé Cut the crap, soit « Arrête les conneries », direct dans les poubelles de l’histoire), le départ de Mick Jones en 1983 a sonné la fin d’une sacrée aventure. Qui laissera de belles traces : cinq albums importants et une descendance souterraine que le groupe aura complètement décoincée.
Point commun entre le trip-hop torturé de Massive Attack, la house des Ballistic Brothers ou les vindicatifs Asian Dub Foundation, l’influence de Clash a dépassé l’unique cercle du rock. Peut-être même que ce sont les rockers qui ont eu le plus de mal à l’assimiler et à l’assumer. Ceux qui n’ont vu dans la bande de Strummer qu’un groupe punk ont manqué tout le message de mixité et de curiosité qu’elle prônait. Lorsque, en 78, la tribu Funkadelic de George Clinton se demandait si un groupe de funk noir pouvait jouer du rock, les quatre Londoniens affirmaient leur envie de s’approprier le reggae ou le dub sans se poser véritablement de question. Contrairement à Police, qui trouvait un compromis avec son reggae light de petits Blancs, Clash préférait la confrontation entre ses guitares furieuses et le rythme jamaïcain. En reprenant Police & thieves de Junior Murvin sur son premier album ou plus tard, Armaggedon time, il se montrait sans doute plus constructif, remplaçant la grâce des originaux par une intensité, une émotion à fleur de peau qui donnaient toute leur légitimité à ces visions personnelles.
A l’époque, il fallait être culotté pour oser ce reggae-rock, jouer tout haut ce que les autres échafaudaient tout bas, mais la démarche tenait ici moins de la bravade que de l’innocence. Clash a décomplexé un tas de blancs-becs en osant sortir du pré carré du rock, et aller jusqu’au bout de ses idées, de ses rêves : le groupe se fera produire par le sorcier dub Lee Perry sur le brûlot Complete control , emmènera plus tard en tournée le toaster Mikey Dread, deux signes forts en direction de la Jamaïque, cet Eldorado sonore fantasmé.
Dans cette entreprise d’éclatement des cloisons, c’est le plébiscité London calling qui servira de déclencheur : les joints y craquent en grande partie, laissant se déverser des envies bien plus riches que chez la moyenne de leurs contemporains. Fini l’énergie à tout prix, Strummer et Jones varient les plaisirs, les rythmes et ne rechignent jamais devant un petit standard rockabilly (Brand new Cadillac de Vince Taylor) ou l’exhumation d’une perle soul (Stagger Lee).
Mais c’est l’album suivant, Sandinista, dont l’empreinte restera consciemment ou non la plus vivace, non sur les années 80 (qui le zapperont et ne lui témoigneront que de l’incompréhension sauf en France, où le disque fut plébiscité par la critique), mais sur la musique de notre décennie. Les adolescents qui eurent droit à cette grosse bouffée rafraîchissante ne s’en sont sans doute jamais remis et, à l’heure de passer à l’acte musical, ont vu les choses moins compartimentées qu’auparavant.
Contesté à l’époque à cause de son éclectisme, ce disque, triple à l’époque (1981), reste celui où Clash se lâche le plus. Enflé par le tiraillement d’egos surchauffés, il part vraiment dans tous les sens, donnant à l’expression « ouverture d’esprit » un sens d’une force encore inégalée aujourd’hui. Comme s’il se sentait à la croisée des chemins à égale distance du bouillonnement originel et de l’étape suivante, le rock des stades , le groupe se livre à une exploration complète de son inspiration. Rock, pop, reggae mais aussi blues, soul, funk et rap naissant s’entrecroisent dans un kaléidoscope qui résume la musique populaire et annonce aussi une nouvelle décennie pleine de mélanges. Enregistré au studio Electric Ladyland de New York, Sandisnista respire l’air de la rue et se nourrit de hip-hop et de disco. Défiant les conservatismes de la new-wave pour qui le disco était ennemi, Clash s’intéresse ainsi aux musiques de danse, témoins ces Magnificent seven et Lightning strikes encore raides mais significatifs d’une attirance pour le groove.
Plus fort encore, Clash semble avoir anticipé sans le savoir la culture du maxi et du remix : Sandinista se termine ainsi en bouclant la boucle. Certains titres (Junco Partner, Washington bullets) ont droit, plus qu’à une version dub, à une véritable relecture synthétique qui sacrilège est intégrée au corps même de l’album au lieu d’être laissée en périphérie, sur une quelconque face B. Trou noir d’une discographie jusque-là plus respectueuse des bonnes moeurs, Sandinista est un pétage de plombs jubilatoire, un pied de nez aux habitudes où Clash se transforme en un collectif qui s’efface derrière ses invités. Le groupe s’acoquine avec l’artiste hip-hop Futura 2000, maître ès graffitis, qui deviendra l’une des stars du genre ses oeuvres ornent aujourd’hui quantité de disques du label Mo’Wax. Les Anglais l’accompagnent même sur un maxi sorti chez Celluloïd, label electro qui eut son heure de gloire au début des années 80.
Plus tard, Combat rock s’engouffrera dans la même voie, mais parviendra à se faire entendre en réduisant à de plus modestes dimensions la soif de nouveauté d’un groupe au bord de l’explosion. Ladite explosion survenue, Mick Jones montrera que cette envie de quitter l’univers du rock pour des sentiers plus funky et moins rebattus lui était en grande partie redevable. Avec Big Audio Dynamite, laboratoire bordélique mené avec le DJ-cinéaste Don Letts, Jones s’attaquera plus hardiment à la dance-music, une entreprise qui louvoiera entre la franche réussite et des essais houleux. Mais l’essentiel était déjà fait.
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