Après le succès planétaire de la bombe Cannonball, rien ne va plus chez les Breeders. Sur fond de nouvel album jeté aux orties et de peine de prison avec sursis, quelques éclaircissements sur une crise que l’on pourrait résumer comme suit: les Breeders vont mal, mais leur cheftaine Kim Deal va bien. Elle prépare son album, Pacer, prévu pour cet automne.
Pour beaucoup, la tentation est grande de faire des Breeders de Kim Deal un équivalent féminin du Nirvana de Cobain. Tellement grande que certains ont déjà allègrement franchi le pas, prédisant un avenir bien cafard, un plongeon dans la dope et une durée de vie maximale de deux ans. Trop beau, le succès des Breeders. Trop énorme, trop rapide, donc forcément impossible à gérer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pourtant, ceux qui se font des cheveux blancs pour ce groupe et son principal poumon commettent une erreur excusable. Car Kim Deal n’est pas exactement fragile, pas le genre de fille à consulter son psy pour comprendre pourquoi sa chanson Cannonball a été programmée sur toutes les radios du monde, de Mexico à Monaco, ou à plonger dans la came pour noircir un destin trop doré. Avec son physique de nageuse est-allemande et sa désinvolture légendaire, la chanteuse des Breeders semble protégée, comme immunisée contre les contrariétés existentialistes qui minent certains de ses collègues.
Face à Cobain, Kim Deal, c’est un peu Mike Tyson, un genre de montagne, une bastille imprenable. S’il y a péril en la demeure, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher. En vérité, c’est le corps des Breeders qui souffre, pas la tête, pas le cerveau. Le corps, c’est une section rythmique à la traîne, lourde, fainéante, trop souvent absente, à la ville comme en studio, et une guitare placée entre les mains de la soeur jumelle, Kelley Deal, laquelle connaît actuellement de sérieux problèmes avec la justice américaine. Pour ne pas sombrer dans la dépression, la tête pensante songerait donc à quitter le corps besogneux, à se délivrer de la carcasse cancéreuse pour ne pas sombrer avec elle.
Dans une interview accordée au magazine américain Spin, Kim Deal explique pourquoi, cinq années après la formation de ses Breeders, elle souhaite maintenant s’en échapper. « Il faut que ça soit parfaitement clair : je ne suis pas en train de travailler sur un album solo parce que mes musiciens se sont montrés trop paresseux ou irresponsables. Disons plutôt que j’ai un rythme de travail beaucoup plus élevé que le leur; que je me suis retrouvée avec assez de textes et de musiques pour enregistrer un album complet à une période où les autres Breeders n’étaient pas disponibles. Plutôt que de les attendre, j’ai décidé de me jeter à l’eau en solo. Et puis j’aime assez me comporter en salope égoïste : il y a longtemps que je rêvais de ce disque sur lequel je pourrais jouer de tous les instruments moi-même. Ma soeur Kelley se fout de ma gueule, elle m appelle The Artist Formerly Known As Kim (en reference a The Artist Formerly Known As Prince). Mais moi, je trouve ce projet solo parfaitement légitime: légalement, c’est moi qui ai signé un contrat avec le label 4AD ? à l’époque des Pixies ?? pas les Breeders. Je peux donc faire exactement ce que je veux. Si je le souhaite, j’ai le droit d’enregistrer un disque du genre Les Plus grandes mélodies du monde jouées au trombone par Kim Deal. Ce ne sont pas les Breeders qui pourront m’en empêcher.»
Est-ce à dire que le quatuor formé des mois avant la séparation des Pixies vivrait actuellement ses dernières heures ? On sait déjà que Kelley, la s’ur terrible, ne pourra pas se remettre au travail avant plusieurs mois. En novembre dernier, deux semaines après qu’elle eut quitté la maison partagée avec sa jumelle, la police faisait irruption chez elle au moment où un livreur de paquets lui remettait une boîte contenant plusieurs grammes d’héroïne. Quelques jours plus tard, Kelley Deal plaidait coupable devant un jury l’accusant de consommation et trafic de stupéfiants et choisissait d’entrer en cure de désintoxication pour éviter l’incarcération pure et simple. Toujours dans Spin, le journaliste rapporte un échange verbal assez éloquent entre les deux s’urs réunies dans une même pièce pour les besoins de l’interview. « Alors te voilà, toi ! », lance d’abord Kim Deal. « Tu veux parler de tes histoires au journaliste ? » Kelley: «Non, je n’ai pas le droit d’en parler. Mon avocat me l’a interdit. Kim insiste: «N’importe comment, tu n’y couperas pas, tu sais ? Ils vont t envoyer au trou ! Et puis on va partir en tournée sans toi. » Kelley: « Tu dis n’importe quoi. Il y a plein de vices de forme dans le dossier. Je sais que je vais m’en tirer. » Après cet échange, aussi bref que bilieux, Kelley quitte la pièce. Plus tard, Kim Deal racontera avec du vague à l’âme la chute de sa s’ur jumelle : « je ne veux pas qu’elle lise des articles racontant sa relation avec la drogue et pense qu’elle est devenue une star. J’essaye de lui faire comprendre que ce ne sont que des conneries. Elle n’a plus de vie à elle : elle n’a plus que l’héroïne. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est de voir sa propre s’ur jumelle, sa meilleure amie, perdre tout amour-propre, tout contrôle d’elle- même. »
Pauvre Kim Deal: ce ne sont pas ses deux autres musiciens, le batteur Jim McPherson et la bassiste Josephine Wiggs (anglaise, transfuge de The Perfect Disaster, qui vont lui remonter le moral. Le premier a passé les six derniers mois à retaper une vieille baraque, manifestement moins passionné par le travail en groupe que par son marteau et ses clous. Quant à la seconde, homosexuelle revendiquée, elle était trop occupée à tomber amoureuse d’une des musiciennes de Luscious Jackson ? la batteuse Kate Schellenbach ? pour pouvoir soutenir Kim Deal dans l’épreuve. Après avoir déménagé de Londres à New York pour rejoindre l’amour de sa vie, aujourd’hui, elle songerait seulement à se remettre au travail. Un peu tard sans doute, car Kim Deal, elle, a déjà largement entamé l’enregistrement de ce qui aurait dû être le troisième album des Breeders, après Podet Last splash. Depuis 1993 le groupe n’a donc plus rien écrit collectivement, d’interminables tournées ? plusieurs mois en invitées de Nirvana, puis avec Luscious Jackson et au sein du festival itinérant Lollapalooza ? ayant amplement usé sa motivation avant un retour sur terre plutôt violent et l’arrestation de Kelley. Mais il en faudrait plus pour faire taire la voix des Breeders, insatiable fan de rock et tête brûlée remarquable. « Ma vie depuis le succès de Last splash Elle est à la fois très douce et assez minable. » Les six derniers mois, Kim Deal les a donc passés à Dayton, la petite ville où elle a grandi. Elle s’est installée un studio dans sa cave et a appris à jouer de la batterie. Elle a aussi accepté de produire l’album du groupe Guided By Voices, dont l’un des musiciens, Jim Greer, est son fiancé « je les envie terriblement: ils forment un vrai groupe, donnent des concerts, répètent tous les jours à Dayton. Les Breeders, c’est un vrai bazar une musicienne qui habite à Londres ou New York, selon l’humeur du jour, et Kelley qui va peut-être finir en taule ! » Enregistrées une première fois dans son sous-sol, ses chansons ont ensuite investi un petit studio, le Dreamland, blotti dans la campagne de l’Etat de New York, près de Woodstock. C’est là, deux mois durant, que Kim, soutenue par le producteur John Agnello, a peaufiné ses nouvelles créations. Associées à quelques morceaux enregistrés chez Steve Albini, à Chicago, elles donneront corps à un album maintenant prévu pour le début de l’automne: Pacer. Ceux qui les ont entendues parlent de chansons plus accessibles, de pop distordue, sur lesquelles défilent des paroles à la fois sentimentales et sarcastiques, « des choses beaucoup plus directes, très simples à déchiffrer ». «La majorité des chansons parlent d’alcool. On dirait un disque des Pogues » rajoute Kim Deal. « Il y a un côté très basique dans ce travail. Le nom que j’ai choisi est d’ailleurs lui-même assez direct. Tammy And The Amps. Tammy c’est moi. Et The Amps, c’est parce que je déboulerai sur scène avec une série de vieux amplis de guitares divers. » Un peu avant la sortie du disque, Kim reprendra la route du rock pour une large virée collective intégrant Beck, les Foo Fighters et les copains Guided By Voices ? cette tournée européenne passera d’ailleurs par Paris le 29 août prochain.
33 ans, déjà divorcée: la sagesse populaire dirait de Kim Deal qu’elle a de plomb dans la tête. Elle est un peu, à elle seule, toute l’Amérique des campus ? faussement insouciante. Avec sa tronche d’étudiante éternelle ? elle a fréquenté sept universités différentes sans jamais obtenir le moindre diplôme ?, de bonne fille des banlieues middle-class, elle pourrait facilement se fondre dans le paysage américain. Ce serait oublier un sens de la dérision et de la destruction particulièrement développé: on se souvient de quelques interviews suicidaires ou de ces chaussettes de foot remontées jusqu’aux genoux qui venaient saloper l’esthétique déjà bancale du clip de Cannonball. Un petit effort sur le physique, peut-être, maintenant que le groupe n’est plus là pour rivaliser dans le graissage de cheveux « je sais bien qu’en photo, j’ai toujours l’air d’une radasse. On dirait une femme au foyer fatiguée, certainement pas une star du rock. Mais je ne vais quand même pas me laver les cheveux avant chaque session de photos ! C’est ma gueule, c’est tout !Avec ou sans les Breeders dans le décor, il faut la prendre telle qu’elle est. »
{"type":"Banniere-Basse"}