Deuxième album pour l’extravagant Mika, l’un des plus évidents prétendant au titre vacant de King of Pop. Sous la pop frivole perce une âme tourmentée et un poil obsessionnelle.
A l’origine, le très attendu deuxième album de Mika devait s’intituler We Are Golden, comme l’extravagant single qui fait office de sésame à cette nouvelle caverne d’Ali Baba du Libano-Franco-Américain- Londonien le plus chanceux de la décennie. Finalement, ce sera The Boy Who Knew Too Much, titre à multiples tiroirs, à l’image de la pop extatique et expansive qu’il contient tant bien que mal en douze chansons et presque autant de tubes prêts à envahir les ondes jusqu’à l’écoeurement.
En relevant cet impossible défi de frapper encore plus fort qu’un premier album écoulé à cinq millions d’exemplaires (dont 700000 en France), ce “garçon qui en savait trop” sait surtout qu’un repos prolongé sur des lauriers trop flatteurs aurait plus assoupi une inspiration qui confine désormais à la turgescence. On pourrait même avoir des doutes, suspecter que derrière la façade avenante de ce golden boy se dissimule en réalité une armée de l’ombre de songwriters, arrangeurs, mélodistes et auteurs, un superhéros fabriqué en labo pour voler au secours d’une industrie du disque en péril et, pourquoi pas, du monde capitaliste tout entier.
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La réalité est plus banale : Mika Penniman, 26 ans, est un type qui s’assoit derrière un piano et qui imagine un monde “bigger than life” à partir d’un puzzle de sensations vécues ou fantasmées sur l’enfance (sur le premier album) ou l’adolescence (sur le nouveau). Ses rêves tordus, ses désirs troubles, tout le barnum parfois vicelard de ses textes, il parvient à les emballer, tels des cadeaux au pied d’un sapin de Noël, qui bien qu’empoisonnés, présentent l’inoffensive allure d’une farandole multicolore. La couronne vacante et le trône encore chaud du King of Pop pourraient lui revenir de droit.
ENTRETIEN
Quand tu as commencé à composer pour le nouvel album, tu as senti que les choses venaient naturellement, ou étais-tu paralysé par l’enjeu ?
Je n’ai pas écrit la moindre chanson pendant plus d’un an parce que je suis incapable d’écrire en tournée. J’avais besoin de retrouver l’atmosphère dans laquelle j’avais composé le premier album. Je vis toujours chez mes parents, dans un petit studio au sous-sol, avec la cuisine et le lit d’un côté et le piano de l’autre. Malheureusement, j’ai fait refaire tout l’appartement et c’est sans doute la pire décision de ma vie. Ça a complètement perturbé mon rituel. J’ai également fait fausse route en essayant à tout prix de plaire aux gens qui me détestent. J’ai cherché un moyen de me faire accepter, envisagé de changer mon style. Ça s’est avéré être une impasse totale : je n’ai pas pu faire le moindre titre.
Qu’est-ce qui t’a finalement débloqué ?
J’ai eu une discussion informelle avec Pete Townshend, le guitariste des Who, il a tout de suite senti que j’étais rongé par le doute. Il m’a dit : “Cette pression, cette insécurité, tu vas y avoir droit à chaque fois que tu auras terminé le cycle d’un album et d’une tournée et que tu devras t’asseoir dans une chambre et te dire, merde, il n’y a plus personne, je dois écrire de nouvelles chansons.” Il m’a aussi conseillé de penser comme un artisan et pas comme un artiste, une façon de dire que le succès n’était qu’une illusion et que seul le travail permettait de survivre.
[attachment id=298]Comment t’es-tu remis au travail ?
J’ai créé une sorte de petite routine en me rendant tous les jours en studio à la même heure. Je prenais mon déjeuner à heure fixe, dans le même restaurant, à la même table, c’était très important pour moi. J’ai aussi rempli le studio de photos et de fleurs, parce que j’ai une véritable addiction aux fleurs. J’ai reçu la note la semaine dernière, ma mère en a pleuré (rires)… A partir de là, je me suis senti à l’aise, je composais comme s’il s’agissait de la BO d’un film, un scénario de comédie musicale, et les pièces du puzzle se sont rassemblées, tous les personnages sont entrés en scène. Lorsqu’on écoute le disque, c’est vraiment ça : tous chantent leur histoire et j’incarne leurs différentes voix. Je suis cette jeune fille de 24 ans au coeur brisé, assise sur un trottoir, qui vient de vomir et qui tente de rattraper son maquillage. Sur une autre, je suis ce gamin sorti de West Side Story qui vient d’avoir sa première expérience sexuelle et qui veut fêter ça…
Avant l’album, tu as publié un ep acoustique, Songs for Sorrow, dans une veine intimiste et sombre. L’album est en revanche une explosion d’allégresse…
J’ai envie d’écrire des albums qui procurent l’effet d’une drogue, je veux vraiment faire des choses qui transfigurent la réalité. Je veux bouleverser ton monde, chambouler ton quotidien, comme si tu avais avalé un arc-en-ciel et que tu régurgitais un tas de couleurs saturées et d’émotions décuplées. J’aime la démocratie de la joie, sentir ce pouvoir unificateur lorsque tout le monde ressent la même chose au même moment, et certaines chansons permettent cette émotion. C’est pareil dans les moments de grande tristesse collective, ça me plaît depuis que je suis gamin, l’hystérie des masses.
Tu as ressenti ça à la mort de Michael Jackson ?
On l’a tous ressenti, avant que ça ne tourne à la mascarade… Quand j’étais petit, dans notre appartement à Paris, je dansais dans les habits de mes soeurs sur la musique de Michael Jackson, de Buddy Holly et sur du flamenco. Plus tard, je suis devenu obsédé par la grandeur de ses spectacles. Je le regardais et je me disais “ce mec est en train de faire de la musique selon ses propres termes, il a complètement réinventé la façon dont les artistes solos conçoivent et gèrent leur carrière”. Il existait totalement dans sa propre bulle et vivait entièrement à travers sa musique et sa façon de danser, jusqu’à l’obsession et la destruction.
Tu redoutes parfois de vivre des choses similaires à cause du succès ?
De temps en temps, j’éprouve le besoin de faire une pause parce que je commence à avoir des réflexes obsessionnels qui menacent de diriger ma vie. Même des choses a priori insignifiantes, comme la façon de ranger mon appartement, peuvent devenir effrayantes. Parfois je me dis, merde, je n’ai plus que deux amis et ils travaillent avec moi. J’ai perdu les autres à cause de ma manière de vivre, de mon travail. En ce moment, je cherche à acheter une maison pour mettre un peu de stabilité dans mon existence.
Avec l’argent que tu as gagné, tu dois avoir l’embarras du choix ?
Je n’en ai pas autant qu’on l’imagine mais oui, je peux payer toutes mes factures. Et c’est incroyable parce que j’ai grandi dans une famille où ça représentait un vrai problème. C’est d’ailleurs grâce à ma mère, qui est très proche de moi, que je garde les pieds sur terre. Pour l’enregistrement de l’album à Los Angeles, j’avais trouvé une très belle maison dans un quartier chic, mais ma mère a tout annulé sans me le dire et m’a loué un petit appartement dans l’immeuble où j’habitais à l’époque du premier album. Elle m’a dit : “Plus tu dépenses pour ta maison, pire sera ton album !”
Tu sembles très docile par rapport à ta mère et sérieux dans la gestion de ta carrière. Tu n’as pas envie de vivre de façon plus frivole, comme les gens de ton âge ?
Je fais les choses à l’envers. A 50 ans, j’aurai les cheveux bleus et je mâcherai des tablettes d’ecstasy toute la journée !
Album : The Boy Who Knew Too Much (Barclay/Universal)
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