De Nashville, le duo Black Keys éructe un rock rugueux teinté de blues. Rencontre chez eux avant leur concert parisien de ce soir.
Direction le studio, à quelques encablures du restaurant. Auerbach nous invite dans sa Subaru. Il place des serviettes sur la place du passager. “Mon toit est niqué et le siège trempé. Mais j’ai des vieilles techniques de tournée pour que tu gardes les fesses au sec.” Dans l’autoradio, une compilation de vieux tubes de pop thaïlandaise enregistrés entre 1964 et 1975. Auerbach tapote sur le volant pendant que Nashville défile sous nos yeux. Il pointe une enseigne du doigt. “The Basement, une toute petite salle. C’est ici qu’on a donné notre premier concert à Nashville.”
La voiture s’arrête devant une immense grille à l’ouverture automatique. Le studio est un carré de béton, un genre de bunker. A l’intérieur, un sol de dalles noires et blanches, des dizaines de guitares et de claviers, une batterie, des disques de Tom Waits, des Commodores, des Rolling Stones ou de très vieux bluesmen du Delta. Aucune fioriture. “On ne cherche pas à se construire une image, on en est incapables. Le studio de Dan nous ressemble, c’est le lieu de rendez-vous de mecs un peu nerds qui s’habillent avec ce qu’ils trouvent le matin au pied du lit”, plaisante Patrick Carney qui s’assoit à la batterie et nous gratifie d’un solo monstre.
Dans les prochains jours, l’enregistrement du septième album des Black Keys devrait débuter ici. “On a besoin de passer un peu de temps à jouer ensemble pour savoir dans quelle direction aller”, confie Auerbach qui tripote une guitare. Il y a quelques jours, les Black Keys ont couché plusieurs titres avec RZA, l’artificier sonore du Wu-Tang Clan. “Je ne sais pas ce qu’on va faire de ces sessions mais elles ne devraient pas figurer sur le prochain disque ni sur un éventuel Blakroc 2. Mais c’était un plaisir de bosser avec lui. C’est une de nos idoles depuis le premier album du Wu-Tang, explique Auerbach. D’habitude, on refuse de rencontrer nos idoles, surtout les musiciens. Un jour on a croisé Lou Reed. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le type est décevant.”
Patrick Carney, qui a fini son solo, enchaîne : “Le seul mec avec qui on aimerait passer du temps, c’est le comédien Zack Galifianakis, le barbu de Very Bad Trip. Il nous fait pleurer de rire.” Dans les semaines à venir, les Black Keys vont emmener Brothers sur les scènes d’Europe (dont le 15 mars à Paris, à l’Olympia). On leur rappelle un épisode mémorable. Lors de leur premier passage en France au Festival des Inrocks à la Cigale en 2004, Auerbach avait collé un énorme coup de santiag dans le cul d’un importun qui avait grimpé sur scène et jouait avec les fûts de Carney. “Mais oui, c’était magnifique, une journée folle, raconte le batteur. Je me souviens aussi de ce type, Carl Barât des Libertines, qui est connu uniquement dans son pays et à Paris (rires)… Il se trimballait devant nous avec des mannequins de 12 ans, il paraissait ridicule. Il avait un bassiste abruti qui nous montrait son instrument à 10 000 dollars, on avait envie de le baffer.”
Auerbach sourit : “Dès qu’on touche à Patrick, je sors mes santiags.” Lorsqu’on les interroge sur la nature de leur relation, les deux Black Keys se font pudiques. Potes, frangins ? “Quelque chose entre les deux. On a passé notre enfance à Akron, c’est une bonne base pour nouer quelque chose. Tu verrais l’endroit ! On a tout connu ensemble, absolument tout. Essaie de passer dix ans avec un mec dans un van ou un studio. Si tu y parviens, ça prouve que le type est ton ami. C’est pour ça qu’il devient difficile de nous dissocier aujourd’hui”, explique Carney. 13 heures à Nashville. Dan Auerbach, qui explique qu’aucun taxi n’est passé devant son studio depuis 1984, propose de nous emmener manger des tacos puis de nous déposer au centre-ville. Patrick Carney a autre chose à faire. Avant de monter dans sa Subaru, Auerbach lance à son collègue qui se dirige lentement vers sa caisse : “On s’appelle avant ce soir, mon gars.”
En concert ce soir à l’Olympia
Album : Brothers (Nonesuch Records/Cooperative/Pias)