De Nashville, le duo Black Keys éructe un rock rugueux teinté de blues. Rencontre chez eux avant leur concert parisien de ce soir.
Ce matin, les Black Keys nous ont donné rendezvous à l’Athens Family Restaurant, un diner aux abords de Franklin Pike. Sur cette immense artère de Nashville s’entassent les pick-up, les stations-service et les panneaux publicitaires. Le coin sent la saucisse, l’essence et l’Amérique. A l’intérieur, le restau affiche la couleur grecque : carreaux bleus et blancs sur les nappes, bouzoukis sur les murs, bouteilles d’huile d’olive sur les étagères, photo vintage du Parthénon. La serveuse blond platine et patibulaire porte un énorme tatouage dans le cou. Elle se demande ce qu’un étranger peut bien faire ici. C’est pour les Black Keys, madame. “Les Black quoi ?” Un groupe de rock, madame, le plus explosif du moment : un batteur qui cogne comme un dingue et l’autre mec qui fait tout : voix, guitare, basse. “Ah ah, mon bonhomme, aucun groupe de rock n’est jamais venu ici et aucun groupe de rock n’y viendra jamais.”
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Elle autorise pourtant l’étranger à s’asseoir devant un mauvais café alors qu’explose Jump de Van Halen à la radio. Quelques minutes plus tard, deux voitures stoppent sur le parking. D’un 4×4 Subaru noir descend Dan Auerbach, chanteur et guitariste blondin des Black Keys. D’une BMW anthracite flambant neuve s’extirpe le longiligne batteur à lunettes Patrick Carney. Les deux garçons pénètrent dans le diner comme au ralenti dans la bande-annonce d’un western spaghetti. Ils repèrent le journaliste paumé et s’approchent. “Cet endroit est cool, non ?”, lance Auerbach. Il serre les mains et conseille les oeufs à la grecque à son collègue. Carney suit la recommandation et laisse la parole au blondinet – il se contentera de “punchliner” entre deux coups de fourchette.
“Nous nous sommes installés tous les deux à Nashville l’année dernière, moi en juin, Patrick en septembre. On aimait beaucoup Akron (la ville de l’Ohio d’où ils sont originaires – ndlr), mais c’était devenu impossible pour nous. On n’avait plus rien à y faire, on en avait fait le tour. Ce n’est pas la musique qui nous a attirés ici, plutôt l’environnement, un coin tranquille, proche de la campagne. J’ai une fille et je pense que c’est un bon endroit pour elle. J’ai construit un studio d’enregistrement à moi, un peu plus loin. Pour Patrick et moi, c’est important de pouvoir débouler à n’importe quel moment pour travailler”, dit Auerbach.
Son compère approuve et avale lentement ses oeufs en nous scrutant derrière ses binocles à grosse monture. En février dernier, lors de la cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles, les Black Keys sont passés subitement à la vitesse supérieure. Deux récompenses : meilleur album alternatif avec Brothers, leur dernier disque, et meilleure performance rock pour Tighten up, le premier single qu’ils en ont extrait. Une apothéose pour un groupe qui a commencé son chemin voilà près de dix ans sur des petits labels.
Leur premier essai, The Big Come up, en 2002, est sorti sur Alive Records, ministructure underground créée par le Français Patrick Boissel. “Patrick est resté un vieux pote. D’ailleurs, j’enregistre en ce moment un groupe de Cincinnati signé sur Alive”, explique Auerbach. Le duo part ensuite chez Fat Possum, mythique label d’Oxford, Mississippi, sur lequel les Black Keys publient deux de leurs meilleurs albums (Thickfreakness en 2003 et Rubber Factory en 2004), mais aussi un ep en hommage à l’une de leurs influences majeures, le bluesman Junior Kimbrough (Chulahoma, 2006). Trois autres albums sortiront chez Nonesuch Records (Magic Potion en 2006, Attack and Release en 2008 et Brothers en 2010). Rajoutons-y le projet hip-hop Blakroc en 2009, où Mos Def, Q-Tip, Raekwon et Jim Jones se succédaient au micro. Aujourd’hui, la petite entreprise Black Keys semble capable d’affronter les plus grands groupes du rock nord-américain, d’Arcade Fire à Kings Of Leon.
Aux Etats-Unis, Brothers s’est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires. “Depuis dix ans, nous avons vécu une expérience incroyable : des tournées de plusieurs semaines dans un van, des concerts dans des salles minuscules devant trois cow-boys, des centaines de nuits dans les motels les plus minables du pays. Comme quelque chose qui nous portait et nous dépassait totalement”, résume Auerbach, avant de laisser la parole à Carney. “En dix ans, nous avons enregistré plus de disques et fait plus de concerts que n’importe qui : les Strokes, les Kills, les White Stripes… Peut-être qu’on partait de plus loin mais ce qui nous arrive me semble légitime”, note le batteur qui termine ses oeufs.
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