Huit ans après “The Magic Whip”, le quatuor légendaire a mis en boîte un grand disque dont le cœur se nourrit de l’errance et de la réflexion sur le temps qui passe.
“We have lost the feeling that we thought we’d never lose”, chante Damon Albarn sur Barbaric, la très jangle pop troisième chanson de The Ballad of Darren, neuvième album de Blur. Et tiens, c’est drôle, parce qu’on se disait récemment, au creux d’une nuit éveillée et tandis que tournait ce disque inattendu dans nos oreilles privilégiées, que la voix de Damon Albarn nous faisait l’effet d’une marée qui descend et qui monte, charriant avec elle quelques reliques et vestiges de la mémoire que l’on croyait engloutis. Elle n’est pas rare cette voix. Pourtant, ici, elle sonne comme un vieux souvenir qui remonte à la surface. Aurait-on pu oublier ce sentiment étrange autrefois si intense ?
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Trêve de sensiblerie. Blur est de retour, huit ans après The Magic Whip, vers lequel on n’est pas beaucoup retourné. Et, à en croire les principaux intéressés, ce retour est autant une surprise pour eux que pour nous. Ou, plutôt, une soudaineté, ayant émergé comme ça, au milieu d’un planning surchargé pour tout le monde.
Un album réalisé en très peu de temps
L’histoire telle qu’elle est racontée est trop cliché, trop simple pour être vraie : en pleine tournée avec Gorillaz l’année dernière, Damon Albarn, en transit, aurait mis en boîte une poignée de demos avant de rentrer au pays et de filer en studio avec Graham Coxon, Alex James et Dave Rowntree pour enregistrer cette nouvelle épopée discographique, finalisée fin avril, seulement quelques jours avant l’annonce de sa sortie par l’entremise du single The Narcissist.
Lors de la conférence de presse tenue juste avant la première date de reformation du groupe à Colchester en mai dernier, Damon s’est rappelé un instant Kodak à Montréal : “En face de ma chambre d’hôtel se trouvait cette fantastique fresque murale de Leonard Cohen. Je n’y ai pas pensé, j’ai juste écrit avec le cœur.” Et d’ajouter : “Le plus étonnant, c’est que nous ayons réussi à écrire un disque, à le répéter et à sortir un premier morceau seulement deux semaines après l’avoir terminé. Et puis un album, dans un temps aussi resserré. Je rêverais que les choses se déroulent toujours comme ça. Alors que parfois je dois patienter des années.”
Une machine bourdonnante à remonter le temps, mettant un coup de projecteur sur une époque
Sur le papier, nous aurions donc affaire à un disque d’urgence, résumé en dix titres enregistrés sous la houlette de James Ford, l’homme derrière les albums d’Arctic Monkeys (croisé aussi chez Gorillaz ou encore The Waeve, la récente collaboration entre Graham Coxon et Rose Elinor Dougall). Néanmoins, une fois écouté de bout en bout, The Ballad of Darren évoque davantage le temps long, la profondeur des choses (plutôt que les hauteurs de The Heights, morceau de clôture aux allures de Champagne Supernova en moins emphatique, malgré les violons).
En cela, il témoigne d’une certaine forme d’humilité face au temps qui passe, prenant acte à travers l’écriture mélancolique de Damon de l’impermanence de ce qui semblait acquis et qu’on ne questionnait donc pas. The Narcissist, premier single dévoilé, est ouvert à l’interprétation, mais le miroir mentionné dès les premières mesures du morceau fonctionne comme un rétroviseur, une machine bourdonnante à remonter le temps, mettant un coup de projecteur sur une époque où l’urgence, justement, était de mise. Mais l’était-elle tant que cela ?
Le requiem des années pré-Brexit
Hormis St. Charles Square, où la guitare de Graham résonne comme dans les 90’s, et Barbaric, le neuvième album de Blur n’est pas très enlevé. On est dans l’errance ouvragée et l’exaltation du détail, la beauté de l’arrangement, la quête mélodique, nue, au milieu des chœurs et de quelques effets d’apparat qui jamais ne plombent. C’est ainsi la balade de Darren que l’on suit dans un travelling, comme le suggère la photographie signée Martin Parr ornant la pochette, sans trop savoir de qui il s’agit.
Un vieux compagnon de route du groupe, apparemment, qui observe depuis toujours le quatuor avec un regard qui n’est pas celui du public. C’est par l’entremise de cette figure prégnante mais extérieure que Blur se réinvente, ou, disons, se retrouve, se recentre et se défait de la pression populaire que l’annonce trop prématurée d’un retour aurait accentuée, au point de briser la sérénité de cette réunion au sommet.
Remettre en lumière l’œuvre du groupe et ses moments les plus signifiants en termes de prise de conscience de la finitude des choses
Outre l’incroyable beauté du disque, la force de The Ballad of Darren réside dans sa capacité à remettre en lumière l’œuvre du groupe et ses moments les plus signifiants en termes de prise de conscience de la finitude des choses (Tender, No Distance Left to Run, Battery in Your Leg).
Tout compte fait, tout laisse penser que Damon, Graham, Alex et Dave ont voulu réparer le vide qui sépare 13 (1999), dernier album avec Graham Coxon avant son retour en 2015, et Think Tank (2003), album-laboratoire qui emboîtait le pas à la révolution Gorillaz dans un geste qui ressemblait à un dernier coup de poker. Blur vient peut-être de livrer le requiem des années pré-Brexit.
The Ballad of Darren (Parlophone/Warner Music). Sortie le 21 juillet. En concert au Festival Beauregard, Hérouville Saint-Clair, le 6 juillet ; aux Vieilles Charrues, Carhaix, le 14.
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