Groupe important de l’indie-rock US depuis leur précédent et sombre « Burst apart », The Antlers entament sur « Familiars » une mue impressionnante. C’est toujours aussi beau, mais beaucoup plus lumineux. Visite dans leur studio de Brooklyn.
Brooklyn, extrême est du quartier de Williamsburg. Sur la pointe des pieds et au sommet d’un escabeau, on pourrait apercevoir la skyline de Manhattan. Mais à hauteur de bitume, l’impression est celle d’être au milieu de rien : les trottoirs sont vides, les rues mortes et les commerces épars, le quartier n’a pas encore été “gentrifié”, n’est pas le parc d’attractions du faux cool argenté qu’est devenu le secteur de Bedford Avenue, épicentre mondial de la hype il y a quelques années encore.
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Les bâtiments s’alignent, bas et anonymes, des ateliers aveugles, des entrepôts cadenassés, une fabrique de tacos, deux ou trois bars quand même. Et, planqués au milieu de ce parfait non-lieu nord-américain, quelques studios d’enregistrement. Notamment celui de The Antlers.
Continuer l’ascenscion après avoir atteint le sommet
Dans une métropole mais loin de tout, profil bas, c’est entre ces murs de briques peintes, sur ce parquet immaculé, avec ces instruments alignés avec maniaquerie que les trois Américains menés par Peter Silberman ont enregistré Burst apart, paru en 2011. Suite de l’abyssal Hospice de 2009, collection de grandes chansons sombres et dramatiques, tortueux, d’une grande noblesse et d’une profonde beauté, Burst apart a fait de The Antlers l’un des groupes les plus importants et adorés de l’indie-rock US. Un chef-d’oeuvre, a-t-il alors été logiquement imprimé (et pensé) ici et là. Un sommet : pas simple de grimper plus haut.
“Il est impossible de complètement nier la pression, explique Silberman. Mais s’il y en a, il est nécessaire qu’elle ne vienne que de nous-mêmes. Ce studio est pour nous un sanctuaire. On peut y créer librement, nous concentrer, nous éloigner des distractions, faire une musique qui soit le fruit de ce que nous sommes, pas le produit que l’on attend de nous.”
Au fond du gouffre, des reflets d’âme
Un studio et un sanctuaire, ainsi que la retraite, au sens mystique du terme, où Silberman a effectué sa révolution morale. S’ils étaient parfois zébrés de quelques pâles éclaircies, Hospice et Burst apart étaient des oeuvres au fusain, écrites au fond du gouffre, les reflets de l’âme d’un songwriter qui, jusqu’alors, n’avait semble t-il pas beaucoup vu la lumière au bout du tunnel. Mais, depuis, Silberman a changé. Profondément.
“Après la tournée de Burst apart, j’ai senti le besoin de faire un point, de briser mes schémas de pensée. Je me suis mis à la méditation : un changement majeur. J’avais exploré l’obscurité ; la connaître parfaitement est ce qui m’a motivé, aidé et inspiré pour faire de la musique. Mais mon champ d’émotions s’est élargi. Je comprends mieux les deux extrêmes, je sais désormais que bonheur et tristesse sont les deux faces d’une même pièce, que l’un ne peut exister sans l’autre. Et j’essaie de comprendre le rapport qu’entretiennent les deux opposés.”
Le garçon, qui a également lu, entre-temps, le Livre des morts tibétain (“il explore tous les états intermédiaires de la réalité, entre la vie et la réincarnation”), a donc ajouté quelques nouvelles couleurs à sa palette.
Un optimisme inédit
Silberman et ses deux comparses, Michael Lerner et Darby Cicci, ne se sont certes pas transformés en joyeux et bondissants drilles. Et, comme ses prédécesseurs, ce Familiars, sur lequel le groupe a passé, reclus dans son studio, plus d’une année de recherche et de patine studieuses, n’est pas tout à fait un disque de pop bubblegum ou de rock fluo. Mais de manière discrète, ses amples chansons progressives et cuivrées, plus variées et mieux arrangées que celles de Burst apart, chantées dans les hautes atmosphères, teintées de soul ou de jazz et notamment influencées par les écoutes obsessives des grands explorateurs de psyché que furent Alice Coltrane ou Miles Davis, dévoilent un optimisme inédit pour le groupe.
“Le disque est assez lourd au début mais les choses s’élèvent progressivement. Il y a vers la fin une sorte de sentiment de soulagement, de poids qui disparaît : c’est le cheminement que nous avons recherché.”
C’est aussi, avec le groupe, la voie que suit l’auditeur. Car si les premiers morceaux de Familiars, la douce introduction Palace, Doppelgänger ou le spleen Super Glue d’Hotel continuent de naviguer dans l’obscurité, les horizons se découvrent dès Director, avec l’élégante Parade, l’éclairante Surrender ou sur le magnifique et complexe finale Refuge. Sans bouleversement et avec un très bel album en forme de transition, de rémission, The Antlers semblent entamer une mue prometteuse. Le présent de ce groupe décidément doué est, déjà, un profond ravissement. Mais son avenir promet de sacrées épiphanies.
Concert le 20 octobre à Paris (Café de la Danse)
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