Thatcher fut une muse pour le rock anglais de la charnière 80-90’s. Beaucoup ne lui ont pourtant jamais pardonné et rêvent de danser sur sa tombe. Edito de JD Beauvallet.
Margaret Thatcher est morte et j’ai beau avoir été élevé avec des valeurs de respect, de compassion, je peine à ressentir autre chose que de la joie aujourd’hui. Je ne la remercierai pourtant jamais assez d’avoir donné à l’Angleterre une scène musicale aussi riche, virulente, turbulente que celle de la charnière 80’s/90’s, dont elle fut aussi bien l’épouvantail que la muse.
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Il faut dire que j’ai vu, en direct, au début des années 80, les effets de sa politique de destruction massive de toute idée de tissu social, de solidarité : j’habitais alors Manchester ou Liverpool, où Thatcher envoyait sa police montée charger les grévistes.
Le cinéma anglais, hormis Ken Loach ou peut-être Mike Leigh, ayant alors beaucoup de mal à se faire entendre dans la jeunesse, c’est le rock qui servit de voix à la résistance. Je me souviens ainsi des actions du Red Wedge, autant concerts que meetings, où la tension était palpable, la rage omniprésente, où l’accablement et le désespoir ressortaient requinqués. Thatcher, en l’ignorant, en la méprisant, allait unir contre elle une jeunesse effarée par la violence sociale.
Le punk était déjà moribond à son arrivée au pouvoir en 79, mais les vagues successives de groupes anglais profiteront de cet appel d’air, de cette brèche pour, chacun son tour, s’insurger. Les vétérans Clash ou Jam seront ainsi vite rejoints par les Smiths, les Specials, Elvis Costello, Billy Bragg ou même Bronski Beat. Chacun, à sa façon, semblait concerné, chacun se sentait agressé. On ne compte plus les chansons mettant en scène la mort de Thatcher ou prévoyant les danses de joies sur sa tombe.
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Tout cela ne pourrait être que folklore désuet si, plus de vingt ans après sa piteuse capitulation face à ses propres amis, une haine toujours aussi sensible, épidermique ne se manifestait pas, bruyamment, sur les réseaux sociaux anglais. Je ne pense pas que la mort de Ben Laden, par exemple, ait provoqué ici une telle explosion de joie : depuis quelques heures, signe de la haine, de l’outrage et de l’humiliation autrefois ressentis, toute une génération vient solder ses comptes avec sa jeunesse, en faire enfin le deuil, en crachant une dernière fois sur cet ennemi implacable. Beaucoup de ces réactions, les plus virulentes souvent, viennent d’ailleurs du Nord du pays, cette région qu’elle prit un tel soin à démantibuler, concasser, mépriser. Ainsi Pete Wylie, le chanteur du groupe de Liverpool Wah! qui chanta The Day Margaret Thatcher Dies, semble revivre et, incrédule, jure que ce n’est pas suffisant. “Je voudrais qu’elle meure une deuxième fois”, ricane-t-il.
Tous seront désormais vigilants : depuis des années, prévoyants, ils se sont mobilisés, à longueur de pétitions, pour s’opposer à toute idée d’obsèques nationales. Un faux-pas qui raviverait des plaies encore purulentes, et recreuseraient un fossé de la honte entre Londres et le Nord. Des anciens de l’adolescence, des vétérans de la jeunesse agitée, n’attendent que ça pour remonter au créneau, ressortir les banderoles et les t-shirts Red Wedge. Et forcer Morrissey à remonter sur scène, pour chanter Margaret On The Guillotine.
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