Venus de Kettering, bled des Midlands, ces quatre Anglais chevelus ressuscitent le psychédélisme avec brio. Rencontre, critique et écoute.
Il règne un froid polaire sur Brixton, quartier du sud-est de Londres où l’on trouve autant de bobos à vélo que de crackheads en chasse. La mythique salle de concerts Brixton Academy affiche le nom de Primal Scream en grosses lettres sous lesquelles quatre frêles garçons aux tignasses fournies enchaînent les cigarettes. L’un d’eux, sosie de Marc Bolan, porte un manteau de fourrure, un T-shirt à paillettes et un slim qui laisse apparaître ses jambes d’une maigreur inquiétante. Un autre ressemble à un cousin de Bobby Gillespie – même pantalon, même coupe de cheveux –, tandis qu’un troisième pourrait être tout droit sorti de The Byrds.
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Intégrité psychédélique
Nous ne sommes pas en 1973 pourtant, mais bien fin 2013, et ces quatre jeunes hommes, la vingtaine à peine, ne sont autres que Temples, le groupe qui assurera ce soir la première partie de Primal Scream devant un parterre de fans transis et de pontes de l’industrie musicale britannique. “On est évidemment très fans de Primal Scream. C’est un groupe qui a touché tellement de gens. La musique qu’ils font aujourd’hui est restée fidèle à celle qu’ils faisaient dans les années 90. C’est vraiment un honneur de jouer avec eux ce soir : faire la Brixton Academy avec ce groupe, c’est tout un symbole”, confie d’une voix à peine audible le discret guitariste Thomas Warmsley.
La fidélité, c’est justement le sentiment au cœur de Sun Structures, premier album de Temples qui sait,comme Tame Impala en 2012, célébrer le passé sans nostalgie, respecter leurs influences sixties et seventies avec une intégrité admirable. Le point de départ du quatuor né à Kettering, petite ville des Midlands aussi über-urbaine et ghettoïsée qu’un village du Cantal. Shelter Song est le tout premier titre, étourdissant de psychédélisme, enregistré par les garçons chez leur chevelu leader – une chambre transformée en studio de fortune.
“Cette chanson a été une affirmation de la direction que l’on voulait prendre pour le reste de l’album, d’un point de vue mélodique comme d’un point de vue production. Tout ce qu’on a fait ensuite a été guidé par ce titre en termes d’atmosphère”, explique Thomas. “Je vois Shelter Song comme l’empreinte digitale de Sun Structures parce qu’elle a inspiré tout notre son”, ajoute le chanteur James Bagshaw, qui a produit le disque lui-même.
Travail d’orfèvre fait-main
Ce son trouve ses racines plusieurs décennies avant la naissance de ses vaillants (ré)initiateurs qui situent leurs premiers souvenirs musicaux chez la Motown, Green Onions de Booker T. & The M.G.’s ou We All Stand Together de Paul McCartney, et comptent parmi leurs fans Noel Gallagher et Johnny Marr. On y retrouve le chant évanescent de Bagshaw, des chœurs en cascade que n’auraient pas renié les Beatles période Strawberry Fields Forever, des boucles de guitares et de synthés au psychédélisme grisant et certainement un bon paquet de substances illicites – on ne donne pas naissance à un album aux riffs aussi illuminés avec de simples cachets de vitamine C. On y découvre surtout des morceaux scrupuleusement vintage à la production fine et léchée, des titres créés dans l’exaltation lors de sessions sans fin où le mot “maquette” n’avait pas sa place.
“Nous ne sommes pas perfectionnistes d’un point de vue technique, mais on continue d’enregistrer nos morceaux jusqu’à ce qu’on sente qu’ils sont arrivés à destination, raconte Warmsley. On fonctionne beaucoup de façon impulsive en studio. Rien n’est jamais vraiment planifié. Enregistrer l’album dans le studio de James était un luxe pour nous parce qu’on pouvait prendre le temps d’expérimenter. On n’a jamais vraiment eu de demo, mais plutôt des idées en cours qu’on enregistrait en permanence jusqu’à en être satisfaits. C’est comme ça qu’on a fini toutes nos chansons.” “On a gardé beaucoup de premiers sons, de premières prises de guitare par exemple, tout en continuant à construire le morceau par-dessus, confirme Bagshaw en lustrant ses boots à boucles argentées. Ça nous a permis de maintenir une certaine pureté dans la vision qu’on avait de notre musique.”
Des irrésistibles Shelter Song, Colours to Life et Keep in the Dark, aux trips hallucinés Mesmerise, Sand Dance et Fragment’s Light, sublime titre de clôture de l’album, Sun Structures affiche une cohérence qui pousse à la transe. “On n’a aucune chanson en plus ou en trop qu’on pourrait utiliser en b-sides ou en bonus, lâche James. Je trouve ça assez beau, parce que ça confirme l’idée que ce disque a été pensé comme un véritable album.” Douze morceaux comme douze pilules de LSD : Temples sera la meilleure drogue légale de l’année.
Concerts le 28 mars à Tourcoing, le 29 à Paris (Flèche d’Or)
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