Souvenez-vous 1,2,3 soleil’ Faudel, Khaled et Rachid Taha surfant sur la vague raï, le Maghreb en passe de devenir le sixième côté de l’Hexagone, un dribble de Zidane qui, croit-on, trompe la défense adverse, l’histoire et les ressentiments. Aujourd’hui, que reste-t-il du mirage ? Rien. Nada. L’illusion défaite, la réalité se venge et l’on découvre […]
Souvenez-vous 1,2,3 soleil’ Faudel, Khaled et Rachid Taha surfant sur la vague raï, le Maghreb en passe de devenir le sixième côté de l’Hexagone, un dribble de Zidane qui, croit-on, trompe la défense adverse, l’histoire et les ressentiments. Aujourd’hui, que reste-t-il du mirage ? Rien. Nada. L’illusion défaite, la réalité se venge et l’on découvre cinq ans plus tard un pays, le nôtre, rendu à ses chères hantises, effrayé d’un voile, ses cimetières fleuris de croix gammées, ses mosquées de banlieue qui chaque matin recrutent ceux que la société civile n’a su accueillir la veille. Un pays où le foot n’a jamais autant servi à libérer « du temps de cerveau humain ». Où être soi-même n’a jamais autant incorporé la peur de l’autre. Quelle vision plus menaçante de cet « autre » que ce visage d’Arabe mangé de barbe ?
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Comme à chaque album, Rachid Taha, ce shaman mécréant, prend un malin plaisir à révéler ce qui nous travaille sournoisement de l’intérieur. Tékitoi, chanson coécrite avec le chanteur des Têtes Raides Christian Ollivier, résume le problème en le formulant avec la drôlerie d’un Boby Lapointe fan d’Alan Vega et occasionnel lecteur de Jean-Paul Sartre. Comment se connaître soi même si l’on ne peut connaître l’autre ? Et comment connaître l’autre si celui-ci nous inspire spontanément la méfiance ou si nous-même l’incitons à la même disposition ? A ce stade d’une carrière bien remplie, on sait pourtant ce qui distingue Rachid Taha d’un philosophe. C’est le rock. Le rock aura été pour ce fils d’immigré une maïeutique, un moyen de s’accoucher soi même, de résoudre des problèmes que cette posture inconfortable de Franco-Maghrébin rendit insolubles à tant d’autres de sa génération. C’est pourquoi il n’y a de réponse à cette question ubuesque ? « tékitoi ? » ? que musicale. D’autres aboutissements que ces douze morceaux reflétant si totalement la complexité d’une identité mutante et assumée. A l’époque (celle de SOS-Racisme et de la marche des Beurs) où le mot était à la mode, Rachid Taha se distinguait par son refus catégorique du concept d' »intégration ».
Rachid ne s’est donc jamais intégré, ce qui par incidence lui aura évité de se désintégrer ; et cette unité du moi préservée dans une identité multiple, on la retrouve superbement traduite dans la reprise du Rock the Casbah du Clash, qui sonne en réalité comme une version originale dont se serait emparé le groupe anglais il y a vingt ans. On la prend de plein fouet dans Safi, sans doute la projection sonore la plus fidèle de ce qu’aurait pu donner une rencontre entre Farid el-Atrach et Rage Against The Machine. On en savoure toute l’âpre subtilité au fil d’un album où riffs de guitare en forme de cimeterre façon Kashmir de Led Zep (Nah Seb), flûtes traditionnelles du désert (Mamachi) et cordes d’orchestres arabo-andalous programmées par le compère de toujours Steve Hillage travaillent à l’élaboration d’un langage aussi personnel que celui de cet autre naufragé ironique, Tricky. Plaçant de fait Rachid Taha dans le peloton de tête des vrais novateurs, parmi ces quelques « midnight ramblers » qui sillonnent leur époque sans panache et minée de trouille, avec une foi en eux-mêmes assez bluffante.
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