Pas de révolution au palais Tatoo : cette voix risque-tout chante ses bleus dans un écrin de velours. Amuseur est sa profession.
Quelques vieux barbons, gardiens du temple Jazz pour qui le « J » majuscule n’est à l’évidence pas celui de la jouissance ni de la jeunesse mais témoigne plutôt d’une jalousie mal vécue , tombent violemment ces jours derniers sur le râble de Jay-Jay Johanson.
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Sous le prétexte qu’il est sans doute issu d’un sérail la Suède dans les années 90 non reconnu par les instances rigoristes qui décernent des brevets d’aptitude aux chanteurs, Jay-Jay ne mériterait que goudron, plume, écartèlement à la roue et vacances avec Maurane. C’est un peu expéditif, même si en répandant à longueur d’interviews le nom de Chet Baker il aurait dû se douter que la foudre finirait par s’abattre sur un flanc si innocemment prêté, de la part de ceux qui ne plaisantent pas avec Dieu, tous ces intégristes qui s’ignorent.
Lorsqu’il est apparu il y a un an, on doit se souvenir que chanter plus haut que son col de chemise était devenu une pratique obscène, disqualifiante. Lui a eu ce courage de faire de sa voix la focale majeure d’un style par ailleurs nettement répertoriable un coup de trip-hop, une couche de jazz, un vernis de violons, rien de très révolutionnaire , avec une volonté, une foi, dont il faut être particulièrement malveillant pour suspecter la sincérité.
Jay-Jay Johanson n’est pas Chet Baker, ni Sinatra, bien lui en prenne, sinon il serait mort ou pas bien loin. Il demeure en revanche l’un des rares chanteurs contemporains à croire sans cynisme à une existence percluse de romantisme, d’ivresse naïve vautrée dans les délices et supplices sentimentaux. Il est de ces garçons qui chantent sous les balcons, pas de ceux qui se jettent par les fenêtres. D’ailleurs, il n’instrumentalise jamais sa belle gorge de crooner pâle que pour dire des blessures légères, des contusions superficielles, avec peu de vécu mais beaucoup de vivra.
A la voix qui lui demande sa profession sur Jay-Jay Johanson, autoportrait en forme d’interrogatoire de police, il répond « entertainer » et cela suffit à désamorcer la plupart des vindictes. Un an après Whiskey, ce second album mieux maîtrisé, plus long en bouche mais logiquement moins surprenant, ne bouleverse rien des jeux d’équilibre soigneusement pesés entre cette voix royale et sa garde instrumentale rapprochée conduite par l’indispensable Erik Jansson. L’une semble toujours partir à la hussarde, vaille que vaille, tandis que l’autre assure prudemment les arrières : des aplats de cordes tirés ou inspirés de féeriques soundtracks, des percussions électroniques, une scie musicale, un piano libidineux, beaucoup d’espace et une grosse cargaison de munitions rythmiques de la bossa à la drum’n’bass constituent ainsi un arsenal de survie à toutes les tempêtes.
Parfois, un sample de Françoise Hardy suffit à provoquer une espèce de greffe magique A Letter to Lulu-Mae, le classique du lot , souvent ce sont des petites combines de rien, des revues de détails, qui forment un grand et spacieux dessein et rendent au final ce Tattoo furieusement indélébile.
Christophe Conte
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