Le rappeur Takeoff a été tué dans la nuit du 1er novembre 2022, à Houston, Texas. Il avait 28 ans. D’après les informations dont nous disposons, une fusillade aurait eu lieu à l’issue d’une partie de dés, au 810 Billiards and Bowling, laissant le membre du trio Migos sur le carreau, victime d’une balle perdue.
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Fusillades, règlements de compte, balle perdue. On parle d’un endroit, les États-Unis, où il est encore possible de débarquer dans une fête privée un flingue à la ceinture comme dans un western et de tirer dans tout ce qui bouge sur la base d’une suspicion de tricherie aux jeux d’argent – n’importe quel autre prétexte ferait aussi bien l’affaire. On peut le regretter, bien sûr, et penser que ce pays fissuré est au bord de la guerre civile, mais pas s’en étonner : la violence en Amérique, maintes fois analysée, théorisée, conceptualisée, est non seulement constitutive de la naissance de cette nation encore jeune, mais fait aussi partie intégrante des modes de vie cramés des enfants indisciplinés de ce grand territoire sauvage.
Le journaliste américain John Leland (New York Times) fait ainsi dans son indispensable Hip: The History (2005) – sorte d’anthologie sur l’influence de la contre-culture sur la pop culture, à travers une typologie précise des différentes figures du hipster – un parallèle entre le hors-la-loi (l’outlaw) et le hipster : “Peu de personnages ont été aussi influentes que les hors-la-loi. Pour beaucoup, les hors-la-loi sont les premières figures que nous rencontrons qui rejettent la société mainstream et sont célébrés pour cela […]. Ils incarnent la mythologie de la renaissance américaine, en ayant des vies faites de liberté et de jouissances sans entraves, de rébellion et de violence primitive. Comme les bad boys du blues, les hors-la-loi transforment la vie en mythe et en image […]. Le hipster, lui, fait du crime une esthétique. Il peut être vu comme une métaphore du hors-la-loi.”
Contre-culture
Migos, comme le gangsta rap avant ça, cristallise cette tension entre le mythe, les images et la réalité. Quand ils sortent l’album Culture en 2017, où le culte de l’argent qui circule et de la vie de hors-la-loi est exalté, ils ne font pas que sanctuariser le rap (et le hip-hop plus largement) au panthéon de la culture, ils se font aussi l’écho de cette autre culture, historique cette fois, sur laquelle s’est construite l’Amérique, avec la violence comme héritage. Migos et Takeoff ont beau avoir chamboulé l’industrie de la musique et contribué à installer un son devenu mainstream, ils n’en demeurent pas moins des hérauts de cette histoire de la contre-culture, où l’on meurt au détour d’un coup de canif ou de revolver. Comme dans Stagger Lee, la chanson popularisée par Lloyd Price : “It was Stagger Lee and Billy / Two men who gambled late / Stagger Lee threw seven / Billy swore that he threw eight (…) Stagger Lee shot Billy Oh he shot that poor boy so bad.”
Initialement paru dans la newsletter musique du 4 novembre
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