On réédite la musique hallucinée de Peter Laughner, journaliste flamboyant du magazine Creem, mort pour la cause en s’interdisant toute distance entre vie et rock. La courte vie de Peter Laughner pourrait fournir la matière d’un récit édifiant. 1968 : Peter aime les Yardbirds lorsque le Velvet fait escale au club Le Cave de Cleveland, […]
On réédite la musique hallucinée de Peter Laughner, journaliste flamboyant du magazine Creem, mort pour la cause en s’interdisant toute distance entre vie et rock.
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La courte vie de Peter Laughner pourrait fournir la matière d’un récit édifiant. 1968 : Peter aime les Yardbirds lorsque le Velvet fait escale au club Le Cave de Cleveland, sa ville natale. Au lendemain de cette tourneboulante averse de lumière blanche, il entraîne son groupe de lycéen dans un Sister Ray fort en feedback. 1970-1975 : le rock, devenu grand bazar, a pignon sur rue. En devanture, les étiquettes valsent : heavy-metal, glitter, fusions frelatées et fadasses. Pour les déçus du Billboard et de Rolling Stone, c’est Creem (« America’s only rock’n’roll magazine ») qui, à Detroit, entretient la flamme. Peter Laughner y croise de futures grandes consciences, Greil Marcus et Robert Christgau, une fille poète toquée de Keith Richards et de Rimbaud, Patti Smith, et celui qui sera son mentor et qui est déjà un écrivain majeur, Lester Bangs. Ils ont en commun le goût des expériences limite en matière de pharmacopée et celui des chroniques fleuves fantasques et teintées d’autobiographie : entre leur vie et le rock, pas de place pour la distance. Ils aiment méchamment et châtient amoureusement pan sur Coney Island baby, haro sur Rock and roll heart, le meilleur album du monde, c’est forcément Metal machine music. Face aux piètres pitreries en vogue, Laughner a choisi son camp : celui des Sun sessions d’Elvis, de Robert Johnson, de Richard Thompson et des matous de gouttière efflanqués qui se font les griffes au CBGB’s. Dès juillet 75, il s’enflamme pour Television, en devient guitariste trois jours durant, le temps d’une bouderie de Richard Lloyd, et c’est à Marquee moon qu’il consacre son dernier papier (digne pendant américain de celui de Nick Kent dans le NME) un mois avant sa mort. Prémonitoire, sa chanson la plus connue à ce jour était Ain’t it fun (when you know you’re gonna die young), dénaturée par les Dead Boys, et seul titre disponible en dehors de ceux composés pour The Modern dance de Pere Ubu, dont il fut membre fondateur.
Depuis, son nom a épisodiquement refait surface, fugitivement cité, sur le ton de la commisération, objet pourtant d’un début de fascination à deux décennies de distance, on ne pouvait qu’être curieux d’entendre les chansons perdues de ce type au goût exemplaire. Arrive une réédition timide, au son limite, et de nouveau une pincée de poussière d’étoile illumine le pavé graisseux du Bowery. Dénuement (une guitare sèche, un soupçon de basse acoustique) et grâce : cette voix étranglée dégage une entêtante sensualité de guingois, entre Richard Hell apaisé et Dylan en roue très libre. L’inspiration sourit aux timides. Quand Laughner, fan transi, chante Baudelaire, c’est Paris sur East River. Lorsqu’il ose Sylvia Plath, inspiré par un écrivain dont la vie, l’œuvre et le suicide n’ont pas fini de donner du grain à moudre aux psycho-biographes de tout poil, on se dit que de pareilles perles, Elliott Murphy n’en a plus composées depuis Lost generation. Laughner avait les obsessions tenaces, et fertiles aussi : rarement velours fut à ce point vénéneux que sur Amphetamine, avec ses quatre pistes mitées et sa guitare aphone. Avec ses chansons mortifères et spectrales, Take the guitar player for a ride rejoint ces disques d’outre-tombe ou d’outre-raison que sont le OAR d’Alexander « Skip » Spence, le So alone de Johnny Thunders ou le troisième Big Star, et se conclut sur une version hallucinée de Me & the devil blues. Laughner qui, se remémorant son adolescence, écrivait en 1976 « Lou Reed était mon Woody Guthrie et, avec suffisamment d’amphétamines, j’ambitionnais de devenir le nouveau Lou Reed » est mort au lendemain de cet enregistrement, à 24 ans, au même âge que Robert Johnson.
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