« Songs Of Vertigo », le second album de Tahiti Boy & The Palmtree Family, sortira le 2 mars. Nous avons pu l’écouter et en discuter avec David Sztanke, l’homme qu’on appelle Tahiti Boy. Grand manitou de cette pop grandiose et inclassable, le sorcier barbu nous a livré quelques secrets de fabrication.
Vous voilà de retour avec un nouvel album, six ans après le dernier. Comment avez-vous géré cette longue absence ? Chacun s’est consacré à ses projets persos en gardant le groupe en tête ?
Tahiti Boy : Et bien nous avons commencé à enregistrer relativement rapidement après les dates du premier album, mais nous faisions les morceaux un par un, au fur et à mesure de mon écriture. Du coup ça a laissé le temps à tout le monde de se concentrer sur d’autres choses tout en nous retrouvant ultra souvent. On n’a jamais eu l’impression d’être en véritable pause, bien que vu de l’extérieur, le groupe était en sommeil. Certains sont partis en tournée avec Jamaica, Rover ou François & The Atlas Mountains, ont voyagé, d’autres ont commencé à produire des groupes, mais nous nous sommes toujours retrouvés pour jouer sur les disques que j’ai produits ou composés, les BO, le projet avec Os Mutantes appelé We Are The Lilies etc… Jonathan Morali (Syd Matters) est le seul à ne plus faire partie de la Palmtree Family, et encore, il est sur un titre de l’album quand même. C’est le grand Samy Osta qui le remplace. Et on a notre studio maintenant, Jean (ndlr : Jean Thevenin), le batteur, et moi-même. C’est un gros point de ralliement pour le groupe dès que possible, on s’y croise tout le temps. Donc oui, comme tu dis : chacun s’est consacré à ses projets persos en gardant le groupe en tête. On n’a jamais cessé d’avoir rendez-vous pour ceci ou pour cela, et surtout pour faire de la musique.
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Songs Of Vertigo ressemble à un album mature, qui prend son temps, avec pas mal de titres de plus de 5 minutes. Quel a été le rapport au temps dans son élaboration ?
C’est une question intéressante. Cet album est probablement plus mature, déjà car il a été enregistré à un moment où tous, nous avions pris pas mal de bouteille. On y voyait plus clair sur le matériel, le processus etc… rien n’y a été aussi empirique que sur le premier album. On n’a pas essayé de reproduire tel truc des Beatles ou telle idée de Bowie (modestement). On a tout pris à zéro, en écoutant nos propres envies sans jamais chercher l’exercice de style, un problème assez récurrent chez les groupes modernes je trouve, cette recherche effrénée du titre « à la manière de ». On ne voulait pas d’invité, pas de son comme-ci ou comme-ça, donc pas non plus de limite dans le temps : on a pris des années pour le finaliser, on n’a pas cherché le morceau de 3’30 taillé pour la radio, on s’est profondément fait plaisir. On a pris le temps de se faire du bien en travaillant tous ensemble, je pense que c’est ça notre rapport au temps. Et comme je disais, on se retrouvait au moins une fois par mois pour enregistrer un, deux ou trois nouveaux titres. Nous avons mis plus d’un an rien que pour enregistrer ces douze chansons, sans compter les arrangements pour la chorale etc… et puis on s’est occupé à faire d’autres albums et à revenir sur celui-là tant qu’on estimait que notre expérimentation pouvait être poussée un peu plus loin.
Le clip de Low Life, extrait de l’album Songs Of Vertigo
Songs Of Vertigo est un album sur lequel on entend beaucoup de choses : de l’électro, du rock, de la pop, une chorale gospel… Quelles ont été vos influences ?
Nous sommes des enfants d’internet, j’ai envie de dire que tout ce qu’on entend nous influence désormais. C’est ultra difficile de passer à côté d’un style, d’une mode. Je peux aimer le son de boîte à rythme de Harlem Shake tout en détestant le morceau, par exemple, mais j’ai été obligé d’entendre le morceau lorsqu’il est devenu viral, donc j’estime que tout ça peut avoir une influence, de manière réfléchie ou pas. Avant j’imagine que si l’on était fan de rock, on pouvait décider de ne se nourrir que de ça. En allant glaner des idées ici et là, on a néanmoins décidé de n’écouter que nous-mêmes, nos envies. Après, nos influences vont du Wu Tang à Moondog en passant par les Talking Heads, mais allez donc les retrouver dans le disque. Vous savez, j’entends parfois des chansons très peu intéressantes et je lis pourtant que leur auteur a les mêmes disques de chevet que moi, donc je me méfie des influences, elles ne remplacent jamais ce que la personne en a traduit pour constituer une oeuvre.
Comment décririez-vous Songs Of Vertigo par rapport au précédent opus, Good Children Go To Heaven ?
Plus adulte, plus réfléchi, dans le bon sens du terme, plus amusant aussi, moins à se regarder le nombril comme on fait parfois lorsque l’on débute. On est allé chercher Chris Moore pour le mixer après le super travail qu’il a fait sur notre maxi Fireman il y a quelques temps, on a cherché un certain savoir-faire, on a été plus pointus sur nos choix, moins « vas-y on fait ça en vitesse » comme des ados.
1973, morceau phare du premier album de la Palmtree Family en 2008
Quel est l’unité de cet album, qui navigue entre les styles et les émotions ? De quoi avez-vous nourri les textes de vos chansons ?
Il y a eu des divergences dans le groupe sur cette question de l’unité : les chansons étant composées et enregistrées séparément les unes des autres, comment rester cohérent ? et puis ça s’est fait tout seul. J’ai eu peur, par exemple, que Journey Man (ndlr: la dernière chanson de l’album) sonne trop acoustique alors on y a ajouté un son ici ou là histoire qu’elle ne tranche pas trop, et puis on s’est dit que ça ne faisait pas naturel donc on a enlevé ce son, et le morceau ne fait pas tache aux côtés des autres, on l’a juste mis à la fin. C’est notre « outro » comme on dit dans le hip hop, une réouverture, et finalement c’est grâce au fait qu’il sonne plus acoustique. Après, et c’est nouveau pour notre groupe, les paroles ont été super importantes. Je me suis fait aider par mes amis Mike Ladd et Saul Williams, de grands poètes à mes yeux, de grands conteurs. J’ai été fasciné par un concept freudien appelé Unheimliche, et tout le boulot sur Vertigo tourne autour de ça, c’est ça le thème, le fil rouge : l’ambiance. L’Unheimliche, en gros, c’est un moment de malaise à la vue ou au son de quelque chose, alors que tout est hyper confortable et rassurant. Exemple : se promener en forêt en famille, et d’un coup sentir une présence dans un arbre en particulier. Sentir un regard dans un tableau, c’est Unheimliche. J’ai un souvenir tenace du dessin animé Les 12 Travaux d’Astérix, où là vraiment, tout est très bon enfant. Et puis Astérix et Obélix doivent traverser une plaine hantée. Les couleurs changent, les voix aussi, les visages des fantômes sont figés et leurs yeux cernés. Ça m’a fait froid dans le dos. Le morceau The Awakened parle à 100% des fantômes dans Astérix. Dans le même genre, on se souvient tous du dessin animé Ulysse 31, Nono le Robot, Ulysse et sa barbe rassurante etc… Tu te rappelles que dans leur vaisseau spatial il y a une pièce immense et sans vie dans laquelle des corps flottent immobiles ? Et bien j’en rêve encore parfois ! Voilà, c’est très vulgarisé ici mais en substance, c’est ça « Unheimliche ». Et puis j’ai traversé des moments magnifiques ces dernières années, tout comme des instants très durs, j’imagine que c’est inhérent au fait que l’on n’a plus 20 ans, que l’expérience s’étend à la fois dans le bon et le moins bon. Les paroles parlent de ça aussi. Le titre de l’album parle de ça.
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