De La Vie des animaux de Frédéric Rossif, première émission animalière à la télévision française, ceux qui chaque dimanche en guettaient la diffusion se souviennent surtout du générique : travelling sur une jungle crayonnée en noir et blanc où les yeux d’un léopard luisaient entre les feuilles d’une fougère arborescente tandis que progressait par reptations […]
De La Vie des animaux de Frédéric Rossif, première émission animalière à la télévision française, ceux qui chaque dimanche en guettaient la diffusion se souviennent surtout du générique : travelling sur une jungle crayonnée en noir et blanc où les yeux d’un léopard luisaient entre les feuilles d’une fougère arborescente tandis que progressait par reptations syncopées une musique élaborée à base de vibraphone et de cris d’oiseaux suggérant les mystères nocturnes d’une forêt lointaine. Le morceau en question, The Quiet village de l’album Hawaiian sunset, n’a rien perdu de son pouvoir d’enchantement, bien qu’il faille reconnaître qu’une certaine sentimentalité puisse trente ans après en gauchir l’appréciation. Cette pièce n’est que le remake de Taboo qui en 1957 avait établi la réputation d’Arthur Lyman aux Etats-Unis et déposé un style très apprécié des réalisateurs de série TV qui firent souvent appel à lui. Vibraphoniste étincelant, initié par son père hawaïen à l’art des percussions polynésiennes, Lyman s’est lui-même défini comme un musicien de jazz ayant progressé au contact de quelques patrons, notamment Dave Brubeck qu’il accompagna dans un club de San Francisco. Il consuma ainsi l’essentiel de sa carrière dans les bars d’hôtel, entre Waïkiki et San Diego. Cette vocation aura fait de Lyman un « ambianceur » de première dont la musique se révèle admirablement disposée à absorber le brouhaha des conversations et ne paraît jamais atteinte par le tintement d’un verre ou le bruit d’une fourchette, montrant au contraire une rare disponibilité à conduire l’éventuelle oreille, soudain attentive, vers ces rivages de paradis que l’on hésite encore à qualifier d’artificiels tant s’y laissent dénicher des lagunes de naïveté. Ces deux recueils ne pourront revêtir aux yeux de certains que la valeur d’un kitsch sympathique, un exotisme Disneyland, et Arthur Lyman dont l’art ne relève ni de la création pure et moins encore de la science est certainement la personnification du musicien que Pierre Boulez souhaiterait étrangler à l’aide d’une corde de Steinway. La futilité est une matière retorse dont le façonnement ordonne à tout le moins un vrai sens poétique. Chaque note émise par le vibraphone de ce monsieur Lyman éclate comme une charmante bulle de savon dans un bain d’une onctueuse félicité parfumée au monoï.
Arthur Lyman Taboo ; Hawaiian sunset (Ryko Disc/Harmonia Mundi)
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