Suuns est de retour avec l’un des plus impressionnants albums de ce début d’année : écoute en avant-première grâce à Deezer, et longue interview.
Album en écoute en intégralité sur Deezer, ou via le player ci-dessus (inscription nécessaire).
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INTERVIEW
Que peux-tu me dire de l’histoire du groupe ?
Ben Shemie : Comment on débute un groupe… Dans le cas de Suuns, c’est revenu à rencontrer des amis. J’ai commencé à travaillé avec Joe, il jouait dans un groupe, comme tous les gens que je connaissais. On a commencé à jouer dans la cave de ma mère, on n’avait pas de batterie, on utilisait une boîte à rythme ; mais l’intention a toujours été d’être un vrai groupe organique. J’ai rencontré Liam à l’école, il m’a présenté à Max, et en un an on a écrit des chansons puis enregistré des démos. On a ensuite pas mal joué sur scène, pendant trois ans, un peu dans l’ombre.
Le groupe a mis du temps à décoller…
Oui. On jouait, à Montréal, autour de Montréal, parfois à Toronto. On n’avait aucun disque dans le commerce, on s’appelait alors Zeroes. Puis après avoir joué cette musique pendant trois ans, parce qu’on la connaissait tellement bien, on a décidé de l’enregistrer. C’était simple, facile : on se connaissait par cœur.
Les choses étaient naturelles dès le début, entre vous ?
Oui. On était plutôt relax. On ne s’imposait rien, il n’y avait aucune attente. On ne voulait pas vraiment devenir un gros groupe, on ne pensait pas en ces termes. Jouons, et voyons ce qui se passe : c’était notre attitude, et je pense que c’est une bonne attitude pour un jeune groupe. Beaucoup de groupes essaient tellement clairement d’être quelque chose en particulier que toute sincérité s’effondre. En tant que jeune formation, tu veux essayer tout ce que tu peux, tu veux travailler aussi dur que possible ; mais tu ne dois dépasser une certaine limite, car si tu essaies trop clairement, si tu travailles trop dur, tu risques de rater l’essentiel. Trop ambitieux, pas assez sincère. Il faut de l’ambition, bien sûr, tu veux faire des choses, mais il ne faut pas les désirer trop fort. Ces trois années à jouer dans l’ombre nous ont permis de raffiner notre musique, de devenir bons sur scène et quand il s’est agi d’enregistrer notre premier album, Zeroes QC, nous avions déjà un son bien défini.
Sur quelles bases, esthétiques et musicales, vous êtes-vous tous retrouvés ?
Nous sommes tous très fans de musique. Nous avons des références communes, mais chacun est aussi arrivé avec ses propres bagages. Et le groupe se développant, nous nous sommes adaptés les uns aux autres, on a échangé ; j’aime l’électro minimale et d’autres se sont mis à aimer ça aussi, un autre aime Scott Walker et je me prends de passion pour lui, tout a marché par capillarité. Et maintenant, nous avons passé tellement de temps ensemble que nous avons désormais à peu près tous les mêmes goûts. Ensuite, il me semble important, pour que les choses fonctionnent, qu’il existe une vision singulière. C’est mon rôle : j’écris ces chansons, et elles constituent ce que je vois, ce que j’envisage pour le groupe. C’est la musique que je veux jouer. Dans notre cas, ça a fonctionné parce qu’il faut que quelqu’un ait cette vision, impose un peu ses volontés aux autres. Et ça a continué à fonctionner parce qu’en jouant beaucoup ensemble, chacun a fini par naturellement trouver son propre rôle dans Sunns. Encore une fois, enregistrer Zeroes QC a été très simple : on jouait ces chansons depuis longtemps, chacun savait précisément ce qu’il avait à faire, tout était en place, on savait ce qu’on voulait.
Et que vouliez-vous, en termes de son, d’atmosphère ?
Assez sombre, et rock. Surtout rock, malgré l’utilisation d’éléments électroniques : nous sommes un groupe rock, c’est ce que j’ai toujours voulu, j’ai toujours voulu jouer dans un groupe rock, jouer fort. Je voulais un groupe qui joue dans l’obscurité, je voulais pouvoir être agressif, je voulais pouvoir, occasionnellement, faire danser les gens dans cette atmosphère noire. Je voulais des choses simples, répétitives : suivre l’approche de la dance music en termes de composition, des idées minimales plongées dans des arrangements maximaux. Mais quand j’écris, je ne pense pas foncièrement à tout ça. J’écris beaucoup de morceaux, et beaucoup de morceaux qui ne colleraient pas à l’univers de Suuns. Un journaliste m’a demandé tout à l’heure si je pouvais par exemple envisager d’enregistrer un album de folk, par exemple : sincèrement, ce n’est pas totalement pas hors de question. Tant que tu avances, tu vas quelque part et quoi que tu fasses, ça va toujours sonner comme nous, comme Suuns ; même ces chansons qui a priori ne semblent pas être faites pour le groupe finissent par se transformer quand on s’en empare collectivement. Nous avons des chansons rock, d’autres un peu plus électro, mais je crois qu’il reste toujours un fil rouge qui les relie. C’est le but, pour un groupe : avoir un son. C’est quelque chose qui se forme avec le temps.
Mais beaucoup de groupes se contentent d’essayer de sonner comme d’autres groupes…
Oui, et Suuns peut aussi évidemment être comparé à d’autres groupes. Mais je pense que nous avons mis la main sur quelque chose d’unique, même si je n’affirme évidemment pas que nous avons réinventé la roue. Mais du point de vue de la composition : qu’est ce qu’un bon compositeur ? Selon moi, il y a deux catégories. Celui qui a un talent musical évident et des aptitudes claires pour écrire de bonnes mélodies. Et celui qui, tout simplement, a juste un excellent goût en musique ; et si tu as une bonne oreille, tu peux t’emparer de choses, les manipuler, les faire tiennes pour qu’elles deviennent tes propres idées. Je pense également qu’on doit rester dans certaines limites, certaines convention de la musique. Tu peux aller aussi loin que possible, mais il faut que les gens puissent se raccrocher à quelque chose, il faut qu’il y ait un sens.
C’est ta philosophie quant à l’expérimentation ?
Oui. Tu peux pousser les choses, tu dois le faire, c’est même ta responsabilité. Mais tu ne peux pas rompre intégralement avec ce qui existe, et faire que ta musique ne corresponde plus à rien. Enfin, tu peux le faire, bien entendu, et dépasser ces limites est sans doute quelque chose d’important en musique, mais quant à moi, je veux jouer du rock, être dans un groupe rock. On cherche toujours la balance, l’équilibre entre ce que tu essaies de trouver sans t’éloigner trop de ce que tu es réellement. La ligne est mince. Avoir bon goût est savoir quand tu vas trop loin, et savoir quand tu ne vas pas assez loin.
Comment fonctionnez-vous, en groupe ? Tu es le songwriter principal ?
Ca dépend des chansons. Sur Images du futur, il y a par exemple un titre qui s’appelle 2020, et c’est une chanson qui fonctionne parce qu’elle est arrangée d’une certaine manière, un équilibre entre les sons, assez minimaux, et son rythme. Si tu emmènes une section trop loin, le morceau peut tout à coup s’effondrer. Et c’est une chose sur laquelle je travaille à la maison ; en tant que compositeur, je pense que c’est ce que je sais faire le mieux. Quand on l’attaque collectivement, on ne dérange pas cet équilibre. Mais de nouvelles idées, tant que le squelette reste intact, sont ensuite apportées par chacun, on peut faire ce qu’on veut, en groupe.
Quelles seraient tes principales sources d’inspiration, en dehors de la musique ?
Je lis beaucoup de livres. J’aime visiter, dès que le peux, des musées. Je suis particulièrement intéressé par l’art contemporain. A l’école, j’ai fait un peu d’histoire de l’art, ça m’intéressait. J’aime aller dans les musées que je ne connais pas, pour voir ce qui se passe ; je ne suis pas très « hip », je ne suis pas l’actualité de très près, et j’aime me laisser surprendre. C’est un art visuel, et comme nous prenons en charge nos vidéos et nos visuels, c’est un excellent générateur d’idées. L’art contemporain est aussi souvent une sorte de précurseur pour l’art pop, on peut parfois y déceler les premiers signes d’une tendance à venir 10 ans plus tard.
Tu penses que Suuns peut remplir ce rôle, avec la pop music ?
Influencer la musique populaire ? Pfff. Je ne sais pas. Je pense de toute façon que, de manière directe ou indirecte, tout influence tout. C’est sans doute la réponse la plus diplomatique que je puisse faire. Mais j’ai l’impression que Suuns n’en est qu’au début de quelque chose, nous ne sommes pas allés aussi loin que nous le pouvons. On se cherche encore un peu, cet album est une progression par rapport au précédent, et si c’est le cas, peut-être le meilleur reste-t-il à venir. C’est en tout cas ce que j’aime.
Et l’atmosphère générale du monde, au Canada, le printemps érable vous a-t-il influencé ?
On ne peut évidemment pas rester insensible à tout ça, en particulier au Québec, où les manifestations ont eu une importance considérable. Ca nous influence d’abord en tant que citoyen, mais pas uniquement. Nous étions à la maison quand les événements québécois se sont déroulés, et je me sens très chanceux que ça ait été le cas : j’aurais eu honte de rater tout ça. Je ne sais pas quel impact ça a pu avoir, et quel impact ça pourra avoir dans le futur, au Québec comme ailleurs ; d’un point de vue philosophique, sans doute pas suffisant, mais c’est une histoire sans fin. C’est une question délicate : j’ai vécu à Montréal toute ma vie, je n’ai jamais vécu dans un endroit où il y a des problèmes profonds, de la violence, une pauvreté extrême, je ne vis pas en Egypte, en Syrie, des pays où c’est vraiment la merde. Reste que ce qui s’est passé ici est ma réalité, c’est ce qu’il y a de plus proche d’un conflit que j’aie pu voir. Et c’est quelque chose de très puissant à vivre. Ce qui s’est passé au Québec a été très clivant, mais je crois qu’être pour ou contre ces manifestations est presque secondaire : quoiqu’il en soit, c’était quelque chose d’utile pour l’idée même de démocratie. Parler de ces choses n’arrive presque plus jamais. Surtout, justement, dans des coins tranquilles comme nos grandes villes occidentales.
Ca a été une inspiration, pour l’album ?
Pas directe, je ne pense pas. Mais j’imagine qu’un peu de tout ça a fini par infiltrer mes textes, mais sans objet spécifique. Nous ne sommes pas un groupe politique. Mais en tant qu’individus, nous avons ressenti cette puissance, ça ne peut pas ne pas nous avoir touché, même indirectement ou inconsciemment. Il existe de toute façon, dans nos sociétés, aujourd’hui, un niveau continu et élevé de frustration : c’est sans doute une influence pour nous, ça se ressent dans notre musique. Ca se ressent sans doute en particulier quand nous jouons sur scène : c’est une expérience vraiment cathartique, j’adore ça, j’ai justement l’impression de pouvoir tout lâcher. Et j’espère que c’est aussi le cas de ceux qui nous écoutent et regardent jouer.
Zeroes QC est devenu un album relativement important, mais de manière graduelle… Comment expliques-tu cela ?
C’est parfait pour un premier album. Il n’a pas été suffisamment populaire pour que quoi que ce soit ne change drastiquement dans nos vies. On n’a pas gagné d’argent. On continue à bosser à côté. Nous ne sommes pas devenus soudainement populaires. Reste qu’il s’est passé quelque chose, quelque chose qu’on a pu ressentir : on nous prêtait de l’attention, c’était inspirant et encourageant pour la suite. L’album a pris son temps. Nous sommes un groupe neuf. Et quand tu es un groupe neuf et que tu fais quelque chose qui n’est pas forcément accessible à tout le monde, c’est à l’évidence un peu plus dur. Et il y a tellement de nouveaux groupes, en permanence, que je peux comprendre qu’il soit difficile, pour un auditeur comme pour un journaliste, de passer du temps, de s’investir un peu plus sur l’un d’entre eux.
Mais la scène vous a beaucoup aidés…
Oui, je pense que la petite reconnaissance qu’on a finie par avoir après Zeroes QC vient du fait qu’on a tourné comme des malades, sans arrêt. Les gens qui ont pu nous voir live ont pu comprendre qu’on était un groupe de scène, qu’on aimait visiblement ce qu’on faisait. Nous n’étions pas qu’un album, un album qui en plus n’est pas forcément facile d’accès, pas facile à classer, nous n’étions pas qu’un petit éclair temporaire, il y a une substance dans le groupe.
Ces tournées n’ont pas été épuisantes ?
Clairement, oui. Nous étions même épuisés dès la première semaine… (rires) C’était épuisant, mais c’était aussi nouveau pour nous. Et cette nouveauté, cette excitation de la tournée, en particulier en Europe où nous avons été bien accueillis, était si excitante que ça compensait largement la fatigue. Une toute nouvelle expérience. On n’arrivait pas à croire que les gens aient entendu parler de nous. Nous sommes un jeune groupe. Nous n’en sommes qu’à notre deuxième album, nous n’en avions qu’un quand nous avons commencé à tourner : il y a une part importante d’investissement que doit faire l’auditeur pour accrocher à ce nous faisons, et participe au voyage que nous lui proposons.
Sauf que, sur scène, vos concerts très électriques, obsédants, ne laissent pas vraiment le choix au spectateur…
C’est vrai. Je pense que nous avons désormais un show assez fort, et suffisamment fort pour que je puisse me perdre, lâcher prise. C’est ce qui nous donne envie de continuer : on prend beaucoup de plaisir un soir, on veut prendre autant de plaisir le lendemain. Il y a les festivals, aussi, une ambiance tout à fait différente. Si tu as de la chance, tu peux y croiser des groupes que tu as toujours admiré, faire les premières parties de gens que tu as toujours suivi, ça semble irréel et excitant. On a joué avec Beak> et rencontré Geoff Barrow, un type que j’admire, le troisième album de Portishead est l’un de mes préférés ; c’était tellement étrange de le voir nous regarder et nous dire qu’il adorait ce qu’on faisait… On a aussi rencontré Clinic, un de mes groupes préférés.
On vous compare d’ailleurs souvent à eux.
Il y a pire comparaison, mais je pense que ceux qui le font ne le font que pour une ou deux chansons de nos albums ; le reste sonne quand même très différemment de Clinic… Mais Clinic, Geoff Barrow, d’autres sont des gens que tu mets, pendant toute ta jeunesse, sur un piédestal, et tu te retrouves backstage, tu vas te présenter, tu es nerveux, ce sont tes héros ; et tu te rends compte que ce sont des chics types, parfois incroyablement cools… Je ne saurais l’expliquer, mais c’est finalement assez rare que les gens que tu admires soient des trous du cul. En même temps, on ne rencontre pas vraiment des superstars, juste des gens normaux, très talentueux.
En tournant autant, qu’avez-vous appris sur vous-mêmes, ou sur la direction que vous vouliez prendre ?
En tant qu’individus au sein d’un groupe, ça peut devenir, par moments, assez dur : tu passes ton temps les uns sur les autres, il faut vite apprendre à connaître ses propres limites et celles des autres. Mais on s’entend bien, on a des tempéraments assez proches : ça s’est plutôt bien passé. Ce qu’on a surtout appris, ça va sonner un peu stupide, c’est qu’on doit devenir de meilleurs businessmen. On a un peu fait n’importe quoi sur cette tournée, on ne connaissait rien à rien, on ne faisait pas les bons choix, notamment pas les choix économiques les plus viables, on choisissait des dates pour rencontrer nos héros… Aucune expérience, et pas vraiment d’infrastructure autour de nous : on a fait pas mal d’erreurs qui nous ont compliqué certaines choses, économiques notamment. On a bossé comme des tarés, on s’est beaucoup amusés, et on n’a pas compris comment et pourquoi, au final, on avait pu perdre de l’argent… Mais considérons ça comme une petite entreprise : nous avons investit dans le projet, et il y aura sans doute un jour un retour sur investissement. Voilà ce qu’on doit apprendre : être pleinement conscient qu’on n’est pas que musiciens, mais qu’on vit dans une industrie, qu’on doit gagner de l’argent, que les gens qui bossent pour nous doivent aussi gagner de l’argent. Autant de choses que nous n’imaginions pas quand nous étions plus jeunes, en simples fans extérieurs des groupes qu’on adorait.
Et quel impact sur Images du Futur ?
Je pense que nous avons également appris à ne pas faire de compromis quant à ce à quoi nous croyons, en tant que musiciens : si tu dis oui à quelque chose que tu ne sens pas, tu te sens immédiatement mal, c’est une tâche qui reste sur ton esprit. On essaie de construire une esthétique, et il faut rester fidèle à son idée. Si tu en dévies, tout peut très vite s’écrouler.
C’était l’idée, quand vous avez commencé à écrire Images du Futur ?
Oui, et ça a toujours été le cas. Nous n’avons pas de producteur, personne ne nous aide : tout dépend de nous et de nos désirs. Et je pense que nous avons suffisamment confiance en ce que nous faisons, en ce que nous ressentons, nous savons quand un morceau nous satisfait pleinement. On sent généralement immédiatement quand quelque chose ne colle pas dans une chanson. Et si les avis sont partagés, si ne serait-ce qu’un membre du groupe pense que quelque chose ne va pas, alors on jette. C’est de plus en plus le cas : au départ, j’écrivais et j’arrangeais beaucoup, mais l’effort est désormais un peu plus collectif, chacun apporte un peu de son précieux savoir, de son avis. Peut-être un jour travaillerons-nous avec un producteur, ça peut être cool, je ne suis pas contre l’idée ; mais pour l’instant je n’en ressens pas le besoin, et nous ne pouvons tout simplement pas nous le permettre. Un producteur pourrait accélérer le processus. Il faut parfois que quelqu’un tienne le fouet pour que les choses avancent… (rires)
Vous n’avez pris aucune pause entre la fin de la tournée et la confection d’Images du Futur…
On n’a pas pris de pause parce qu’il nous a fallu, dès la fin de la tournée, reprendre les jobs que nous avions mis entre parenthèses… On a tous des petits boulots. On a fini la tournée vraiment ruinés, on avait besoin d’argent. Mais le petit succès de la tournée et de Zeroes QC nous a aidés auprès du label, qui nous a supportés financièrement pour la suite. Ca aide à planifier, mais ça ne règle pas tous les problèmes : sortir d’une tournée, reprendre un boulot à plein temps et écrire un album la nuit n’est pas une chose facile. Mais ça fait partie de ce que nous sommes, on doit simplement s’adapter. C’est même pour ma part quelque chose que j’aime : j’aime travailler, j’aime être productif, quel que soit le domaine, et plus je le suis plus j’ai l’impression de trouver ma place dans ce monde étrange.
Qu’aviez-vous en tête, initialement, quand vous avez commencé à travailler sur Images du Futur ?
Certaines des chansons étaient déjà presque prêtes, on les jouait déjà sur scène, ou on les écrivait quand on avait un petit moment entre deux tournées. On avait quelques idées. Pour le reste, je ne voulais pas de transformation, je ne voulais pas changer de matériel, je ne voulais pas sonner d’une manière différente : je voulais que notre son se développe sur les bases que nous avions déjà. Je voulais emmener notre esthétique à un autre niveau. Je voulais raffiner notre son, mes paroles. Je suis devenu un chanteur beaucoup plus confiant : je voulais écrire des textes qui soient un peu plus signifiants, je voulais qu’ils ressortent plus, que j’en sois plus fier. Je voulais, surtout, qu’on soit aussi bons que sur Zeroes QC : quand on s’y est remis, l’idée que cet album était né dans un certain contexte était intimidante, car rien ne garantissait que nous serions capables d’être aussi satisfaits dans un contexte différent, que nous serions capables de recréer cette ambiance.
C’était une forme de pression ?
Nous ne nous attendions pas vraiment à ce que Zeroes QC soit écouté, on l’a fait au feeling, de manière un peu punk. Pour le second album, tu sais qu’il y a une certaine attente, que tu as des fans, que tu ne veux pas les décevoir : c’est forcément une pression supplémentaire par rapport à celles qu’on peut se mettre soi-même. Mais je n’ai été nerveux que jusqu’au moment où on a véritablement commencé à faire les choses : une fois lancé, je me suis rendu compte que ça se déroulait bien.
Parce que vous avez su conserver l’inertie de l’énergie des mois précédents ?
Effectivement, le fait de n’avoir jamais arrêté a rendu les choses plus faciles. On voulait de toute façon publier un deuxième album deux ans après le premier : on a tourné un an et demi, ça a précisément défini le calendrier, ça ne nous a pas vraiment laissé le temps de nous relaxer sur une plage mexicaine… On n’a pas perdu les bons réflexes, ni l’énergie, ni les vibrations, l’ambiance.
Images du Futur semble plus complexe, peut-être moins accessible que Zeroes QC : es-tu d’accord ?
Oui, je suis plutôt d’accord. Images du Futur est plus réfléchi, on a passé plus de temps dessus, on n’a rien laissé au hasard. Images du Futur est peut-être moins brut, moins punk que le précédent ; ce qui le rendait peut-être un peu plus immédiat, un peu plus facile. On essayait simplement, encore une fois, d’être fidèle à ce que nous pensions être un bon disque, de bonnes chansons, sans autre question. Parce qu’on la maîtrise beaucoup mieux qu’au début, on a raffiné notre musique, elle est plus mûre. Et j’en suis heureux : nous ne nous sommes pas auto-parodiés, nous avons fait un pas en avant plutôt que de reculer.
La tension reste un élément central sur l’album, comme ça a toujours été le cas : d’où vient-elle ? C’est quelque chose que tu ressens, que tu as besoin de lâcher ?
Cela vient aussi des compositions, qui sont minimales et répétitives : la tension est inhérente à cette forme d’écriture. C’est aussi le style sur lequel nous travaillons, depuis le début. Je trouve aussi qu’Images du Futur est plus psychédélique que Zeroes QC ; un autre journaliste m’a fait ce que je trouve être un beau compliment en me disant qu’il se sentait un peu high, un peu stone en l’écoutant. Je trouve effectivement qu’il y a des éléments hallucinatoires dans ce disque, que je trouve très visuel : on voit des choses, des couleurs, des formes. Il y a aussi toujours cet élément de paranoïa que j’aime donner à nos chansons ; tous ces éléments, le minimalisme, l’obscurité, la tension, la paranoïa vient surtout du fait que la musique que nous aimons tous ressemble généralement ces éléments. Ce sont des fondations, le reste, le rock, se greffe dessus.
Tu avais toi-même des visions, en écrivant ?
Certaines chansons sont plutôt conceptuelles, d’autres sont plutôt narratives. Certaines peuvent effectivement évoquer des choses visuelles. Powers of Ten fait référence à un livre et à un film du même titre, créé par les designers américains Charles et Ray Eames dans les années 70. C’est un livre visuel. La première image représente un couple, dans un parc ; on se trouve à un mètre au-dessus d’eux. Sur la seconde image, le spectateur est à 10 mètres. 100 mètres sur la troisième. Et ainsi de suite, jusqu’à être dans la galaxie, et jusqu’à ne voir que du noir. C’est une influence pour la composition du morceau comme pour ses paroles, qui parlent d’un individu, puis de sa famille, puis de sa société, puis de son univers. Et je crois que ça a aussi influencé toute la construction de l’album, jusqu’au morceau de fin, Music Won’t Save You, qui est une sorte de retour sur terre…
Vous pensiez aussi à l’impact que l’album pourrait avoir sur ses auditeurs ?
J’espère que nous avons réussi à solidifier notre esthétique. Que les gens qui nous découvrent l’aimeront d’emblée. Que ceux qui étaient fans de Zeroes QC vont l’aimer pour ce qu’il est : un développement de ce que nous faisions déjà.
En concert au Trabendo le 9 mai
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