Il est toujours risqué de concevoir un album comme un mix. Avec “BUBBA”, le producteur canadien l’apprend à ses dépens. Malgré quelques coups de génie et des preuves d’audace, son second long-format déçoit.
Il fut un temps, pas si lointain, où Kaytranada était ce producteur versatile, explorant les méandres de ses inspirations sans trop de barrières. Il passait d’un genre à un autre, avec des ruptures parfois abruptes au sein d’un même projet. C’était fantastique. 99 %, son premier album sorti en 2016 après une volée d’EP parus depuis 2010, était l’archétype de cette démarche. Mais Kaytranada a changé. Avec BUBBA, le producteur canadien se focalise sur une seule envie ou presque : marier la house et le RnB, et tant pis pour la versatilité.
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Superposer les invités
Ce qui caractérisait grandement le son qu’il développait depuis bientôt dix ans, c’était les basses. Rondes, étouffées, mais énergiques. Les samples, les rythmiques, les synthés pouvaient changer. Les basses, elles, semblaient être un fil rouge incassable. Mais quitte à varier de recette, autant virer l’ingrédient principal. Sur Bubba, les basses sont souvent plus jouées, plus organiques, à tel point qu’il parvient, ponctuellement, à en masquer l’électronique, comme sur Puff La, 2 The Music, ou Midsection. Idem pour le premier morceau de l’album, DO IT, et son breakbeat latin, rappelant presque celui d’Apache d’Incredible Bongo Band. D’emblée, les cartes sont redistribuées.
En fait, cet album est construit comme un mix. Cela peut paraître assez classique comme démarche chez un producteur de musique électronique, mais pas pour Kaytranada. Le principe est simple : il façonne une instru à dominante house, héritée de samples vocaux et rythmiques, principalement, et invite l’une des voix les plus en vue du RnB ou de la nu-soul, des chanteurs qui entérinent le mélange auquel il souhaite procéder. Alors, la liste des featurings est dingue : Mick Jenkins, VanJess, SiR, GoldLink (déjà présent sur le titre Together de 99 %), Estelle… Mais les exemples nommés peinent à faire sortir cet album d’une sorte de torpeur, de cette recette peut-être trop exploitée.
Le tournant du match
Certains, pourtant, s’en sortent bien mieux. Il y a par exemple Iman Omari, que l’on a bien plus l’habitude d’entendre à la production que derrière le micro, sur 2 The Music. Après avoir travaillé pour Kendrick Lamar ou Ty Dolla $ign, celui-ci parvient à faire de sa voix faussement pitchée un atout considérable pour ce morceau, l’un des meilleurs que contient BUBBA. Durand Bernarr sur Freefall, Teedra Moses sur Culture, et bien sûr Kali Uchis, sur 10 % (le single dévoilé en début de semaine en même tant que le date, proche, de la sortie de l’album), parviennent à faire prendre cette sauce qui peut sembler parfois redondante.
BUBBA a un défaut majeur : celui de s’engluer, souvent, dans une forme de longueur, de bpm semblables, de manque de variations. Les voix ne suffisent souvent pas à combler le manque d’audace. On l’a dit, il s’agit d’un album qui pourrait parfaitement être joué de A à Z dans une Boiler Room (ou Kaytranada a plusieurs fois brillé). Alors, comme dans un set, le producteur finit par se lâcher. Le dernier tiers de ces dix-sept titres est enfin couronné du talent de son créateur. C’est là qu’il ose, qu’il se passe des choses au milieu des morceaux. Le tournant, c’est le Scared To Death. Kaytranada s’y décide enfin à sauter de sa locomotive en marche pour s’aventurer dans des filtres et des synthétiseurs assourdissants et des changements de paradigme très secs. Deux, trois, quatre, cinq idées en 2mn30… La brute est lâchée, et BUBBA est, peut-être, sauvé.
Toujours mieux servi par soi-même
Cette volonté de masse sonore en fin de repas, c’est une démarche de dj. Culture, avec Teedra Moses, en est l’exemple le plus probant. Et puisqu’on était en manque de variations, l’arrivée de September 21, de sa batterie effrénée et de sa sobriété qui n’est qu’apparente, réussit le contraste à merveille. Ce morceau est d’ailleurs l’un des trois qui ne contient pas de featuring (avec DO IT et Puff La). Trois réussites dans lesquels les vocalistes ne viennent pas empiéter sur la production, et n’ajoutent pas un propos parfois inutile. D’ailleurs, comme sur 99 % en son temps, Bubba est l’occasion de constater que Kaytranada est un as absolu de l’outro. Parfois, on se surprend à les mettre en boucle, comme celles de 2 The Music ou de Taste. Elles sont d’ailleurs, à l’occasion, une fausse introduction au morceau suivant. Quand on vous parle de dj, ça n’est pas pour rien.
On aura donc du mal à prétendre que BUBBA puisse refléter le génie de Kaytranada. Moins audacieux, s’aventurant moins dans les contrées trap et soul que son prédécesseur (et que la grande majorité de ses EP), il souffre peut-être de la volonté parfois trop exacerbée du producteur de faire briller l’autre, le vocaliste. Qui ne brille souvent pas tant que cela.
Le Canadien a toujours fait preuve de talent pour sortir ses acolytes de leur zone de confort, et sait s’entourer de personnes qui peuvent le faire. Mais il y a trop de plats du pied sur cet album (en parlant de football, on est d’accord qu’il ressemble énormément à Neymar sur la pochette…). Tout de même, son évolution au fil de la tracklist est salutaire, se terminant même avec Midsection, fantastique duo avec Pharrell Williams, prouvant qu’il y en a sous le capot. Suffit de trouver le juste équilibre entre titres convenus, et l’aplomb artistique qui l’a souvent caractérisé.
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