Les frères surdoués du rock américain signent un classique instantané qui anticipe l’avenir en citant le meilleur du passé.
Au faîte de sa gloire, Marc Bolan expliquait un jour au Melody Maker : “Je suis toujours un petit garçon, T. Rex n’est pas totalement de la musique pour les grandes personnes. Elle s’adresse à notre enfant intérieur : curieux de tout, émerveillé, impressionnable ; à cheval sur une frontière poreuse entre rêve et réalité.”
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Une phrase qui pourrait résumer la jeune mais déjà riche carrière de The Lemon Twigs et leur approche musicale : envoyer valser les étiquettes, ne jamais avoir peur de paraître naïfs ou théâtraux, s’amuser des influences sans jamais tomber dans le piège du pastiche.
Leur enfance justement, Brian et Michael D’Addario la passent à téter les mamelles nourricières du show‑business à l’américaine. Papa est musicien, et ils jouent sur scène dès leur plus jeune âge. On les aperçoit notamment dans Les Misérables ou La Petite Sirène à Broadway.
Exit les paillettes et le maquillage outrancier
En 2016, les deux frères livrent un phénoménal premier album, produit par Jonathan Rado de Foxygen. Ils n’ont même pas 20 ans. C’est qu’il y a urgence, le duo de Long Island écrit des chansons comme si sa vie en dépendait. Ils fuient encore l’horizon de leur scolarité, puis de leur vie de jeunes adultes dans un spectacle sans fin.
Deux ans plus tard, les “brindilles” sortent Go to School, album concept et opéra rock dont le héros est un chimpanzé élevé comme un enfant humain. Puis Songs for the General Public en 2020, où ils remettent intelligemment au goût du jour influences glam rock (Marc Bolan, encore lui) et pop baroque des années 1970.
”J’adore les années 1970. Ce fut une grande période pour enregistrer de la musique rock.” Brian
Avec Everything Harmony, on bazarde tout : exit les paillettes et le maquillage outrancier. Le tandem s’intéresse désormais aux ballades pop-folk sixties et au soft rock seventies. Ce que Brian, l’aîné de la fratrie, nous confirme durant notre entretien à distance, devant une collection de guitares vintage accrochées au mur d’un appartement new-yorkais – Michael, en retard, nous rejoindra plus tard.
“Ce qui m’inspire dans cette époque, c’est avant tout la qualité du son. Mais aussi un élan naturel à m’inscrire dans certaines techniques de production et d’écriture des chansons de cette période. Mélodiquement, j’ai plus en commun avec les années 1960, mais en ce qui concerne les sonorités, j’adore les années 1970. Ce fut une grande période pour enregistrer de la musique rock.”
Une écriture à quatre mains
Désormais installés dans le paysage musical mondial, Brian et Michael, multi-instrumentistes, compositeurs et interprètes, respectivement 26 et 24 ans, signent ce nouvel album chez l’excellent label Captured Tracks (contrairement aux trois précédents, parus chez 4AD). Everything Harmony a été écrit, produit et enregistré à Manhattan, puis finalisé à San Francisco, afin de “fuir le premier studio à cause de nombreux problèmes de bruits indésirables”.
Le duo garde sa méthode éprouvée d’écriture, mais comment composer à quatre mains sans abandonner quelques chansons en chemin, impossibles à intégrer dans un même album car trop différentes ? “Oui, cela nous arrive encore, mais beaucoup moins qu’avant. Michael a proposé beaucoup d’idées dans la veine du Velvet Underground ou du Alex Chilton de Like Flies on Sherbert, capturant parfaitement l’esprit de la performance live, mais nous ne les avons pas gardées. De même, j’ai proposé des choses plus électroniques, rejetées elles aussi, car n’ayant ni un véritable son cohérent ni une vision collective.”
Le groupe a toujours souhaité anticiper l’avenir en citant le meilleur du passé. Brian confie l’influence de Brian Wilson, de Simon & Garfunkel, des Wings, de Moondog, de Big Star ou d’Arthur Russell : “C’est peut-être Iowa Dream, une compilation posthume de demos d’Arthur Russell, qui a eu le plus d’impact sur ce disque. Il utilise une instrumentation country-folk conventionnelle avec des guitares acoustiques, du violoncelle, de la batterie, tout en déployant un sens mélodique fort, moderne et unique. Ce que nous recherchons également.”
Généreux et désarmants
Tout est dans le titre : Everything Harmony multiplie les prouesses mélodiques et les variations harmoniques pour nous coller un sourire béat sur le visage. Il est presque surprenant d’entendre autant d’accords et de progressions harmoniques dans un morceau pop ou rock en 2023. Généreux et désarmants de sincérité, les Lemon Twigs alignent les refrains ciselés et accrocheurs sans tomber dans l’écueil d’un son surproduit.
“Je pense que notre prochain album sera plus dépouillé. J’ai une obsession pour Roy Wood d’Electric Light Orchestra, notamment pour son autonomie dans les techniques de production. J’ai joué un peu de violoncelle et de cor sur notre premier LP ; j’ai envie de retenter cela et de tout jouer moi-même dès que c’est possible”, lance Michael. Les groupes à guitares ont encore quelque chose à dire à notre époque. The kids are alright! Et c’est bien parti pour durer.
Everything Harmony (Captured Tracks/Modulor). Sortie le 5 mai. En concert au Grand Mix, Tourcoing, le 21 mai ; à L’Autre Canal, Nancy, le 24 ; au Trianon, Paris, le 25.
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