On pensait la tribu Wu-Tang en perte de vitesse : admirablement produit par RZA, Ghostface Killah renoue avec le génie de la fratrie suprême du hip-hop américain. Si la plupart des fans du Wu-Tang Clan s’étaient bien gardés de vendre prématurément la peau de l’ours (tant elle est dure), ils avaient un peu perdu de […]
On pensait la tribu Wu-Tang en perte de vitesse : admirablement produit par RZA, Ghostface Killah renoue avec le génie de la fratrie suprême du hip-hop américain.
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Si la plupart des fans du Wu-Tang Clan s’étaient bien gardés de vendre prématurément la peau de l’ours (tant elle est dure), ils avaient un peu perdu de leur assurance ces derniers temps, jouant profil bas en espérant secrètement que RZA saurait dégainer à temps un miracle pour les tirer d’embarras. Qu’ils se rassurent : si la couronne a menacé de glisser un temps, après la grosse déception du dernier Raekwon notamment, la revoilà vissée avec arrogance et pour un moment sur le logo du Wu-Tang. Alors que les fines lames de la tribu avaient dû se contenter ces deux dernières années des lieutenants de RZA à la production seul l’inimitable fêlé Ol’Dirty s’en est sorti brillamment avec Nigga please , l’éminence grise de la tribu a largement gratifié Ghostface Killah de sa patte incomparable sur ce deuxième album. Normal, quand on sait que les deux hommes ont été longtemps colocataires et que la mère des enfants de Ghostface n’est autre que la sœur de RZA. Pourtant, sur le papier, une brochette de producteurs, dont Juju des Beatnuts, sont crédités de la majorité des beats, RZA ne signant que trois titres. Mais le mixage, les arrangements (où il excelle) et la production exécutive lui reviennent, sans compter ses deux apparitions flamboyantes au micro. Cela fait toute la différence et on ne peut s’empêcher de lui en vouloir pour avoir gâché par son absence nombre de disques précédents. Certes, cela partait d’un bon sentiment : « Je les pousse à développer leur potentiel, nous confiait-il il y a deux ans. Ils se sont émancipés, ils ont affûté leur sens musical, je n’ai plus besoin de leur tenir la main. » Manifestement, il avait tort. Pour sa défense, on ajoutera que son génie avait besoin de respirer, d’explorer sa propre route pour élaborer un nouveau son concrétisé sur son manifeste sous le nom Bobby Digital et que, doutant lui-même de l’accueil du public pour ses expérimentations, il refusait de les tester sur le dos de ses protégés. Il ne se surpasse d’ailleurs pas dans l’innovation sur Supreme clientele. Et on ne s’en plaint pas : au diable l’innovation, retour au vertige direct et au malaxage de tripes. « Nous avons été trop loin pour le public. Nous savons maintenant qu’on ne donne pas du steak à un nourrisson, résume Ghostface de lui-même. Nous allons donc continuer à lui donner de la nourriture pour bébés. » Enfants gâtés nous sommes, mais gourmets nous restons. Et Supreme clientele affole les papilles du début à la fin : Ghostface Killah, partenaire de Raekwon sur le premier album de ce dernier (1995) était passé dès son premier brûlot solo (1996) de faire-valoir à super-héros (Ironman). Aujourd’hui, sa cadence impressionnante a encore gagné en souplesse et son articulation en clarté : sa voix aiguë ne se contente plus d’apprivoiser et de rebondir sur les beats, elle s’amuse aussi à les doubler, les contrer et leur tourner autour (Stay true). Ses références et son propos se sont élargis : si certains textes restent cryptés grâce à une science de l’argot le plus pointu, ses récits les plus intelligibles révèlent un personnage sensible, nostalgique et même incroyablement tendre formidable Child plays et ses souvenirs d’école, de « langues-soda » en « bague de fiançailles en sucre ». Ghostface semble avoir encaissé avec philosophie les six mois passés dans la terrible prison de Riker’s Island durant l’enregistrement de ce disque (pour un vol commis en 1995). Il en plaisante régulièrement, mais sa conscience s’en est trouvée enrichie : davantage de recul, de sagesse et de compassion. Directement de la cour de prison à la cour des grands.
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