Le week end dernier, on a croisé le jeune producteur français au festival Panoramas, à Morlaix. L’occasion de parler de sa nouvelle sortie, de ses visions synesthésiques et de son nouveau live impeccable.
Quand on rencontre Gabriel, le garçon derrière le projet Superpoze, les esprits sont déjà bien échauffés. Il est bientôt minuit et le festival Panoramas ressemble à une version joyeuse de la fin du monde: d’une scène à l’autre, les gens ne marchent plus tout à fait droit; par terre, certains font une petite sieste; d’autres ont sorti leur combi Pikachu (très en vogue cette année) pour lutter contre le froid; et dans les verres, ça se confirme, il n’y a pas que de l’eau – c’était prévisible.
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A 22 ans, Gabriel aurait pu faire partie de cette armée de gentils et jeunes zombies. Mais avec Superpoze, il se place de l’autre côté de l’affiche, parmi des noms comme Tale Of Us, Boris Bejcha, Salut C’est Cool, Laurent Garnier, Brodinski, Flavien Berger, etc. Alors que vient de sortir son premier album, suite de quelques Ep ayant agité les réseaux, le Caennais tente ici sa nouvelle formule live, à mi-chemin entre techno des bas-fonds et ambient music de ciné en plein air.
Un truc solide à l’image de l’album en question, Opening, qui brasse les influences de Boards Of Canada, Four Tet, Shlohmo, Jamie xx ou encore Gold Panda. Mais Superpoze ne trouve pas son compte dans la reproduction de formules éculées: figure déjà marquante d’une nouvelle scène électronique en pleine émergence, il semble décidé à proposer une certaine vision de l’avenir. Entretien à chaud, juste après sa sortie de scène.
C’est la première fois que tu viens à Panoramas ?
Oui, mais j’en ai beaucoup entendu parler. Avant le concert j’étais un peu occupé, je vais en profiter un peu maintenant.
Content de ta prestation ?
Carrément. C’était mon tout premier concert sur ce nouveau live, je suis content de le faire ici. Je réfléchis encore à ce que je peux améliorer. Avec l’album, qui est assez différent de ce que j’ai fait jusqu’à présent, j’essaye de nouvelles choses, je change de méthodes, j’apprends, je regarde…
Tu enchaines avec une grosse tournée: dans quel état d’esprit es-tu ?
Je suis hyper excité. C’est très stimulant car rien n’est acquis : Opening est un vrai changement pour moi. C’est une nouvelle réflexion. J’adore me mettre dans ce genre de situations, sinon je m’ennuie.
Comment tu expliques ce changement de cap ?
J’avais envie de faire cette musique, tout simplement. Ça a été très instinctif. En prenant un peu de recul sur mes Ep, je me suis demandé le sens qu’avait ma musique. Je suis encore jeune, je ne peux pas me mettre de barrières, ni trop définir Superpoze. Cet album me laisse la liberté de faire ce que je veux pour la suite. Rester dans la continuité de mes premiers Ep, au-delà du fait que je n’en avais pas envie, ça aurait été une cloison à l’identité du projet.
Comment as-tu travaillé ?
J’ai tout fait au piano. Pour la petite histoire, j’avais un piano d’étude quand j’étais enfant. Il est longtemps resté dans la maison familiale mais je j’ai récupéré chez moi. Je n’avais pas fait de piano depuis très longtemps, du coup j’ai redécouvert une manière de composer vraiment harmonique, sans aller chercher de samples, sans penser en termes de gimmick, mais bien en réfléchissant à la construction mélodique. Tous les morceaux ont été composés comme ça, puis réarrangés au synthé. Et pour la première fois, je n’ai pas pensé morceau par morceau : je voulais faire un album qui ait du sens en tant que tel, où les morceaux se contextualisent dans un ensemble.
Tu viens du conservatoire. Te sens-tu encore influencé par cette formation ?
Je le suis sûrement mais je ne peux pas l’analyser, ça fait partie de moi. Tout ce que tu fais quand tu es enfant te conditionne et te construit. J’imagine que les choses qui me touchent harmoniquement viennent de ce que j’ai appris au conservatoire – mais de la même façon que n’importe quel album, film ou sensation que j’ai pu vivre plus tard.
Tu es aussi passé par le rap quand tu étais adolescent…
Ouais ! J’ai vraiment commencé la musique électronique par le beatmaking. J’écrivais quelques textes au lycée… J’écoutais beaucoup de rap, et j’ai finalement dévié vers la vague hip-hop instrumental: c’est par ce cheminement que j’ai découvert le plaisir de la techno, qui m’était complètement étranger. A l’adolescence, on a besoin de s’identifier à des styles, des esthétiques, des codes. Et puis après tu te libères de ça et tu écoutes simplement la musique qui te plait.
Aujourd’hui, tu définis ta musique ?
Non… C’est de la musique instrumentale… Quand je publie un morceau sur soundCloud, je ne sais jamais quel hashtag utiliser ! Du coup je mets « #superpoze »… Je ne réfléchis pas du tout en termes de styles particuliers. L’album est centré sur les mélodies, sur des sensations harmoniques : il n’y a pas de concepts. Je ne voulais pas dessiner de paysages, par exemple. Après, si les gens voient des choses en écoutant mon album, tant mieux. Moi aussi je vois des choses. Mais ce qui a compté pour moi, c’est la sensation esthétique pure de la musique, et le plaisir d’enchainements harmoniques réussis.
Quand tu dis que tu vois des choses, ça se traduit comment ?
Par une forme de synesthésie qui passe par des représentations de l’espace. Quand je travaillais sur l’album, j’avais besoin d’ampleur… Quand je compose, je réfléchis aussi avec des couleurs. Je fais des liens entre les choses – c’est un phénomène commun à tout le monde. Mon album, dans son ensemble, je le vois blanc, noir et bleu. Après, libre à chacun d’y voir ce qu’il veut. Mais j’ai tendance à catégoriser par couleur la musique que j’écoute. Pour moi, Nosaj Thing est bleu, Philip Glass est blanc, etc.
Quel rapport tu entretiens avec le purisme techno-house ?
Je ne vais pas spécialement dans les soirées où cette musique passe. A l’adolescence, comme je le disais, on a tendance à se tourner vers des musiques qui répondent à des codes et des esthétiques précises ; à mon stade, j’ai arrêté de penser en terme d’écoles : j’essaye simplement d’être touché par les choses.
Ce détachement des codes communautaires, c’est quelque chose de spécifique à une génération ?
Il y a toujours eu des frontières qui se brisent, mais on vit une époque où les fossés se resserrent : sur SoundCloud, mainstream et underground sont au même niveau. Les frontières explosent. Pendant qu’on parle, Brodinski est en train de jouer sur la grande scène : que ce soit du rap ou de la techno, on s’en fout, c’est Brodinski. Ça, ça vient forcément d’internet, où les morceaux s’enchainent souvent sans logique particulière. Le système des suggestions est parfois à la source de très bonnes vibes.
On te sait proche de mecs comme Fakear. As-tu l’impression de représenter un mouvement particulier ?
On se connaît tous très bien. Que ce soit Fakear, Dream Koala, Stwo ou Thylacine, je pense qu’on a des choses en commun : déjà, on a tous le même âge, et puis on a une vraie approche de la mélodie – c’est ce qui nous unie. Mais on ne se dit pas qu’on est la « nouvelle scène abstract » ou je ne sais quoi, on veut juste faire de belles mélodies et de beaux morceaux. Un mec comme Dream Koala, que j’adore, était identifié chillwave il y a quelques années ; aujourd’hui, c’est presque en train de devenir post-rock… Mais il y a une approche commune en France. On a tous entendu de la bonne chanson française, de la bonne variété : ça influence notre rapport à la mélodie.
Tu as monté ton propre label, Combien Mille Records. En quoi était-ce une nécessité ?
Parce qu’on est en 2015 et que je fais de la musique avec mon Mac ! Je rigole, bon… Je l’ai monté avec des amis des Beaux Arts de Caen. Ca fait partie de ma façon de travailler. Les artistes que j’admire ont fait ça avant moi, ça me paraissait logique…
Tu as baigné dans la musique toute ta vie. Tu ne t’es jamais rebellé ?
J’étais en classe à horaires aménagés, une espèce de sport-étude pour la musique. Mais à la fin du collège, j’ai complètement rejeté tout ça, et je n’ai plus fait de musique pendant un an. C’était très long pour moi. Je suis doucement revenu à la musique via la batterie, une passion d’ado… Je n’ai rien contre l’académisme du conservatoire, mais je pense qu’il faut s’en détacher à un moment pour développer ses idées et pouvoir créer librement. J’ai eu besoin de cette rébellion.
Album Opening (Combien Mille Records)
Tournée actuellement
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