Moins pressé et plus sophistiqué, Supergrass reste fidèle à son rock : déjà plus fripon, pas encore fripé. Il faut se faire une raison : les beaux jours de Supergrass ne reviendront plus. Envolés, les chansons acnéiques, la peau grasse et les nerfs à vif, comme s’envole l’adolescence, celle qu’on brûle par les deux bouts […]
Moins pressé et plus sophistiqué, Supergrass reste fidèle à son rock : déjà plus fripon, pas encore fripé.
Il faut se faire une raison : les beaux jours de Supergrass ne reviendront plus. Envolés, les chansons acnéiques, la peau grasse et les nerfs à vif, comme s’envole l’adolescence, celle qu’on brûle par les deux bouts et le milieu, âge éphémère des conneries sublimes, des sens qui tressaillent et du temps qui file à perdre haleine, et qui finit toujours par rattraper. Evanouie, l’insouciance exaltée d’I should coco, cette pop punk et frémissante torturant délicieusement les enceintes d’une chaîne stéréo au bord de l’apoplexie, qui n’avait plus sué pareils décibels depuis la haute époque des Buzzcocks et des Damned, depuis les romances écorchées des premiers Jesus And Mary Chain. Ce temps-là est révolu, définitivement.
En foi de quoi certains, lors de la sortie du rayonnant In it for the money, s’étaient permis de traiter Supergrass de vieux beaufs réac, prenant à témoin un disque dont la maturité très relative n’enlevait pourtant rien à la fougue mélodique, à l’à-propos d’un groupe solidement accroché à son bout de gras, capable de propulser l’éminemment stoogien Richard III au plus haut des charts et d’enchaîner les doigts dans le nez avec un Late in the day pioché dans une boîte de toffees. Aujourd’hui, à l’heure du troisième album, Supergrass en est à peu près au même point que les Who de Who’s next, les Stones de Sticky fingers ou les Kinks de Muswell hillbillies. Bien trop jeune pour crever, pas assez vieux pour radoter, le trio d’Oxford avance coûte que coûte, trace sa route, accumulant les bitures à la bière, les concerts boutefeux et les disques de bravoure, comme si le temps, finalement, était vraiment compté. Incorrigibles bringueurs, Gaz Coombes et les siens ont mis assez de plomb dans leur cervelle pour ne pas avoir laissé les excès griller leur inspiration. Et quand tant de leurs conscrits, ceux de la classe brit-pop, sont depuis longtemps tombés au champ pas très honorable des compromissions en tout genre, eux sont toujours là, en parfait ordre de marche, épanouis comme jamais, la tignasse ébouriffée et les idées d’une extraordinaire clairvoyance. Ce qui, au final, nous vaut un Supergrass grand cru classé, un millésime 99 long en bouche, rond de mélodies fruiteuses et corsé de guitares piquantes. Fidèle au tout-électrique, Supergrass n’hésite plus à truffer ses chansons d’un piano omnipotent, de synthés ventrus ou d’une mandoline champêtre, à les relever de choeurs, de timbales, de cordes et de cuivres, à étirer les couplets, à dérouler les refrains jusqu’à épuisement des notes. Il suinte de cette glam-pop grand format une maîtrise de déjà vieux routiers, en même temps qu’une indécrottable innocence, une gouaille de voyous finis, incarnée par l’accent furieusement cockney de Gaz Coombes, digne héritier des Jagger, Marriott ou Bolan. Car même avec le monde à ses pieds, Supergrass n’a jamais vraiment réussi à s’arracher du pub de son quartier, où le juke-box crache sans discontinuer les vieux tubes des Small Faces ou de T-Rex. L’immense talent du groupe réside essentiellement dans l’effort surhumain qu’il fait pour ne pas y arriver. Comme quoi c’est encore depuis le comptoir que s’ouvrent les horizons les plus vastes.
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