Quelques jours avant la sortie de Rings Around The World, cinquième album des Gallois de Super Furry Animals et premier de l’histoire à paraître sur DVD, Gruff Rhys, sa casquette de métayer pop, et Dafydd Ieuan, batteur du groupe, revenaient sur la naissance de ce projet pharaonique, tout en carton.
Comment a surgi l’idée d’enregistrer un album en stereo surround, et de le publier sur DVD ?
Dafydd : Cela remonte à l’époque où nous utilisions le surround sur scène, avec des enceintes disposées aux quatre coins de la salle. Personne n’avait encore enregistré un album avec cette technique, il n’y avait donc pas de standards auxquels se référer, et cela nous stimulait de pouvoir les définir. Quand au projet DVD, c’est exactement la même chose : l’opportunité s’est présentée et nous avons accepté de nous lancer dans ce projet sans avoir la moindre idée de ce qu’on en ferait.
Gruff : Plus précisément, l’idée du son surround s’est développée comme un lierre, à partir du jour où la BBC nous a proposé de retransmettre en direct l’un de nos concerts en utilisant cette technique pour la première fois à la radio. Ce jour là, une armée de techniciens en blouses blanches, dépêchés par les laboratoires Dolby, a déboulé pendant les balances pour faire des réglages. Nous étions tous très impressionnés. Nous nous sentions comme des cobayes. A vrai dire, c’était la première fois que nous entendions quelque chose en stéréo surround. Cela nous a semblé tellement énorme que nous avons décidé d’enregistrer un disque en utilisant cette technique.
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Aviez-vous une idée précise de ce que serait cet album ?
Gruff Rhys : Nous voulions que ce disque procure les mêmes sensations sonores que lorsque les gens allaient au cinéma dans les années 60, à l’époque où l’on commençait à découvrir la stéréo. Pourtant, nous avons très tôt pris conscience qu’il s’agissait d’un projet ridiculement ambitieux : nous n’avions alors utilisé cette technologie du son surround que sur scène, les personnes qui ont créé l’interface du DVD n’avaient jamais travaillé sur ce support auparavant, la plupart des artistes qui ont conçu les vidéos n’avaient jamais réalisé de clips – certains n’avaient même jamais fait un film – et les remixes ont étés commandés au fur et à mesure que nous découvrions de l’espace libre sur le DVD.
Nous savions que peu de gens possédaient le matériel adéquat pour en tirer le meilleur parti, que la vidéo digitale pouvait devenir totalement obsolète d’ici trois ans, que personne ne se souviendrait de nous, mais nous n’avons pas eu le temps de douter, et à peine celui de faire. Quand nous avons compris que ce serait un truc parfaitement grotesque, nous avons décidé d’y impliquer John Cale et Paul McCartney.
Cette obsession pour le son est quelque chose de récurrent dans votre discographie
Gruff : Tout est son pour nous, tous les jours. Nous avons toujours été très pointilleux quant à cet aspect de notre travail. Avoir un bon son, cela ne signifie pas enregistrer avec de bons micros ou avec des techniciens pointus : certains albums du Velvet ont un son affreux, mais inimitable, quant aux disques de Palace, enregistrés en 5 heures, ils sonnent mieux que toute la discographie de Frankie Goes To Hollywood.
Nous n’avons rien voulu prouver avec ce disque, pas plus aux gens qu’à nous même : notre précédent disque, Mnwg, a été enregistré en une semaine dans un studio grand comme une cuisine, et il s’est mieux vendu que celui des Manic Street Preachers, même aux Etats-Unis. Notre peur, c’est d’être prévisibles. Nous ne voulons pas que nos disques et nos chansons soient prévisibles, alors nous cherchons tous les moyens possibles pour surprendre les gens.
Quitte à en rajouter, à vous éparpiller ?
Gruff : Nous commençons seulement à appréhender sans honte nos ambitions, et à envisager de les réaliser. Lorsque nous avons entrepris d’enregistrer des disques sous le nom de Super Furry Animals, nous savions à peine parler en anglais, et ne maîtrisions qu’une infime partie de ce dont nous avions besoin pour plonger les gens dans une inoubliable expérience sonique. La frustration qui était la nôtre est presque palpable sur notre premier album. Depuis, nous avons apprivoisé la technologie et acquis de l’expérience en matière d’écriture, même si nous avons encore besoin de nous améliorer. Avec Rings around the world, nous avons enfin eu le sentiment de nous débarrasser d’un tas d’obsessions qui traînaient encore, concernant notamment tous les groupes en « B », des Beach Boys à Harpers Bizarre en passant par les Byrds et les Beatles.
Maintenant que nous avons évacué ces influences de notre système, nous avons, pour la première fois, le sentiment de pouvoir avancer. Nous pouvons oublier Dennis Wilson et faire des disques qui nous ressemblent, plus européens que West coast.
Comment travaillez-vous, une fois en studio ?
Gruff : Nous avons souvent une pièce vouée à l’électronique, et une autre réservée à l’enregistrement des instruments traditionnels. En ce qui me concerne, j’écris tout le temps, mais mes textes sont rarement aboutis lorsque nous entrons en studio. C’est là que je les soumet au groupe, et chacun va bosser de son côté : Cyan compose des instrumentaux, avec des claviers, des samplers, qui vont être intégrés aux morceaux, quant à Dafydd, il écrit aussi des chansons, mais il est parfois si saoul que je suis obligé de me souvenir à sa place de ce qu’il a trouvé. Nous avons un mur dans le studio ou sont épinglées des paroles et des idées, et si il nous manque un morceau de texte nous manque pour finir une chanson, nous nous inspirons de ce qu’il reste sur le mur.
Rings around the world est le premier disque que vous enregistrez aux Etats-Unis, et sans votre producteur Gorwel Owen’
Gruff : A dire vrai, c’est la deuxième fois que nous travaillons sans lui. A l’époque de Guerrilla, il avait eu besoin de repos car il venait de passer près de cinq ans sans sortir de son studio, tout cela à cause de nous. C’est pendant l’enregistrement de Guerrilla que nous avons fait la connaissance de Chris Shaw (co-producteur de Rings around the world, ndlr), un ingénieur du son américain sur le CV duquel figurait Public Enemy, Jon Spencer et Cibbo Matto. A l’époque, nous avions envie d’un son plus plein, de plus de basses fréquences.
Gorwel est un personnage très stimulant, et nous lui devons tous énormément. C’est un boulimique de sons : en ce moment, il est dans Cardinal, Palace et Stockhausen, que nous avons découvert grâce à lui.
Dafydd : C’est qui plus est un vrai détecteur de bon goût : si un truc sent la merde, il le repère tout de suite. Sans lui, nous avons un peu tendance à être indulgents avec notre travail. Il est un peu notre conscience.
Gruff : Le problème, c’est que nous sommes très difficiles à gérer. En studio, nous nous comportons tous comme si nous étions cinq producteurs : l’atmosphère est parfois très tendue. Lorsque nous sommes livrés à nous-mêmes, nous faisons attention a être très diplomates car nous détestons les conflits. Avec un producteur, nous avons tous tendance à devenir incroyablement égocentriques. Je sais que Gorwel a souffert de ça. A peu près autant que nous avons souffert de sa peur panique de voyager : lorsqu’il nous faut aller passer quatre mois dans sa maison, à cinq heures de route de Cardiff, pour enregistrer un album, nous savons que nous allons encore une fois frôler la folie. Chaque fois que nous nous y rendons, je dois quitter la vraie vie, tout oublier du monde réel. A cause de ces conneries, j’ai perdu au moins deux petites amies. (rires)
Comment avez-vous fait la connaissance de Paul McCartney ?
Dafydd : Son management nous avait proposé de travailler sur des chutes de studio des Beatles pour une installation baptisée The Liverpool Sound Collage. Le problème, c’est qu’il a décidé de publier une version éditée de notre travail sans nous prévenir, et sans tenir compte du fait que nous n’étions pas très heureux de ce que nous avions fait. Nous nous sommes retrouvés en mesure de le poursuivre en justice. Cela n’avait aucun sens, alors, pour qu’il s’amende, nous demandé de pouvoir l’enregistrer en train de croquer des carottes et des céleris afin de pouvoir utiliser son nom sur notre disque. Il a accepté.
Ce qui n’a pas arrangé l’image rétro que vous traînez depuis vos débuts’
Gruff : Nous n’avons jamais prétendu être des puristes dans aucun domaine musical, pop ou electro. D’ailleurs, nous détestons assez cette idée de purisme . Nous savons très bien que nous sommes obsédés par la musique qui se faisait il y a 30 ans. C’est pour cela que nous avons accepté de triturer les bandes des sessions de Revolver.
Ce fût une expérience très libératrice, et presque décevante d’une certaine façon : lorsque tu te trouves face à une simple pile de bandes magnétiques, que tu entends John Lennon aborder des sujets très communs entre deux prises, les choses reprennent une dimension très humaine. Mais je ne peux pas nier que l’on s’est beaucoup amusés en s’imaginant donner de grands coups de hache dans les Beatles ! C’était aussi une expérience surréaliste : nous avons dégoté ce plan grâce à Cyan qui, saoul comme un cochon, à eu un soir l’idée géniale d’appeler Paul McCartney.
Dafydd : En toute modestie, c’est cette même sensation que nous avons recherché en commandant tous ces remixes pour le DVD : nous voulions voir comment les artistes contactés donneraient eux aussi des coups de hache dans nos chansons. Je frissonnait à l’idée qu’on puisse massacrer Juxtapose with U, un morceau parfaitement obscène, dégoulinant de bons sentiments, dans lequel nous avons mis tout ce que nous détestons dans la pop contemporaine.
Quels souvenirs gardez-vous de votre rencontre avec John Cale ?
Dafydd : Nous avons fait sa connaissance au moment ou il enregistrait la musique d’un film baptisé Beautiful mistake au Pays de Galles, un projet impliquant plusieurs groupes et artistes Gallois, genre John Cale rentre à la maison’. Chacun des groupes devait l’accompagner sur l’une de ses chansons, et, en retour, il devait participer à l’enregistrement de l’un des titres de chacun d’entre eux. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à jouer du piano à la toute fin de Presidential suite.
Gruff : John Cale est l’une de mes idoles d’adolescence : j’ai découvert le Velvet Underground à l’âge de 13 ans parce qu’on m avait dit qu’il y avait un Gallois dans le groupe. J étais très fier de ça. Bizarrement, cette anomalie a eu une grande influence sur les goûts musicaux de toute une génération. Pour moi, le Velvet, c’était un groupe Gallois. Nous étions donc tous très excités à l’idée qu’il envisage de collaborer avec nous. Malheureusement, au moment de se mettre au travail, il a été très directif : ?toi tu fais ça, toi, ça, toi tu restes là.? etc. C’est là qu’on a compris pourquoi il avait fini par se fâcher avec Lou Reed. Il n’y a eu aucune discussion.
Au départ, on voulait qu’il fasse tous les arrangements de cordes de l’album, car j’étais convaincu qu’il avait une formation d’arrangeur classique. Lorsque nous lui avons proposé, il m a demandé comment nous procédions habituellement. Je lui ai répondu que je sifflais la mélodie et que l’arrangeur l’écrivait. Il m a alors rétorqué qu’il faisait la même chose, qu’il n’y avait donc aucune raison qu’il le fasse pour nous, et qu’il se contenterait de jouer du piano. Je ne sais pas s’il voulait nous encourager ou s’il n’avait aucune envie de bosser.
Dafydd : C’est quand même un personnage hors du commun : à 58 ans, il se permet encore de porter des pantalons en cuir Je crois d’ailleurs qu’on les entend crisser à la fin du morceau. (rires)
N’avez-vous pas le sentiment que vos frasques médiatiques ont parfois détourné les médias de votre musique ?
Gruff : Je ne peux nier que nos textes et notre attitude ont d’une certaine façon éclipsé l’intérêt porté à notre musique, même si nos chansons se bornent à illustrer des points de vues très personnels. Malheureusement, nous sommes issus d’une région très active sur le plan politique, et nous ne pouvons pas le cacher. Cela dit, nous n’avons jamais cherché l’universalisme. L’union de plusieurs personnes derrière une idée unique nous a toujours rendus suspicieux. Aucun de nous ne partage d’ailleurs les mêmes opinions politiques.
Pour nous, Super Furry Animals a toujours été un moyen d’éprouver la démocratie pour pouvoir l’appliquer au monde réel, c’est une sorte de camp d’entraînement. Un groupe de rock, c’est un truc très romantique. Sans cette notion, vous n’êtes qu’un simple compositeur. Nous faisons de notre mieux pour que SFA fonctionne comme une romance, et enregistrons chacun de nos disques comme si c’était le dernier.
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