Aussi secret qu’il puisse paraître, l’artiste américain se dévoile corps et âme sur un cinquième LP qui allie cavale spirituelle et sentimentale.
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Rares sont celles et ceux à connaître sa véritable identité. Il y a bien quelques traces d’un curieux Sean Lee Bowie, nom de naissance hypothétique inscrit régulièrement en petits caractères au détour des notes intérieures de ses disques, ou d’une poignée d’alias tous plus impénétrables les uns que les autres, mais rien n’est moins sûr. La prudence reste de mise. Depuis le mitan des années 2010, le nom de scène Yves Tumor s’est substitué au nom d’usage de l’intéressé. Un prénom à consonance française, accolé à un amas de cellules mortifères, pour marquer les esprits et ancrer les mémoires.
Fidèle à sa réputation iconoclaste, l’Américain revient avec Praise a Lord Who Chews but Which Does Not Consume; (or Simply, Hot between Worlds), un cinquième album toujours plus saisissant, au titre à rallonge flanqué d’une abréviation bienvenue, susceptible de donner un indice sur son contenu et les pérégrinations de son auteur.
Entouré d’une bande de musiciens au look glam metal
Tout juste sait-on que l’ensemble est passé entre les mains expertes de Noah Goldstein pour la production, et celles d’Alan Moulder pour le mixage, moyen de concilier les expérimentations de l’un, remarqué entre autres pour son travail avec Kanye West ou Rosalía, et la puissance sonore de l’autre, ancien collaborateur de My Bloody Valentine et Nine Inch Nails.
Pour le reste, aucune note d’intention. Et encore moins d’interview. Yves Tumor entretient le mystère. De quoi concentrer l’attention sur son art et se dévoiler pour l’essentiel à travers une œuvre où musique, esthétique et performances scéniques forment un tout indissociable et fascinant.
Un rock sombre et tentaculaire qu’il continue de déconstruire
Ici, seuls quelques clips vidéo à l’image léchée, empruntés aux séries B comme aux midnight movies, et une photo de groupe, avec pantalons de cuir, perfectos cloutés, mitaines et cornes du diable de rigueur accompagnent l’arrivée de ce cinquième LP. Car depuis 2019, Yves Tumor s’entoure sur scène d’une bande de musiciens pour qui l’apparence tient autant de ces groupes de glam metal habitués à zoner sur le Sunset Strip de Los Angeles à la fin des années 1970 que d’un gang échappé des Guerriers de la nuit (The Warriors).
En quelques années, Tumor s’est ainsi mué en rock star flamboyante, jusqu’à délaisser les bricolages expérimentaux de ses débuts au profit d’un rock sombre et tentaculaire qu’il continue de déconstruire à la suite des grandioses Heaven to a Tortured Mind (2020) et The Asymptotical World EP (2021).
Des tendances emo et nu metal
La référence au film culte de Walter Hill semble appropriée, Praise a Lord Who Chews… s’ouvre lui aussi sur un coup de sang nocturne à faire accélérer le rythme cardiaque. À l’image du gang des Warriors, Yves Tumor se retrouve précipité dans une folle épopée pleine de sueur, tension, désir, frustration, heurts sentimentaux et relations toxiques qui ne cessent de se dresser sur son chemin. Il serpente entre les mondes, les états d’âme et les genres, fait se côtoyer MF Doom et Trent Reznor (Purified by the Fire), surprend Lenny Kravitz branché sur les mêmes ondes FM que celles de Oneohtrix Point Never (Fear Evil like Fire).
De l’introduction perverse God Is a Circle à l’incroyable Ebony Eye, et son finale aux portes du paradis, Yves Tumor s’offre un nouveau terrain d’exploration jouissif, propice à accueillir les gimmicks new wave (Echolalia et sa ligne de basse samplée sur Lobotomy du groupe anglais Neon, Lovely Sewer et sa boîte à rythmes en clin d’œil à One Hundred Years de The Cure), les riffs agressifs du rock alternatif des années 1990-2000 tendance emo et nu metal (Meteora Blues, In Spite of War), autant qu’il révèle, ici et là, certaines inflexions soul, funk et électroniques.
Que Sean Lee Bowie apparaisse ou non sur l’acte de naissance de l’Américain importe peu. Comme son homonyme David avant lui, adepte des métamorphoses et de la fluidité des genres, il n’en demeure pas moins lié au couteau Bowie, option utile en cas de débandade dans une nuit d’excès. Mieux vaut en être équipé, comme les Warriors l’ont bien montré.
Praise a Lord Who Chews but Which Does Not Consume; (or Simply, Hot between Worlds) (Warp/Kuroneko). Sortie en digital le 17 mars, sortie physique le 12 mai. En concert à We Love Green, Paris, le 3 juin ; à l’Élysée Montmartre, Paris, le 21 novembre.
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