Tubesque et pourtant expérimental, pop et pourtant bordélique, le second album des Rennais de Montgomery dessine un univers passionnant, turbulent et attachant.
“Après tant de noir, retrouvons les couleurs » chante Montgomery sur Mégaceros, l’un des sommets de Stromboli, deuxième album des Rennais. Les couleurs, ils ne les ont pas retrouvées : les couleurs, Montgomery les invente. Par centaines, des nuances inconnues, des chromatiques indicibles. Montgomery est l’un des groupes les plus excitants du moment. De France ou pas, en français ou pas, pop ou pas : l’un des meilleurs groupes tout court, un point (d’exclamation), c’est tout. Leur premier album éponyme était une machine à films étranges, une grande œuvre tordue et bidouilleuse, pleine d’un souffle glorieux qu’on ne trouve généralement que chez les groupes anglo-saxons, rutilée par un sens mélodique aussi vicieux que collant qu’on ne trouve généralement nulle part.
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Montgomery avait posé les bases d’un avenir radieux : Stromboli érupte encore plus haut, beaucoup plus haut. « On essaye constamment d’élever le truc, expliquent les gars, adorables et drôles. C’est cet objectif que l’on garde en permanence à l’esprit : rien d’autre que notre plaisir et l’envie d’aller plus loin. Ça s’est confirmé sur Stromboli, on s’est dit « allons plus loin, toujours plus loin ». On essaye d’atteindre quelque chose qu’on n’atteindra jamais. Comme une quête. Si tu trouves ce que tu cherches, fais autre chose. »
On a pourtant eu chaud. Ils ont bien failli faire autre chose, les garçons. Car l’incroyable Stromboli aurait pu échouer dans le placard sombre des promesses naufragées. Montgomery avait été, logiquement, admiré par les professionnels de la profession. Moins par le public : injustement passé entre les gouttes du succès malgré un immense potentiel, le groupe admet avoir eu du mal, entre finances branlantes et erreurs tactiques, à boucler cet album.
« Sachant que le premier album avait pris beaucoup de temps, on s’est dit que ce serait bien, pour Stromboli, de faire les choses différemment, plus vite. Au bout de six mois, on a eu l’impression d’avoir quelque chose, de quoi faire un album, on a voulu le mixer. Au final, ça ne ressemblait à rien, à peine une pré-maquette. On devait tout refaire : c’était tout simplement raté, on l’a tous senti. On a un peu sombré, on a eu de longs mois vraiment difficiles – et plus un rond. Puis on s’y est remis, et ça a à nouveau marché. » Marché ? Couru, plutôt. Stromboli est un chef d’oeuvre – on pèse les mots que l’on hurle. Pop radiophonique et courageusement expérimentale à la fois, il titille en permanence les limites de l’imagination, réussit à exploser les règles formelles tout en restant dans les clous de la pure exaltation tubesque.
Doux ou électriques, plein de contre-pieds phénoménaux et de crochets grandioses, ses morceaux sont aussi puissants qu’Arcade Fire, aussi inventif qu’Animal Collective. Ils sont produits, avec génie, dans une opulence et un pointillisme sonores effarants. D’un refrain superglue à un couplet bondissant, d’une harmonie vocale sublime, spécialité du groupe, à un effrayant coup de sang, de la pure drôlerie à une mélancolie bouleversante, impossible de savoir a priori où le groupe nous porte sur chacun de ses morceaux – sinon vers l’admiration. Totale.
“On joue sur l’accident, les choses qu’on ne maîtrise pas. Il peut y avoir l’idée initiale d’un morceau, mais l’expérimentation prend forme avec toi, et c’est là où c’est magique : on voit un truc qui se forme un peu indépendamment de nous, qui nous surprend, qui peut dérailler vers quelque chose de bizarre. On a de la chance d’avoir Thomas dans le groupe, qui est très fort en studio, il va très vite et peut saisir ces accidents. Et bosser ensemble permet de multiplier les idées, elles viennent de partout, en permanence. Ça pourrait s’apparenter à la méthode du cadavre exquis, on colle des choses très diverses pour arriver à un truc complètement… » Complètement quoi? Complètement foldingue.
Stromboli est un disque-univers. Celui de Montgomery, particulier, totalement unique, surréaliste, sens-dessus-derrière-dessous mais paradoxalement ultra-cohérent, porté par des textes à la poésie bizarre et fascinante. Il faut l’entendre pour le croire. L’admirable beauté et la houle ondoyante de Baleine, les tubes véritables de la platinée et touchante 6 Bonnes Raisons ou de la chercheuse sonique Mégacéros, la vigueur rock de la rugissante Daisy ou de l’ultra-efficace Athlète, la lente montée vers l’extase de Volcan, la comptine tortueuse Le Chat devraient vous mener loin, et longtemps. Il y a là suffisamment d’idées pour nourrir les rêves lewiscarolliens d’une année pleine. Stromboli part dans tous les non-sens, et nous avec.
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