Auteur du tube de l’année Alors on danse, le jeune Belge STROMAE sort un premier album acide et déroutant. Rencontre chez lui, dans la banlieue de Bruxelles.
Pour aller à Huizingen, un petit bled de quelques milliers d’habitants situé à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles, il faut avoir une bonne raison. La nôtre s’appelle Paul Van Haver, 25 ans, alias Stromae (prononcez “Stromaï” et pas “Stromaé”, jouez pas au latiniste). Ce jeune type est l’auteur du tube de ce début d’année 2010, Alors on danse, et les tubes potables, aujourd’hui, on les compte sur les doigts de la main de Maurice Herzog.
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Avec ce morceau super eurodance et très dépressif, qui contraste avec le paysage bucolique que l’on traverse, Stromae a été n° 1 en Belgique, en Suisse, en Allemagne et en France. On nous dépose dans un petit quartier calme et résidentiel. Notre voiture est à peine arrêtée que le jeune Paul “Stromae” Van Haver vient à notre rencontre.
On l’imaginait grand et longiligne, il l’est encore plus que prévu. Il nous tend une grande main, nous invite à rentrer. Il nous présente sa maman qui nous fait une bise sur la joue (à la belge), et il nous emmène au deuxième étage, dans sa chambre de bon fils où un immense Mac est posé juste à côté de son lit. Une grand étagère contient quelques disques, dont un de Kery James, A l’ombre du show-business (pour lequel le jeune Paul a composé quatre instrus) et le tout premier disque de Technotronic – que sa maison de disque belge vient de lui offrir.
Stromae est de cette génération qui n’achète plus de CD et vit la musique autour de son seul ordinateur. Il fait aussi partie de ces jeunes mecs qui n’entassent plus les références en interview. Rapport à sa musique, on lui parle de la new-beat, cette dérivée de l’acid-house, qui fleurissait en Belgique à la fin des années 80 (lire encadré), il répond poliment : “Oui, je vois ce que c’est, on m’en a parlé, j’ai écouté par curiosité. Il y a des choses intéressantes. J’aime ce son très acide, je suis content qu’on fasse le rapprochement avec ma musique.”
On lui dit que son ton grave et délié peut évoquer Jacques Brel (on y pense encore plus en voyant le clip de son second single, Te Quiero), il dit qu’en Belgique, c’est un sacré compliment. Au jeu des rapprochements, Stromae va vers des choses beaucoup plus populaires et décomplexées : il évoque directement Faithless, ce groupe britannique qui, depuis plus de dix ans, transforme le moindre pub ou le plus pourri des fish & chips en boîte de nuit.
Comme Rollo Armstrong, le cerveau de Faithless (et frère de Dido), Stromae possède une excellente formation classique qui lui donne des facilités. Plus jeune, il a traîné ses guêtres dans le rap d’outre- Quiévrain. Une petite recherche sur YouTube vous montrera les débuts de Paul en MC juvénile et hésitant. “J’ai pas mal tourné dans le milieu, j’écoutais beaucoup de choses à l’époque. Un peu de rap français, beaucoup de rap américain. J’étais surtout intéressé par les productions. Mais à un moment donné, j’ai senti que j’avais fait le tour.”
Pourtant tout partait plutôt bien : le groupe Suspicion qu’il forme avec un dénommé J.E.D.I. est une révélation en Belgique. J.E.D.I. claque la porte assez vite, mais Stromae s’entête. Il est repéré par Kery James, qui lui propose de travailler pour lui. Et par le label parisien Because, qui l’invite à bosser sur quelques idées d’instrus. Même si, à ce moment-là, le rap game n’est déjà plus la priorité dans la tête de Stromae (qui s’appelle alors Maestro).
“J’avais envie d’aller plus loin, mon objectif est de faire entendre ma musique à un maximum de gens. Et le rap répond à des codes qui ne me permettaient pas d’aller aussi loin que je l’aurais voulu. J’ai donc fait des petits boulots en attendant de trouver la bonne idée.” Il travaille dans un fast-food, enquille un stage chez NRJ Belgique et commence à se faire connaître avec des leçons de musique sur le net, “Les leçons de Stromae”.
Fin 2009, NRJ Belgique décide de passer le morceau Alors on danse sur son antenne. Le succès est immédiat. Stromae le vit avec calme : “J’avais surtout envie de faire un album, de mettre en place un univers autour de moi.” Le disque est aujourd’hui prêt : il s’appelle Cheese. C’est un objet bizarre et fascinant, qui va en repousser beaucoup. Mais ceux qui l’aimeront iront au bout d’un truc sale et terriblement excitant. Un mélange de techno limite transe avec des paroles à vous mettre un G.O. du Club Med au fond du trou (sans mauvais jeu de mot). “J’aime bien mélanger ce son avec des paroles négatives. Dans le fond, je suis quelqu’un d’assez pessimiste, qui vit loin du monde, je sors très peu, je passe beaucoup de temps sur mon ordinateur”, explique Stromae.
On comprend alors mieux ces noces barbares, entre une anthropologie foncièrement négative et un tapis sonore qui aspire, lui, plutôt à la lumière. L’ensemble se danse avec le sentiment assez agréable d’avoir perdu la tête, et vous déconnecte des modes comme de la notion de bon goût – avec laquelle Stromae flirte avec une certaine élégance. “Je ne sais pas trop ce que va donner ce disque”, explique Paul Van Haver en nous raccompagnant sur le pas de la porte. C’est en tout cas l’une des histoires belges les plus curieuses depuis des lustres.
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