En marge de la scène dance triomphante existe un rap anglais. Accent cockney et souplesse jamaïquaine fricotent avec le funk lamé usa. Remixers cotés, rappers contestés, les trois ingénieurs de Stereo mc’s n’ont pas eu la chance de naître dans le Bronx ou en Seine-St-Denis.
Trop blancs ? Trop british ?
The Head ? Stereo mc’s existe depuis cinq ans. Rob et moi nous nous connaissons depuis l’âge de 6 ans. Nous sommes tous les deux nés à Nottingham. Puis j’ai habité Londres, où Rob m a rejoint il y a quelques années. Ce sont des trucs électroniques ou synthétiques comme Kraftwerk ou Yello qui nous ont donné envie de bidouiller des machines pour en tirer de la musique. On a expérimenté pas mal de trucs à base de boîtes à rythmes et de samplers. Assez vite, nous avons baptisé notre petit laboratoire Stereo mc’s. Nous avons alors rencontré notre manager, Jon Baker, et un dj londonien, Ritchie Rich. Avec eux, nous avons créé un label, Gee Street, sur lequel nous avons sorti notre premier single Move it. Quatre semaines après, Island nous proposait un contrat de licence. Nous avons aussi développé des activités parallèles sous différents pseudos, comme Ultimatum, nom sous lequel nous produisons un grand nombre de remix. Depuis trois ans, nous n’arrêtons pas : disques, remix, tournées ? avec des gens comme
Living Colour ou De La Soul. Supernatural est notre deuxième album.
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Vous êtes autant des producteurs que des artistes.
Nous ne voulions pas nous limiter à la petite vie d’un groupe. En changeant de nom, nous avons l’impression d’assumer toutes nos envies. Cette année, nous avons fait tellement de remix que je ne pourrais pas les compter.
Vous avez une formation de disc-jockey ?
Non, pas vraiment. Nous avons joué les dj’spendant un an au Tabernacle. On passait principalement du rap et de la soul. Mais j’ai plutôt une formation d’ingénieur du son. Quand nous avons lancé Gee Street (leur studio et compagnie), nous avons construit le studio d’enregistrement nous-mêmes, en apprenant sur le tas. Quand nous enregistrons un disque, nous pouvons nous passer d’ingénieur du son et de producteur. On a le son qu’on désire sans intervention extérieure.
Estimez-vous que votre carrière a pris son envol avec l’émergence du phénomène house-music ?
Non, bien avant. Je me rappelle très bien les tout débuts du mouvement en Angleterre et les premiers imports de Chicago, comme Jackmaster Funk… Les Stereo mc’s existaient déjà. J’ai bien aimé les débuts du phénomène avant qu’on ne le transforme en musique de supermarché.
Vous considérez-vous comme membre de la scène dance ?
Sans doute, mais ça rassemble tellement de choses’ Par exemple, nous n’avons rien à voir avec ces groupes de rock qui se mettent à la dance par pur calcul. Les Happy Mondays sont sans doute une exception, on sent que la mutation s’est faite naturellement, ils ont une identité, ça fonctionne. Mais la plupart de ces groupes sont des arrivistes. De vrais fantasmes pour directeurs artistiques ou patrons de maisons de disques. Ils croient trouver là l’hybride pouvant rassembler tous les publics et leur faire palper un max de blé. Ce sont surtout nos activités de remixeurs qui nous font participer à la scène dance . Plusieurs morceaux sur lesquels nous avons travaillé ont récemment très bien marché dans les charts, comme le dernier titre des Jungle Brothers. En tant que groupe, nous essayons de forger notre son sans nous préoccuper des modes ou des tendances.
Rob ? Nous sommes d’abord un groupe de rap. Nous faisons du hip-hop, tout simplement. Nous partageons finalement les racines de beaucoup de rappers américains. Une des premières formes du hip-hop américain consistait à rapper sur des beats électro souvent venus d’Europe. Parfois empruntés à des groupes aussi nuls que Heaven 17.
The Head ? La musique fait beaucoup d’allers-retours, contrairement à ce que pensent ceux qui nous traitent d’Anglais blancs-becs jouant de la musique noire. Bien sûr, nous vivons à Londres, d’autres à New York, chacun transmet ses points de vue, ses expériences. C’est la raison d’être du rap. Tu rappes à propos de ce qui te touche, ton milieu, ta ville.
Néanmoins, le rap est vécu comme une expression de la culture noire. Vous n’avez pas de mal à vous imposer comme rappers blancs ?
Pour nous, en Angleterre, le problème était double : comment imposer un rap blanc et anglais ? Beaucoup ont commencé ici en imitant platement les Américains. Nous voulions éviter cela à tout prix. Nous voulions rester nous-mêmes, utiliser la voix de Rob, son accent anglais. Nous ne souffrons d’aucun complexe d’infériorité, nous faisons une musique aussi vitale que d’autres, excitante, innovatrice. Mais nous nous sommes heurtés à beaucoup de préjugés.
Rob ? C’est la faute de certains dj’s impliqués depuis longtemps dans le rap et qui l’ont aussi empêché d’avancer en négligeant ce qui pouvait se passer ici. Ils ne se rendaient pas compte de l’ampleur artistique que prenait le phénomène. Le rap anglais ne cesse de progresser.
The Head ? Je respecte beaucoup de nouveaux groupes comme Massive Attack, Mellow, Mac Blade ou les Ruthless Rap Assassins, qui proposent quelque chose de nouveau.
Et ce rapper blanc de Manchester, MC Tunes ?
Celui qui a bossé avec 808 State ? Je n’adore pas, il a plus à voir avec la scène house. Même chose pour Silver Bullet qui rappe à la vitesse des bpm (Beat Par Minute) de la house.
Rob ? Nous n’avons jamais joué dans les raves. Nous fréquentions ces soirées au début. L’ambiance underground était très fun, mais depuis que les fans de foot ont pris le relais… Au secours ! Tu ne les as jamais vus descendre Oxford Street en hurlant Aciiiid’ ?
Qu’est-ce que l’Angleterre, pays de la musique pop, peut apporter au rap ? Plus de mélodie ?
Plus que la pop, je crois que c’est le reggae qui influence le rap anglais. Beaucoup trouvent là leurs racines. On retrouve souvent ce gros son de basse, et pas seulement dans le rap.
The Head ? Chaque style de musique développe une mélodie aussi particulière que son rythme ou son groove. La musique soul offre de magnifiques mélodies, qu’on ne retrouve pas ailleurs. Même chose pour le rap. Il ne faut pas vouloir absolument chercher un type de mélodie pop dans un disque de rap. Il n’empêche qu’il existe une forme très belle de mélodie rap qui se déploie dans l’enchaînement des mots. Les Jungle Brothers, par exemple, produisent ce genre d’effet.
Pas de rap-pop donc ?
Pas de rapprochement artificiel. Il serait préférable que chacun s’investisse à fond dans son propre style, que les maisons de disques prennent les rappers tels qu’ils sont et comprennent la qualité de leur musique sans chercher à l’abâtardir avec de la variété. Les artistes n’en seront que plus solides. Je préfère cette notion de groupes à albums plutôt que de groupes à singles. Dans les sixties, il y avait des groupes qui vendaient des tonnes de disques sans pour autant passer à Top of the Pops. Je ne pense pas que Led Zeppelin ait jamais eu de hit-single.
Vous vous considérez comme un groupe à albums ?
Le petit dernier, Supernatural, a une grande cohérence et peut s’écouter d’une traite. Le premier, 33-45-78, était plus hétéroclite. Il s’était écoulé pas mal de temps entre le moment où nous avons composé les premiers morceaux et la fin de l’enregistrement. Nous travaillions aussi avec un dj, Cesare, avec lequel nous avions quelques divergences d’opinion. Nous n’avons pas pu aller aussi loin que nous le voulions.
Rob ? On adore aussi les maxi-singles, mais en Angleterre, à cause des Gallup Charts, tu ne peux généralement pas dépasser les dix minutes par face. Dommage. Nous mettrions beaucoup plus de musique sur nos singles si on nous laissait faire. Les Américains s’autorisent plus de délires. Ici, artistiquement, on nous limite.
The Head ? Alors que pour la même somme d’argent, le public pourrait en avoir plus. Au bout du compte, on vendrait probablement plus de disques. Mais s’il suffit de recopier un titre qui passe à la radio, à quoi bon acheter le disque ? Les choses évoluent bizarrement. cbs ne fabriquera plus de vinyle en Angleterre dès 1991. Ça me déprime. L’objet vinyle a une telle importance dans la culture rap Comment scratcher un cd ? Mais bon, M. Sony doit vendre ses platines laser
A vos débuts, n’étiez-vous pas paralysés par les figures mythiques du rap américain ?
Nous les respections, mais nous ne voulions pas les égaler ou les copier. Des disques magnifiques sortent aux States, ceux des Jungle Brothers, de Biz Markie, de Big Daddy Kane ou même le dernier ll Cool j.
Rob ? On travaille avec beaucoup d’entre eux. Afrika Baby Bambaata, des Jungle Brothers, a bossé sur deux titres de notre album. Et nous avons récemment remixé Monie Love.
The Rob ? Les New-Yorkais ont beaucoup moins de préjugés envers les rappers londoniens que les rappers anglais n’en ont envers leurs compatriotes. Ils sont plus ouverts, même s’il existe une grande compétition. Tout le monde peut relever le défi et beaucoup travaillent ensemble. A Gee Street, nous avons toujours essayé d’aider le rap anglais, en prêtant le studio, en donnant un coup de main. Mais il n’y a pas de solidarité entre les rappers et aucune volonté de créer un mouvement fort. Il y a trop d’individualisme, sans doute un héritage des années Thatcher.
La scène soul britannique a l’air de bien se développer et commence à s’exporter.
The Head ? J’ai bien aimé les débuts de Soul ii Soul, les premiers titres chantés par Caron Wheeler. Mais je trouve leur dernier album peu inspiré. Je préfère Mica Paris ou le Nothing like this d’Omar.
Comme De La Soul, les Jungle Brothers ou A Tribe Called Quest, vous semblez représenter le rap évolutif.
Nous partageons évidemment quelques affinités, mais nous avons vraiment essayé de cultiver notre propre son. Notre attitude, comme la leur, consiste à élargir notre palette sonore, notre vocabulaire, afin de ne pas produire juste un disque de rap de plus.
Composez-vous toujours ensemble ?
The Rob ? Oui. Nous avons un huit pistes à la maison. Nous bricolons petit à petit, chacun ajoutant ses idées dans presque tous les secteurs. Nous partageons toutes les responsabilités : beat, textes, échantillonnages. C’est une question de vibrations.
Sans l’un de nous, ce son n’existerait pas. Cette musique est le produit de deux esprits.
Le rap est plus l’expression de fans de musique que celle de musiciens ?
The Head ? La base de presque tous nos titres vient de breaks tirés d’autres disques. Nos collections de disques ? je dirais plutôt nos piles de disques ? rassemblent un peu tous les styles. Mais nous ne les utilisons pas tous au même moment. Il peut y avoir un millier de disques que nous ne toucherons pas pendant un an mais dans lesquels nous pouvons replonger à la recherche d’une certaine ambiance. C’est vrai qu’en général, nous piochons plus dans le funk des années 70 ? Sly Stone, Parliament Mais nous empruntons un peu à tous, même à des disques enregistrés aujourd’hui. Nous jouons aussi de quelques instruments et engageons des musiciens : un saxophoniste, un trompettiste ou un batteur. C’est souvent utile. Lorsque Rob a une idée de mélodie à coller sur l’une de nos boucles, il n’a bien sûr aucun moyen de la trouver sur les disques d’un autre. Il la joue donc lui-même ou la sifflote à un musicien.
Rob ? Mais même avec des breaks, en prenant les mêmes échantillons, des gens composeront des morceaux complètement différents. Ces extraits sont comme des instruments, ils disent ce qu’on veut leur faire dire.
The Head ? Avec Supernatural, nous avons voulu obtenir un son cohérent. Ça ne sonne pas comme un assemblement d’échantillons, mais comme si cette musique était créée et jouée par un groupe présent dans la pièce.
Le rap est la musique de la parole, des messages. Quel est le vôtre ?
Notre musique contient des messages égalitaires, anti-racistes’ Mais notre boulot n’est pas de prêcher la bonne parole, au premier degré. Il y a des façons plus subtiles, plus efficaces de faire passer ça. Par l’humour, les émotions, une ambiance. Dans Two horse town, qui parle de l’étroitesse d’esprit et des préjugés, nous avons recréé une atmosphère de western-spaghetti, en utilisant Sergio Leone. Le message est Pourquoi ne faire de votre vie qu’une petite ville ?? Le monde est vaste et demande une conscience large.
Vous êtes des puristes ?
D’une certaine façon, oui. Il y a des disques pop que j’aime bien, je sais apprécier cette façon concise de concevoir un morceau. Trois minutes prêtes à vendre Je respecte ce genre de savoir-faire mais nous essayons de rester fidèles à une certaine éthique, nous ne faisons pas de compromis. Même quand nous remixons les titres d’autres artistes, nous faisons ce qui nous semble juste artistiquement plus que commercialement. Quitte à se heurter à l’incompréhension des maisons de disques.
Est-ce que ça vous rassure de voir un rapper blanc, Vanilla Ice, en haut des charts ?
Rob ? Je déteste. Quelle merde ! Un des pires trucs actuellement sur le marché. Et franchement, je ne crois pas que mc Hammer relève le niveau. Quand une musique devient populaire, il y a toujours son pire aspect qui arrive en haut des hit-parades. Mais bon, tant mieux si plus de gens se mettent au rap grâce à ça.
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