Maître du bourdon et de la musique amplifiée, le co-fondateur du groupe sunn O))) convoque du 12 au 14 mai, à Carnac, une vingtaine d’artistes, invités à jouer les performances acoustiques regroupées sous le nom “You Origin”, qu’il a pensé en forme de déambulations mouvantes ou immobiles, au cœur du site archéologique à la plus grande concentration au monde de mégalithes. Une invitation au voyage et à la contemplation. Rencontre.
Stephen O’Malley nous donne rendez-vous dans un café du XVIIIe arrondissement parisien, une semaine pile avant le début de son week-end de performances au cœur des alignements de Carnac, dans le Morbihan, les 12, 13 et 14 mai. Notre dernière rencontre avec l’artiste remonte alors à janvier 2020, à l’aune d’une résidence de trois jours à la Gaîté Lyrique avec sunn O))), le groupe drone metal dont il est le co-fondateur, le temps d’un déluge de décibels.
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You Orgin, l’évènement qu’il a spécialement pensé pour être joué sur le site datant du néolithique, célèbre pour sa forte concentration de mégalithes, sera, lui, acoustique et distillé à différentes heures toute cette fin de semaine, le jour comme la nuit, dans des dispositifs variables : “je te tiens à souligner qu’il ne s’agit ni d’un concert ni d’une symphonie orchestrale, mais d’une expérience centrée sur le son, le mouvement et la lumière”, nous précise-t-il, après avoir brièvement évoqué la période du confinement et le temps long de la pandémie. Comme si la contemplation des effets changeants de la course du soleil sur les buildings des métropoles l’avait ramené aux premières sources d’émerveillement de l’humanité : “nous avons travaillé sur un projet exaltant la sensibilité d’être présent dans un espace donné à un moment précis, poursuit-il. Par exemple, nous nous retrouverons à l’aube, parmi les pierres, avec des musiciens situés à différents endroits du site, au milieu d’un public qui sera dans des conditions d’éveil, prompts à ressentir profondément la musique et à observer le ballet des oiseaux dans la lumière qui, a son tour, viendra donner aux menhirs de nouvelles couleurs et perspectives.”
Déambulations
La performance dont parle Stephen sera jouée deux fois à l’aube (à 6 h 05, puis 6 h 10) et deux fois au coucher du soleil, et consiste en un ensemble de dix cors des Alpes – instrument traditionnel montagnard constitué d’un long tube dans lequel il faut souffler, relié à une embouchure qui repose au sol. Elle est décrite comme étant une “structure fondée sur le décalage, l’écho et la reprise” pour faire “circuler le son sur l’ensemble du site pour illustrer les distances et donner à entendre l’acoustique des lieux”. D’autres pièces auront davantage l’allure de déambulations, suivant les courbes du paysage, comme le samedi, avec la procession de cloches de l’ensemble des Serpents, reliant la tombe du tumulus Saint-Michel au site des alignements de Kermario ; ou encore, le dimanche, avec les musiciens amérindiens Timothy Archambault et Raven Chacon, pour une virée de deux heures.“J’ai toujours rêvé de jouer une composition pour la marche”, rajoute Stephen O’Malley, qui nous explique par ailleurs ne pas chercher de réponses aux mystères de Carnac, mais plutôt à nous faire prendre les dimensions de cet univers à part entière.
À la naissance de You Origin, il y avait l’idée de monter une scène sur le site, pour y faire jouer sunn O))) : “Cela aurait été notre moment Pompéi (rapport au live de Pink Floyd en 1972, ndlr) mais ça n’aurait eu aucun sens, se souvient Stephen. Le site, fragile, sur lequel on a pris soin de la végétation, n’aurait été qu’un arrière-plan déconnecté de la musique et sunnO))) n’aurait pas était intégré dans cet espace, avec ses générateurs et sa musique amplifiée. C’est une discussion que nous avons eue avec Olivier Agogué, l’archéologue et conservateur du musée de la Préhistoire, un grand amateur Magma et de sunn O))). Il a tout de suite compris pourquoi je m’intéressais au site de Carnac. Je ne savais pas à quoi m’attendre en rencontrant Olivier, sans doute à quelqu’un de plus éloigné des choses de la musique, mais finalement, il y a autant de mystère dans la musique que dans ces alignements de pierres. Rien d’étonnant à cela, donc. Abandonner l’idée d’une performance avec sunn O))) a été un moment important pour moi en tant que musicien, comme une prise de conscience.”
Monolithes, dimensions, temps, lumière
Entre deux cafés, Stephen se souvient de sa première confrontation avec Carnac, au mitant des années 2000, à l’époque où il travaillait avec Peter Rehberg sur la bande-son d’une pièce de Gisèle Vienne, Kindertotenlieder, qui se jouait alors sur la scène du Quartz, la scène nationale de Brest : “je vivais à New York, mais en 2007 j’ai eu l’occasion de passer du temps en Bretagne et de visiter plusieurs sites archéologiques, dont celui des alignements de Carnac. La première fois, on roulait le long de la route qui longe le site et j’ai eu l’impression de suivre les courbes d’une piste d’aéroport. Je n’ai pas compris tout de suite. Il a fallu que l’on marche jusqu’au géant du Manio (plus grand menhir du site, NDLR) pour prendre la mesure des choses. Je suis un amateur d’art préhistorique, ce sujet touche à la compréhension du concept de créativité et au lien qui unit la nature aux objets façonnés par la main de l’homme. Comme le site de Carnac, il y a dans cet art quelque chose d’indéfinissable et d’inexplicable, qui t’amène à prendre en considération certaines choses qui peuvent être transcendantes. Il y a beaucoup de mystère et de questions laissées en suspens là-bas, c’est presque miraculeux de pouvoir partager ce lien à travers les âges”.
La question des monolithes traverse, elle aussi, les âges et les arts, et nécessairement l’œuvre de Stephen O’Malley. En 2009, questionné par le magazine anglais The Wire sur le sens du titre Monoliths & Dimensions, de sunn O))), il répondait : “j’envisage ce titre comme étant la symbolique de la complexité qui peut exister dans quelque chose qui semblerait assez… pas simple, mais direct”. Un peu comme les alignements de Carnac, qui s’imposent massivement à nous d’un point de vue émotionnel, mais qui, pris dans le regard de l’homme, se drapent de mystère et peuvent susciter des questionnements complexes : “Il faut que je fasse attention à ne pas trop verser dans le romantisme, prévient Stephen. Aucune interprétation ne peut être écartée, puisque personne n’a vraiment les réponses. Les gens pourront percevoir l’évolution de la lumière, la voir changer, c’est un processus délicat. Il n’y a pas d’intention prophétique ici, il s’agit d’une expérience. Il se peut que ce soit mystique, il se peut aussi que ce soit autre chose”.
“Thunderous resonant sounds call from beyond
And the winds of gravity change
Into memories of the consciousness of ancient rocks
Nature’s answer to eternal question”, grondait sunn O))) sur Aghartha. Nous y voilà.
You Origin : du 12 au 14 mai 2023, à Carnac (toutes les informations en suivant ce lien)
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