L’ancien franc-tireur de Pavement transforme son art de mal vivre et son mauvais esprit en métier. Critique et écoute.
C’est une musique qui pissait en mille couleurs à la raie du sépia, un rock qui salopait l’héritage (des Beach Boys à The Fall) pour le simple plaisir de lui coller une mandale en plein refrain féerique, pour la joie cruelle de lui casser les harmonies dans un vomi de bruit blanc. C’était un ravissant sabotage, un jouissif gâchage d’envergure, c’était Pavement, une façon totalement désinvolte de (mal)traiter son génie, de poser quelques questions qui fâchent, façon bad cop, aux recettes de la pop-à-papa. En sagouinant le rock avec une classe mélodique très nettement au-dessus des moyens de la noisy-pop, Pavement secouait avec légèreté et grâce les habitudes et acquis, invitait la dissonance, la distorsion dans les Saintes Ecritures.
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Là où Sonic Youth avait imposé le bruit blanc et les dérèglements au rock, Pavement – plus encore que les Pixies ou Weezer, ses évidents compagnons d’armes – s’était chargé de dégrader, de saloper la pop. Comme le personnage de La Solitude du coureur de fond refusa de franchir la ligne d’arrivée et de collectionner les médailles, Stephen Malkmus s’est arrêté souvent à la limite de l’or, du tube. Mais jamais, lui non plus, n’a franchi la ligne : une carrière entière au service de ses lubies soniques et cinoques, de ses déviances mélodiques. Une carrière basée sur le refus, têtu. Une telle musique, frondeuse, insolente, destructrice, s’est ainsi construite contre la nostalgie.
C’est pourtant elle et souvent elle seule qui, aujourd’hui, invite et régale sur ce sixième album solo. On regrette même souvent que ce pouvoir futé de nuisance, ce mauvais esprit qui secouait le cocotier ait viré au savoir-faire, à la carrière. Pourtant, le cancre éternel ne s’est pas transformé en fonctionnaire du rock souillon. Il lui reste même de jolis coups bas en stock, des fulgurances à la hauteur de Rumble at the Rainbo, Lariat, Cinnamon and Lesbians ou du loureedien J Smoov. Mais c’est ce “reste” qui chagrine : on n’aurait jamais imaginé que la malice, la menace deviendraient chez Stephen Malkmus un simple savoir-faire. Qu’il laisse ça aux petits, aux mesquins : lui est trop grand pour s’abaisser à cette raison.
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