La reformation de Pavement passée, Stephen Malkmus revient avec ses Jicks fin août avec un nouvel album intitulé Mirror Traffic et produit par Beck : interview du bonhomme.
Comment te sens-tu ?
Plutôt bien. Crevé par le décalage horaire –avec l’âge, je m’y fais de moins en moins. Mais j’arrive de Chicago, où j’ai passé un agréable moment en famille, un excellent 4 juillet. On est allé sur le Lac Michigan, un coin assez isolé où les gens lancent des tonnes de feux d’artifice, on en a acheté pour 100$, on a fait un barbecue, des feux, tout le monde faisait la même chose autour de nous. C’était très américain, c’était cool.
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Et tu te sens très Américain…
Surtout à ce moment précis, oui. Je suis fier de mon pays, j’étais fier d’être dans le Midwest pour le 4 juillet : d’habitude je suis dans l’Oregon, il n’y a que des hipsters et des anarchistes, cette fois ça semblait plus vrai, plus américain.
Qu’est ce que Mirror Traffic représente pour toi ?
Je ne sais pas… Peut-être une nouvelle vie pour les Jicks, bien que les chansons aient été écrites il y a déjà pas mal de temps. Un nouveau chapitre pour nous, après le temps que j’ai passé avec Pavement, le fait de travailler avec un producteur, enregistrer d’une manière un peu différente…
Ta manière d’écrire, également ?
Non, globalement elle n’a pas vraiment changé ; quelques petits trucs ici où là, avec le temps. C’est ce qui sort qui a un peu changé, pas vraiment les méthodes. Peut-être étais-je un peu plus cool avec les gens qui m’entouraient, et je voulais aller plus directement au but, me concentrer plus sur les mélodies.
Écrire est quelque chose de vital, pour toi ?
Disons que ça l’est devenu avec le temps. Jeune garçon, je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie : je suis finalement devenu musicien, Pavement a grandi, les gens ont commencé à me donner du respect pour ce que je leur présentais. C’est petit à petit devenu vital, et la musique est surtout graduellement devenue la seule activité occupant mes journées : ça vient aussi du fait que je suis devenu un parent, et un mari : je suis aussi l’homme qui doit payer les factures. Mais j’aime créer, j’aime la liberté, la palette de possibilités qu’offre le fait d’écrire un nouvel album. Il y a toujours de la nouveauté, de l’excitation, même dans ce qui est devenu ma spécialité. Je réalise que c’est sans doute moins excitant pour les autres : je vieillis, ils ont tout vu, ils sont passés à autre chose. Il s’est passé tellement d’année, il y a eu tellement de groupes depuis que j’ai commencé : chaque génération a ses propres héros, et ce n’est plus mon tour d’être les Arctic Monkeys. On fait ça pour nous-mêmes, et pour nos fans.
Mais tu es devenu un vrai héros américain, un héros éternel du rock, quelque chose que tu as du pouvoir sentir quand Pavement s’est reformé…
Peut-être. Je suis un survivant de l’indie rock, peut-être une icône pour certains : c’est cool. Mais on a toujours envie d’exister pour les gens, de faire partie du dialogue, du décor, on veut toujours sortir de chez nous, rencontrer du monde, écouter de la musique : en ça, oui, ce que je fais est vital.
Et comment réussis-tu à éviter la lassitude ?
Il y a deux choses. La première est de toujours essayer de trouver une nouvelle perspective sur ce que l’on fait, une nouvelle manière d’écrire des chansons, s’intéresser à une autre facette des choses –les mélodies par exemple. C’est une question de connaissance de soi-même, de savoir en quoi on est bon. C’est quelque chose d’intime, mais c’est aussi quelque chose qu’on ressent en voyant comment les choses réagissent. C’est vrai pour les artistes ou les autres, d’ailleurs : une femme de 48 ans devrait peut-être éviter de porter des mini-jupes. C’est un fait, certains la trouveront peut-être hot, la décrirons comme une MILF, mais je pense quant à moi qu’il y a une étape juste à chaque moment de ta vie. Je sais qu’à mon âge je dois éviter de chanter des chansons punks… Il faut jouer selon ses forces et ses faiblesses. Notre temps d’exposition n’est pas illimité, les gens ne vont pas prêter attention à ce que l’on fait jusqu’à la fin des temps : pendant qu’on peut, autant donner ce qu’on a de meilleur. Il m’arrive musicalement de me laisser aller, de n’en faire qu’à ma tête, parce que je ressens le besoin de tenter des choses qui sont un peu en dehors de mon domaine, parce que je veux rendre hommage à un style que j’aime. Ca a plus ou moins marché. Pour Mirror Traffic, j’ai essayé de jouer sur ce que je sais bien faire, et sur ce que les gens peuvent attendre de moi. C’est aussi pop que possible. Ca n’aurait pas pu l’être plus, car je n’aime pas vraiment les chansons pop, disons que c’est ma propre version de ce qui est « populaire ».
Tu as 45 ans : quelle serait, aujourd’hui, ta principale force ?
Je crois que ma qualité principale est d’être un père. Ca peut paraître ennuyeux, pas rock’n’roll du tout, mais c’est un fait. C’est le processus normal d’une vie : être père te force à grandir, à mûrir. Ca n’a rien de négatif. Mûrir ne veut pas dire vieillir, être père ne veut pas forcément dire devenir un vieux papa tout gras. C’est simplement accepter la responsabilité de ses propres actions, observer et combler les besoins d’une autre personne avant de penser à ses besoins propres. Et ce n’est pas quelque chose de normal, de traditionnel dans la musique, qui est généralement quelque chose de basé sur les égos, sur les individus. Aujourd’hui, il y a cette illusion, ce n’est peut-être pas une illusion, que la jeune génération est beaucoup plus basée sur le sentiment de communauté que nous l’étions il y a vingt ans, les musiciens utilisent beaucoup le « nous » dans leurs chansons, comme une sorte de cri de ralliement. Mais je suis d’une génération de gamins qui étaient beaucoup plus centrés sur eux-mêmes, plus égoïstes, on pensait que, à nous seuls, on pouvait éclairer les gens, leur offrir une certaine connaissance, une vision de la condition humains, au travers de notre regard. C’est ce qui passionne chez quelqu’un comme Bob Dylan : c’est sa perception très personnelle de la condition humaine qui fait toute sa substance.
Tu explique qu’être père te pousse à faire attention aux autres, tu expliques également que tu essaies de faire ce que les gens attendent : ça explique pourquoi Mirror Traffic est peut-être plus pop que tes précédents albums ?
Pas nécessairement, même si ça rentre peut être en jeu. Je ne suis pas certain que ma famille ait un quelconque rapport avec les aspects pop de Mirror Traffic. La seule chose est que même si je jure parfois sur l’album, je me souviens m’être un peu restreint sur certains « fuck », en me disant qu’ils n’étaient peut-être pas nécessaires… Il y a une chanson où je dis « total » au lieu de « fucking », par exemple, c’était une décision. Mais bon, je dis encore pas mal « shit », et il y a cette chanson, Senator, qui parle quand même d’un sénateur qui veut se faire tailler une pipe… (sourire) Mes gamins n’aiment de toute façon pas trop ma musique. Ils disent le contraire, mais je sais qu’ils ne l’aiment pas, ils ont leurs propres trucs, des trucs de leur âge. Ils n’ont pas mauvais goût, ils aiment de plutôt bonnes chansons, mais ils aiment les messages positifs. Quelque chose que ma musique ne porte généralement pas : il est plutôt question de frustration, dans les mots, dans l’humour, j’aime écrire ma musique avec un point de vue bien plus sombre que celui que réclament mes gamins en ce moment.
Cette frustration, tu l’as toujours, tu la ressens ?
Oui. Je suis heureux. Je crois que je peux dire que je suis profondément heureux. Mais il y a toujours un besoin de quelque chose, dans ma vie, toujours quelque chose d’assez obscur et indéfinissable avec lequel je suis en lutte. Si j’étais religieux, j’aimerais beaucoup parler à un prêtre de ces pulsions, de ces désirs destructeurs que je peux avoir. (rires) Je n’attends pas de la vie qu’elle soit parfaite, ça m’évite de suivre une thérapie. Il y a quelques chansons plus positives dans mon œuvre, mais je crois que d’autres sont bien plus capables que moi pour écrire ce genre de chose. Et j’ai beaucoup de mal à chanter que tout va bien de toute façon. Ce n’est pas vraiment le cas, dans le monde actuel…
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